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Marcus Hutchinson: “Je suis très partisan du rapprochement des cultures”

A 57 ans, l’Irlandais Marcus Hutchinson a derrière lui un long parcours : tour à tour coureur, architecte naval, journaliste, directeur de la communication de grands événements (Coupe de l’America, Volvo Ocean Race…), il se consacre aujourd’hui aux projets Imoca de Thomas Ruyant et de sa compatriote Joan Mulloy. Il se confie à Tip & Shaft sur l’évolution des grands évènements de la voile.

Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel et nautique ?
J’ai grandi à Dublin, il y avait un super club nautique dans la banlieue nord, je suis tombé dedans très vite et j’ai passé tous mes étés à naviguer. A cette époque, le seul moyen de gagner sa vie dans la voile, c’était d’être constructeur de bateau, voilier ou architecte naval : j’ai choisi cette dernière voie et je suis parti à Southampton pour faire des études, je me suis retrouvé dans la promo juste après celle de Marc Van Peteghem, Vincent Lauriot-Prévost et Marc Lombard. J’ai ensuite été embauché par Rob Humphreys Yacht Design, un des meilleurs cabinets pour tout ce qui était IOR, j’ai travaillé quatre ans là-bas, tout en naviguant beaucoup. Pendant cette période, j’ai aussi fait pas mal d’articles pourSeahorse Magazine et, un jour, en revenant des Etats-Unis où j’avais été travailler sur un bateau pour mon cabinet d’architectes, le rédacteur en chef m’a annoncé qu’il partait : quinze jours après, j’étais rédacteur en chef de Seahorse ! Cela a été un carrefour dans ma vie, parce qu’au même moment, Lawrie Smith, le skipper de Rothmans, un maxi sur la Whibread sur lequel j’avais aussi bossé, m’a proposé d’intégrer l’équipage. J’ai choisi Seahorse, où je suis resté quatre ans, tout en continuant à naviguer et à dessiner des bateaux. J’ai ensuite monté un journal consacré aux maxi yachts avec un investisseur français, c’est à ce moment que je suis tombé sur mon ami Bruno Troublé à la Nioulargue…

Et qu’a débuté ton histoire avec la Coupe de l’America ?
Oui, il m’a alors annoncé que Louis Vuitton venait de re signer pour la Coupe de l’America 1995 et qu’ils avaient besoin de quelqu’un pour faire une newsletter en anglais. J’ai accepté et je me suis retrouvé à Paris puis à San Diego et j’ai enchaîné quatre éditions jusqu’en 2007 avec un rôle qui a peu à peu évolué, jusqu’à devenir directeur de la communication en 2007 à Valence : j’ai adoré toute cette période, c’était vraiment une vie magnifique. Après Valence, j’ai voulu travailler dans une équipe et je me suis fait engager par TeamOrigin où j’ai rejoint Keith Mills, Ben Ainslie et Ian Percy, mais quelques mois après, le procès entre Alinghi et Oracle a tout fait capoter, on a été licenciés. Heureusement, comme j’avais fait un peu de conseil pour la Med Cup en TP52, je suis devenu dircom de l’Audi Med Cup pendant deux ans. C’est à ce moment que Knut Frostad, qui était à la tête de la Volvo, m’a téléphoné pour me demander de lui filer un coup de main, je me suis donc retrouvé sur la Volvo Ocean Race 2008-2009. Et en rentrant, j’ai été de nouveau embauché chez TeamOrigin, mais l’histoire s’est encore arrêtée quand la Coupe est passée au multicoque. J’ai alors travaillé un peu pour l’équipe française Aleph sur les Louis Vuitton Trophy, j’ai ensuite encadré l’Artemis Offshore Academy en France pendant quatre ans, c’est à ce moment que Michel Desjoyeaux m’a contacté pour rejoindre Mer Agitée et travailler sur le projet SMA pendant que lui était sur la Volvo Ocean Race.

Tu as beaucoup travaillé dans le milieu de la Coupe de l’America, quel regard portes-tu aujourd’hui sur l’évolution de cette épreuve ?
La Coupe a été une super expérience, ça ressemblait un peu à la F1, avec des écuries qui étaient là pour longtemps, une continuité entre les éditions qui faisaient qu’on se côtoyait tous pendant plusieurs années, c’était énorme ! Et Louis Vuitton mettait énormément de moyens pour communiquer, si bien que ça a permis à des gens comme Bertelli, Bertarelli et Ellison de venir. Le procès entre Alinghi et Oracle a tout cassé, c’était une période très dure, parce qu’il y avait environ 1 000 personnes impliquées plus ou moins à plein temps sur la Coupe et qui étaient suspendues à l’issue de ce procès qui a tué la poule aux œufs d’or. Aujourd’hui, les engins sont magnifiques, mais je trouve que la culture de la Coupe a disparu, d’abord parce qu’il y a beaucoup moins d’équipes… et ensuite parce que la communication de l’épreuve est nulle : Ellison n’a jamais voulu y mettre de moyens et ça ne vas pas s’améliorer, parce que ce n’est pas dans l’ADN des Néo-Zélandais tandis que chez Luna Rossa, tout est un peu secret.

