Le chavirage de Banque Populaire secoue la classe Ultim. Armel Le Cleach aura du mal à s'aligner sur la Route du Rhum.

Banque Populaire : un chavirage et des questions

Le chavirage, le samedi 14 avril, de Banque Populaire IX, au large du Maroc, a secoué le monde la course au large. Un accident qui n’est pas sans conséquences, car il touche l’un des principaux sponsors de la voile, un fleuron technologique du savoir-faire français, et, surtout, le dernier-né de la classe Ultim 32-23 : une classe qui tracte depuis trois ans architectes, ingénieurs, chantiers, organisateurs de course et retombées médias, comme l’ont montré les records de Thomas Coville et de François Gabart. Beaucoup de questions se posent, mais tant l’armateur que l’équipe n’ont pas souhaité y répondre dans un premier temps, avant qu’Armel Le Cléac’h n’accorde le lundi 23 avril plusieurs interviews. Tip & Shaft a tenté d’en savoir plus en passant de nombreux coups de fil.

Que s’est-il passé à bord de Banque Populaire IX ? Selon le communiqué de presse envoyé aux médias le samedi 14 avril à midi, le plan VPLP a chaviré vers 3 heures du matin au large du Maroc. Le maxi-trimaran avait quitté Lorient le mardi précédent pour un convoyage vers Nice, port de départ de la NiceUltimed, l’occasion pour Armel Le Cléac’h de s’entraîner en “faux solitaire”, d’où la présence à bord du directeur technique du team Banque Populaire, Pierre-Emmanuel Hérissé, et du caméraman Fulvio d’Aguanno. Un second communiqué, envoyé à 19h30, précise les conditions de navigation au moment du chavirage, décrites par Armel Le Cléac’h : “Les conditions de mer et de vent étaient plutôt correctes, 18/20 nœuds de vent au moment de l’incident (…) Nous étions sur un bord assez serré, du près débridé, un ris dans la grand-voile et le petit foc (…) Les conditions étaient plutôt stables, j’avais vérifié et il n’y avait pas de grain ou d’orage possible devant nous. Pierre-Emmanuel Hérissé et notre média-man étaient à l’intérieur, moi j’étais dans ma cabane en veille aux manœuvres. J’ai été m’allonger cinq minutes sur la bannette pour commencer une sieste. Le bateau a commencé à se lever très vite suite à une survente de vent, je n’ai pas eu le temps de sortir. J’ai pu choquer la grand voile mais cela n’a pas suffi. Tout est allé très vite, le bateau a basculé sur le côté tribord”.

Pourquoi le système anti-chavirage n’a pas fonctionné ? Depuis plusieurs années, les multicoques sont équipés de systèmes anti-chavirages qui, en fonction de l’angle de gîte, choquent automatiquement le chariot de grand voile, l’écoute de grand-voile, l’écoute de la voile d’avant – ou tout autre bout. De nombreux trimarans sont dotés du système Upside Up développé par Ocean Data System, par exemple ; les grosses équipes conçoivent parfois elles-mêmes leur propre dispositif. Sur le trimaran Macifà bord duquel Tip & Shaft a pu naviguer voilà 2 ans, trois systèmes anti-chavirages sont disposés à l’entrée de la cabine et sur les deux colonnes de winches ; l’écoute de GV est connectée en permanence au système et, lorsque le skipper dort, écoute de GV, chariot de GV et tweaker sont tous les trois connectés. Les écoutes de Banque Pop étaient-elles branchées sur le système anti-chavirage ? Si oui, le système anti-chavirage a-t-il fonctionné ? Armel Le Cléac’h a répondu à ces questions lundi en expliquant que le système existait sur Banque Populaire IX, mais pour l’instant limité à la seule grand-voile, l’équipe technique ayant prévu de l’installer plus tard pour les voiles d’avant. Et d’après le skipper, il a fonctionné en larguant la grand-voile, mais pas assez rapidement pour empêcher le chavirage. Enfin, pourquoi n’y avait-il personne sur le pont lorsqu’Armel Le Cléac’h est allé s’allonger pour une sieste, le principe du “faux-solitaire” étant précisément de parer ce genre d’éventualités ? La question n’a pour l’instant pas de réponse.

