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Nicolas Hénard : “On a convaincu la voile mondiale”

Alors que World Sailing n’avait pas retenu la course au large comme discipline pour les Jeux de Paris 2024 lors de son « mid-year meeting » de Londres en mai dernier, la fédération internationale de voile a fait volte-face la semaine dernière pendant sa conférence annuelle à Sarasota. Sous réserve de validation par le CIO, la course au large fera bien son apparition au programme olympique à Marseille en 2024 sur un monocoque de 6 à 10 mètres sans foils. Une victoire pour la Fédération française de voile et pour son président Nicolas Hénarden première ligne sur ce dossier, qui explique à Tip & Shaft les raisons du revirement de World Sailing.

Pouvez-vous nous expliquer comment World Sailing a finalement décidé d’intégrer la course au large au programme olympique des Jeux de 2024 ?
En mai dernier, il ne fallait que deux personnes changent d’avis pour que la course au large entre aux Jeux au stade du mid-year meeting, l’étape intermédiaire avant le November meeting, le conseil qui décide du programme olympique. A l’époque déjà, tous les spécialistes nous disaient que c’était incroyable que nous soyons passés si près. Sachant que les procédures administratives, juridiques et institutionnelles sont très, très complexes à World Sailing, je m’étais dit que si la ligne n’était pas complètement franchie, il fallait continuer, peut-être plus discrètement, ce travail de fond pour faire changer les modalités en novembre. Le mid-year meeting n’était pas vraiment un échec, mais plutôt un encouragement à continuer. Même si, sur le coup, ce n’était pas évident à avaler. Mais très vite, quand on sait que ce n’est pas terminé, on reborde les voiles et on reprend la régate.

Qu’est-ce qui a fait pencher la balance en faveur de la course au large ?
Le lobbying. Nous avions une très belle organisation, avec une équipe constituée de quatre voire cinq personnes à Sarasota, dont Corinne Migraine, la vice-présidente de la Fédération département compétition-performance, en charge de la course au large. Avec les autres Français présents – dont je ne peux pas parler -, on a super bien bossé tous les aspects du lobbying : le pointage des votants, comment les faire changer d’avis, comment leur expliquer la course au large… On a fait un gros, gros, gros boulot de fond en étant aidés par des nations qui avaient parfaitement compris quels étaient les enjeux derrière ce vote, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis, quasiment toute l’Asie. Paradoxalement, les résistances provenaient de « vieilles nations » qui défendaient le Finn ou le 470, alors que le combat était déjà perdu.

A quels pays pensez-vous ?
L’Allemagne n’était pas avec nous, l’Espagne et l’Italie pas sûres… En gros, toutes les grandes nations anglophones de la voile, toute l’Asie, toute l’Afrique du Nord nous ont soutenu. Elles ont compris les enjeux qu’il y avait derrière ce vote pour la voile mondiale et elles ne se sont pas retranchée derrière des décisions de lobby, de classe ou de communauté.

Cette campagne de lobbying, en quoi consistait-elle précisément ?
Il fallait convaincre l’ensemble de la voile mondiale de l’opportunité inouïe de faire entrer la course au large au programme olympique. On change de catégorie en incluant l’offshore, on met un énorme coup de projecteur sur la voile en 2024. Marseille, c’est la deuxième ville de France, « chauvine » en quelque sorte, spécialisée dans la voile, le seul sport qui, dans sa totalité, n’est pas à Paris. L’idée était de profiter de ce coup de projecteur pour inclure la course au large dans le programme olympique et en faire l’événement le plus long de toute l’histoire des Jeux olympiques. En 2024, la diffusion se fera en live 24 heures sur 24 sur un événement qui durera trois jours et deux nuits, avec en parallèle la possibilité de faire du eSailing – de la régate virtuelle. Le monde entier pourra suivre la régate dans son fuseau horaire et pourra même régater à côté des compétiteurs !

