L'arrivée d'Hugo Dhallenne aux Canaries

Mini Transat : ce qu’il s’est passé sur la première étape

La première étape de la Mini Transat, remportée en série par Melwin Fink avec une grosse avance sur ses poursuivants, a donné lieu à une certaine confusion, puisque ce dernier a été un des très rares à ne pas s’arrêter suite au BMS diffusé par la direction de course. Du coup, 19 demandes de réparation ont été déposées auprès du jury. Tip & Shaft a reconstitué les faits en interrogeant les principaux acteurs.

Vendredi 1er octobre, 10h. Alors que les quatre premiers protos sont déjà quasiment au sud du Portugal, le gros de la flotte de la Mini Transat est dans la zone du Cap Finisterre lorsqu’elle reçoit un BMS (bulletin météo spécial) de la direction de course“Un front était attendu [samedi en fin d’après-midi, NDLR], avec du vent de 35-40 nœuds, rafales potentielles à 48-50, et une mer de sud-ouest de 3,5 à 4 mètres, explique à Tip & Shaft le directeur de course Denis HuguesÇa ne me paraissait pas raisonnable d’envoyer des Mini là-dedans, on a donc fait un BMS sur le tracker – un court texte reçu sur les balises de positionnement, NDLR – et Christian Dumard en a rédigé un plus long, diffusé toutes les deux heures via les bateaux accompagnateurs, mais aussi à la vacation BLU de 15h TU. On demandait aux concurrents positionnés dans la zone Finisterre Nord et au nord de la zone Finisterre Sud de se mettre à l’abri, tandis qu’on ne faisait que le conseiller à ceux de la zone Porto.”

Deux consignes différentes, qui créent, pour certains, de l’incertitude, comme l’explique Julien Pulvé, entraîneur du collectif rochelais, qui a débriefé l’étape mercredi avec ses coureurs : Ils ont eu l’impression d’avoir deux sons de cloche différents entre ‘demande’ et ‘conseil’ d’arrêt. Ils auraient voulu entendre : soit on neutralise l’étape, soit on lit le BMS et s’arrête qui veut.” Alors dans le paquet de tête des bateaux de série, Julie Simon (4e de l’étape) raconte : “On a commencé à discuter entre nous, on essayait d’avoir plus d’infos, de savoir si la course allait être neutralisée, on était un peu étonnés de ne pas avoir de directives plus précises.”

Ce à quoi Denis Hugues répond : On a eu des débats mais quatre bateaux s’étaient bien sortis du premier front et de la dorsale, je ne trouvais pas ça très sportif de neutraliser vis-à-vis d’eux.” Coach du groupe lorientais, Tanguy Leglatin ajoute : “Ça fait partie du jeu de la Mini, ce n’est pas la première fois que ça arrive. Il faut aussi rappeler qu’il y a eu des drames ; vu le fichier, l’information de la direction de course était justifiée. Après, peut-être que la consigne aurait pu être un peu plus claire, en disant : « A partir de telle heure, si vous n’êtes pas au sud de tel endroit, on vous impose d’aller au port de telle à telle heure. »”

 

Melwin Fink
trace sa route

 

En tête de la flotte série, les débats battent leur plein : On faisait les calculs, on se disait que pour nous, ça devait passer, mais que la partie de la flotte plus au nord allait prendre plus cher et devoir s’arrêter, poursuit Julie Simon. A un moment, deux coureurs, Federico Waksman et Hugo Picard – qui a pas mal relayé la demande en français et en anglais – ont proposé de s’arrêter. On s’est dit assez naturellement que c’était normal de le faire si ceux de derrière étaient obligés de s’abriter, ça nous paraissait équitable, on n’allait pas leur coller trois jours.” Anne-Claire Le Berre (6e de l’étape) ajoute : “On a finalement décidé de s’arrêter en se disant que c’était dommage de mettre toute une flotte de Mini en danger”.

Dans la journée de vendredi, tous les bateaux tirent la barre et vont se mettre à l’abri, à La Corogne, Camarinas, dans la baie de Muros et à Baiona pour les plus au sud. Sauf deux intrépides : l’Allemand Melwin Fink, 17e en série au moment où la décision collective est prise, et l’Autrichien Christian Kargl (alors 21e). “On est arrivés vers 22h à Baiona, ce n’est que le lendemain qu’on a découvert qu’ils avaient continué, explique Léo Debiesse (7e de l’étape). Au départ, on pensait qu’ils allaient s’arrêter à Porto.” Ce qui sera le cas de Kargl, confronté à des problèmes de batterie, mais pas de Fink. C’était un peu la douche froide, ce n’était pas prévu dans les plans”, confie Anne-Claire Le Berre.