Comment le team Banque Populaire va-t-il faire pour s’aligner sur la Route du Rhum ? Là aussi, c’est par communiqué de presse que l’équipe d’Armel Le Cléac’h a confirmé qu’elle serait au départ de la prochaine Route du Rhum malgré cette fortune de mer. “Nous avons d’ores et déjà pris les devants afin d’organiser les réparations du trimaran, examiner les différentes solutions pour l’équiper d’un mât et d’une bôme. L’objectif clair est de remettre le bateau à l’eau avant la fin de l’été et de permettre à Armel de se préparer dans de bonnes conditions pour se présenter au départ de la Route du Rhum à Saint-Malo”, selon les propos rapportés de Ronan Lucas, le directeur du team. Lundi, Armel Le Cléac’h a confié son espoir que le plan VPLP – qui était assuré (sauf le gréement, comme souvent), à la différence d’Actual et de Gitana – soit chargé en fin de semaine sur un cargo au départ de Casablanca, où il a été remorqué et remis à l’endroit jeudi. Et devrait, si tout va bien entrer en chantier dans la foulée à Lorient. “S’il y a une équipe capable de réaliser une opération comme celle-là, c’est bien Banque Populaire, admire un concurrent : en quelques heures, ils étaient sur place et ils auront leur bateau en chantier moins de 15 jours après un chavirage à 1 000 milles de leur base.” Un peu plus que 15 jours finalement…
Le vrai dossier reste celui du mât : en théorie, un mât d’Ultime neuf coûte environ 1,5 million d’euros et demande six mois de travail. S’il existe bien un espar disponible – le grand mât de l’ancien Groupama 3, désormais propriété de Francis Joyon – le team Banque Populaire se dirige vers une construction d’un mât neuf. Chez CDK – d’où sortait le premier mât – comme chez Lorima, on réfléchit à des organisations spécifiques pour raccourcir les délais de fabrication, nous ont confirmé les deux entreprises.

Quelles conséquences pour la classe Ultim 32/23 ? C’était jusqu’ici l’un des atouts majeurs des Ultimes : leur sûreté. Seul Francis Joyon avait chaviré voilà près de 7 ans, au départ d’une tentative de record de l’Atlantique Nord sur son plan Irens.  “Le chavirage de Banque Pop change la donne, souligne Hervé Favre, chez OC Sport, organisateur, entre autres, de la Route du Rhum. La sûreté des Ultimes était un argument – auprès des organisateurs de la Volvo Ocean Race, par exemple, ou des investisseurs. Cela va aussi compliquer les discussions avec les MRCC d’Australie ou de Nouvelle-Zélande pour les tours du monde.” Dans une équipe concurrente, on se dit “choqué par ce qui est arrivé à Banque Pop dans 18 noeuds de vent : il va falloir qu’on soit intelligents et responsables avec la classe, ça n’a pas le droit de nous arriver.

En quatre mois, la classe Ultim 32/23, tout juste créée, déplore deux pertes sur ses quatre membres: si elles sont provisoires, elles soulignent cependant la fragilité d’une flotte encore très restreinte et les difficultés pour garantir un plateau minimum. L’exemple de la Nice UltiMed, qui se retrouve avec une ligne de départ réduite à… trois bateaux, inquiète les organisateurs d’événements. Selon nos informations, la tenue de la course a pu être, un temps, questionnée, le minimum de quatre trimarans dans le port n’étant pas atteint – un engagement qui avait déjà amené les armateurs de la classe à cofinancer la location du trimaran Grand Large Emotion aux couleurs d’Actual. D’où la présence, malgré son forfait, annoncée par communiqué de presse, d’Armel Le Cléac’h à Nice, où il donnera le 30 avril une conférence de presse. Sollicité à plusieurs reprises, Jean-Baptiste Durier, directeur de Nice UltiMed, n’a pas souhaité répondre à nos questions, évoquant “un emploi du temps surchargé“. De son côté, Emmanuel Bachellerie, délégué général de la classe, tient à rappeler : Il ne faut pas oublier que nous sommes une classe naissante. Et une classe exigeante, à tous points de vue : en termes de construction, d’équilibre, de sécurité, d’un point de vue économique… Quand François Gabart rentre à Brest, on s’émerveille à juste titre de sa perf, mais il n’en demeure pas moins que, pour enquiller 850 milles en 24 heures comme il l’a fait pendant son tour du monde, il faut être en équilibre précaire. Ça passe la plupart du temps ; à de rares exceptions, ça ne passe pas.”

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