Pourquoi insistez-vous autant sur la course au large comme discipline olympique ?
Alors que je suis moi-même un pur produit du dériveur ! J’ai bien fait de la course au large mais surtout des régates avec des copains, de la grande croisière en famille. Et pourtant, je suis conscient de l’opportunité pour la France et pour le reste du monde de se saisir de ce sujet. On n’a pas eu besoin de me convaincre, car c’est un fait, quand on prend un petit peu de hauteur, on est vite convaincu ! C’est le prolongement d’une démarche française qui a été de dire que la fédération, depuis des décennies, n’était pas que le dériveur, les championnats de France et les Jeux olympiques. La FFV a œuvré dans le sens du rassemblement de l’ensemble des pratiques de la voile, elle conclut ainsi ce travail, sur son territoire. La course au large est maintenant reconnue, puisqu’elle est aux Jeux olympiques en France. La Fédération boucle le sujet, en prouvant que la course au large fait partie de son périmètre.

Peut-on craindre que le CIO n’entérine pas les options prises par World Sailing ?
Cette décision doit en effet être confirmée, mais ce serait une bonne nouvelle pour le CIO qui nous dit depuis des années que la voile coûte cher, qu’elle n’est pas très médiatique. Il n’y a que trois ou quatre sports qui, de mémoire, se retrouvaient moins médiatisés que nous selon les classifications du CIO qui nous menaçait depuis des années. Même si certaines personnes au CIO n’en sont pas encore convaincues, je crois que l’entrée de la course au large est une excellente nouvelle pour le comité international olympique.

Parlons du choix du support, ce monocoque de 6 à 10 mètres sans foils. Sur quel support les compétitions olympiques pourraient se dérouler ? En avez-vous une idée ?
Non. Ce sera à l’Events Committee de mieux définir le périmètre et le format de la course au large, tandis que l’Equipment Committee déterminera le type de bateau en fonction de ce qu’a décidé la première commission et il le fera en coordination avec l’Oceanic and Offshore Committee qui entrera également en jeu [à noter que des Français siègent dans chacun de ces comités, NDLR]. Il reste un gros travail à faire. Il faut qu’en janvier-février 2019, nous ayons les idées plus claires avant le mid-year meeting de mai-juin. Pour ce qui concerne le support, sur chaque continent, il existe des séries de bateaux qui sont largement diffusées et correspondent à des pratiques nationales ou continentales, sur lesquels les fédérations s’appuieront pour entraîner et fabriquer des athlètes performants en course au large et ensuite il y aura des sélections continentales pour 2024. Doit-on le faire sur les bateaux de 2024 ou pas ? Et quel sera le bateau pour ces Jeux olympiques ? D’un côté, on aura le choix d’un bateau support pour les Jeux et tout en bas de l’échelle, si j’ose dire, une pratique à organiser pour commencer des entraînements et des sélections. Est-ce que les sélections se feront sur le même bateau ? C’est aux trois committees de maintenant travailler ensemble.

Comment envisagez-vous les sélections nationales des équipages ?
Les sélections se font l’année pré-olympique, c’est-à-dire, pour les JO de Paris, en 2023. Trois ou quatre années auparavant, on voit en général se dessiner des équipages très performants. Là, à deux ans des prochains Jeux olympiques à Tokyo, on voit déjà à peu près ceux qui devraient y être, même s’il y a parfois d’excellentes surprises lors de l’année pré-olympique. La fédération a su montrer qu’elle savait sélectionner les bons équipages et les emmener au sommet. Je n’ai pas de doute qu’on saura le faire aussi pour la course au large. On ne part pas de loin : on a les pôles d’entraînement de course au large, comme Port-la-Forêt pour ne citer que celui-là, qui est une fabrique de champions – c’était une idée fédérale de créer ce pôle. Peut-être faudra-t-il en mettre d’autres en route pour les Jeux de 2024, mais on sait amener des talents au plus haut niveau dans la course au large comme en olympisme.

Où en est-on du championnat du monde de course au large en 2019 ? Verra-t-il le jour ?
Je crois qu’il aura lieu en 2019. Mais tout n’est pas bordé encore. La décision de World Sailing pour les Jeux de 2024 va permettre de trouver des réponses concernant le championnat du monde offshore sailing monotype. Le fait qu’en mai dernier, la course au large n’entrait pas comme catégorie olympique ne jouait pas en sa faveur. Maintenant que la course au large est revenue dans le jeu olympique, on devrait trouver des solutions.

Tip & Shaft est le média
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