Pourquoi le jeune Allemand ne s’est-il pas arrêté ? Joint jeudi par mail, il nous a répondu : “Après le BMS, il y a eu beaucoup de discussions à la VHF pour trouver des ports d’accueil. De mon côté, j’ai parlé avec Christian Kargl, nous ne comprenions pas pourquoi tout le monde allait se mettre si tôt à l’abri. Donc nous avons continué, en nous disant que nous irions dans un port au Portugal, alors situé à 85 milles, et où nous pensions arriver le 2 à midi. Mais avant de nous arrêter, nous voulions entendre les nouveaux bulletins météo, qui ont annoncé que sur la zone de Porto, il y aurait 30 nœuds de moyenne. Donc avec Christian, nous avons décidé d’aller le plus au sud possible pour avoir moins de vent. Plus tard, il a dû s’arrêter, de mon côté, je ne voyais pas de raison de m’arrêter car mon bateau et moi étions en parfaites conditions. Je pensais alors que beaucoup continuaient aussi. La communication à la VHF était vraiment très mauvaise, [les discussions] n’étaient quasiment qu’en français, seuls les éléments de base étaient traduits en anglais.”

 

Ambiance bizarre
à La Palma

A Baiona, le groupe se met d’accord pour repartir dimanche à 6h de façon échelonnée en tenant compte du classement du vendredi matin. “Finalement, comme il y avait pétole, on n’a jamais réussi à sortir à l’heure, exceptée Julie Simon [qui a expliqué qu’elle avait dû ramer, NDLR], la seule à avoir respecté son horaire prévu. Entre-temps, on appris que le groupe de Muros était parti avant nous à 3h, on était un peu énervés, poursuit Anne-Claire Le Berre.

Si la sortie de la baie de Muros s’est faite dans le petit temps, le groupe qui y avait fait escale a bénéficié par la suite de conditions favorables, d’où un retour par l’arrière qui fait dire à l’ingénieure du Team Initiatives Coeur : “Sur le deuxième départ, quand tu te rends compte que ceux qui étaient loin derrière sont devant toi, tu as un sentiment d’injustice énorme.”

Inutile de dire qu’à l’arrivée à La Palma, l’ambiance est un peu bizarre avec un Melwin Fink dans ses petits souliers“Il est allé accueillir tout le monde, c’est ce qu’il avait de mieux à faire. Beaucoup de personnes ont été correctes avec lui, on a essayé de comprendre sa décision, différente de la nôtre, il n’a rien fait d’illégal”, commente Léo Debiesse.

Comme 18 autres marins, le vainqueur du Championnat de France de Course au Large en solitaire 2020 a cependant déposé une réclamation auprès du jury international, afin  que son temps d’escale soit retranché de son temps de course. “On ne veut pas que le classement soit complètement perturbé, c’est Melwin qui a gagné, mais au moins que les écarts soient réduits, explique-t-il. Si elle n’a pas déposé de réclamation – le comité de course a en revanche réclamé contre elle pour être entrée dans le DST du cap Finisterre – Julie Simon ajoute : “Je termine 4e, ma meilleure perf en deux ans, mais j’ai du mal à y trouver de la saveur. Ce scénario enlève de la crédibilité à la performance de tout le monde.”

 

“Le jeu
reste ouvert”

“C’est dur à avaler pour ceux qui sont arrivés à Baiona et n’avaient rien à réparer, mais il faut aussi voir que d’autres ont profité de l’escale pour réparer, souligne quant à lui Jean-Marie Jézéquel, reparti de Muros et 5e de l’étape. “Le premier front avait fait pas mal de dégâts, beaucoup étaient bien contents de s’arrêter pour bricoler, il n’y en a pas un qui n’a pas touché à son bateau” , confirme Denis Hugues. Dont Hugo Dhallenne, finalement 3e de l’étape, qui confirme : “J’étais en position où j’avais des réparations à faire, l’escale m’a permis de repartir à 100%.”

Les réclamations seront étudiées à partir de lundi par le jury international de cinq membres, annonce à Tip & Shaft son président Yves Léglise. Une annulation de l’étape est-elle possible ? “C’est prévu dans les règles, mais il faut que ce soit la dernière extrémité ; là, il semble qu’on puisse envisager d’autres solutions, le tout est de trouver la moins mauvaise.”

Si les demandes de réparation sont rejetées, Melwin Fink attaquera la deuxième étape avec 19 heures d’avance sur Christian Kargl et près de 26 sur Hugo Dhallenne. Un écart irrémédiable ? “C’est beaucoup, mais ça va dépendre de l’alizé, : s’il est assez fort, je pense que je peux récupérer du temps ; s’il est de l’ordre de 12-15 nœuds, ça sera plus difficile. » Léo Debiesse ajoute : « Si on regarde les écarts en série sur les deux dernières éditions de la Mini Transat, il y a à peu près 30 heures entre le premier et le dixième, donc le jeu reste complètement ouvert.”

 

Photo : Alexis Courcoux / Mini Transat EuroChef

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