Et que penses-tu de l’évolution annoncée de la Volvo Ocean Race ?
Je trouve cette course magnifique, mais c’est comme la Coupe aujourd’hui : pour moi, le seul vrai critère du succès d’une épreuve, c’est son nombre d’inscrits, le fait qu’il n’y ait que sept bateaux, c’est n’importe quoi ! Maintenant, je suis fan de la convergence annoncée avec l’Imoca, que Mark Turner avait initiée, je suis très partisan du rapprochement des cultures. L’Imoca est en bonne santé, c’est une classe qui attire du monde, j’espère que ce rapprochement va permettre à la Volvo Ocean Race d’avoir dix-douze bateaux. Pour les équipes Imoca, c’est une formidable opportunité de faire la Volvo, à l’inverse, pour ceux qui vont construire un Imoca pour la Volvo, ils auront derrière l’opportunité de faire d’autres courses avec leur bateau, ce n’est pas comme les Volvo 70 qui n’ont servi qu’une fois. Et l’arrivée du Figaro 3 au milieu de tout ça n’est pas anodin…

Que veux-tu dire par là ?
C’est une coïncidence que l’arrivée du nouveau bateau se passe en même temps que l’annonce de l’Imoca, mais ça tombe très bien, parce que pour s’entraîner en vue de la Volvo en Imoca, le Figaro 3 est un support parfait : avec des foils, un pilote automatique sophistiqué, des voiles asymétriques devant. C’est super pour entraîner les jeunes et les femmes qui disputeront plus tard la Volvo, parce que je pense qu’il y aura encore des quotas de jeunes et de femmes.

La présence des femmes est un sujet qui te tient à cœur…
Oui, aujourd’hui, je trouve que les femmes manquent cruellement dans la course au large. Je tente d’ailleurs de monter un projet féminin en Figaro avec un associé français, un entrepreneur désormais à la retraite, Bernard Lalanne, qui était mon partenaire quand je courais en Figaro sous les couleurs d’Impac’t (commerce alimentaire de gros) : nous avons commandé deux Figaro 3 et je veux créer une filière féminine comme Macif et CMB, avec une sélection. Ces filières sont des opportunités énormes pour des jeunes de progresser et de se développer en tant que marins. La preuve : Charlie Dalin et Sébastien Simon ont aujourd’hui un projet de Vendée Globe avec un bateau neuf. Maintenant, pour les femmes, c’est aujourd’hui impossible. Je vais pousser ce projet à la rentrée, si ça ne marche pas, je louerai les bateaux.

Tu travailles justement avec ta compatriote Joan Mulloy, quel est le projet avec elle ?
C’est une fille super intelligente, ingénieure, qui débute en Figaro. On a eu l’opportunité de faire les Monaco Globe Series sur le bateau d’Enda O’Coineen – qui est toujours à vendre – et ça s’est bien passé. On a profité du convoyage retour vers l’Irlande pour lui faire faire sa qualification pour la Route du Rhum, sachant que cette transat est très importante pour gagner des milles en vue du prochain Vendée Globe. Maintenant, il nous manque le budget pour faire la course et elle n’est pas inscrite…

De quel budget as-tu besoin ?
De 300 à 350 000 euros : il faut louer le bateau, le rejauger, le réassurer, le ramener d’Irlande, avoir une équipe technique, payer l’inscription si on peut la racheter à un autre projet qui ne va pas au bout, mettre à jour l’armement de sécurité, acheter l’abonnement Fleet [le téléphone satellite, NDLR], faire une banque images… Les délais sont très courts, parce qu’il y a pas mal de choses à faire et on tombe en période estivale.

Tu avais aussi un projet qui t’avait poussé à inscrire un skipper non-communiqué en Imoca sur la Route du Rhum, qu’en est-il ?
C’était un projet pour quelqu’un de La Rochelle, du milieu Transquadra, qui voulait acheter un Imoca aux alentours de Noël dans le but de faire le Vendée Globe. Je lui avais conseillé de s’inscrire à la Route du Rhum, parce que même si l’avis de course du Vendée Globe n’avait pas été publié, on savait déjà qu’il était primordial de faire la Route du Rhum pour se qualifier. Courant janvier, il a payé la caution pour le bateau de Richard Tolkien, mais son projet est finalement tombé à l’eau, donc il nous restait cette inscription. J’aurais pu la garder pour Joan, mais c’était prendre un risque financier, donc j’ai trouvé quelqu’un d’autre pour la récupérer… et ce n’est pas à moi de te dire qui c’est !

Pour finir : tu travailles aussi sur projet de Thomas Ruyant, où en êtes-vous?
Nous continuons à travailler dessus, j’espère qu’il y aura de bonnes nouvelles à la rentrée, je ne peux pas en dire beaucoup plus…

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