Pendant toute la durée du Vendée Globe, Tip & Shaft vous propose un décryptage de la météo et des trajectoires des 40 solitaires par Loïs Berrehar et Gaston Morvan, respectivement 2e et 3e de la Solitaire du Figaro Paprec 2024, qui se relaient une semaine sur deux. Gaston Morvan est aux commandes ce vendredi.
“La semaine dernière, Loïs évoquait un retard de plus de 400 milles pour le groupe des bateaux à dérives sur le peloton de tête à la sortie du Pot-au-noir, il est d’environ 1 800 milles au moment où le premier, Charlie Dalin, a franchi ce vendredi à 16h45 la longitude de Bonne-Espérance. La situation a clairement été favorable aux leaders qui ont accroché une dépression assez vite au Brésil, avec des conditions propices pour aller vite et tout droit vers le cap de Bonne-Espérance, à savoir du vent bien orienté et une mer pas trop formée.
On a vu des traces dont rêvent sans doute les candidats au Trophée Jules Verne qui sont sur le point de s’élancer ce vendredi (Sodebo Ultim 3 et SVR Lazartigue). Derrière, les uns après les autres, les retardataires se sont fait aspirer par du vent plus faible, ce qui a permis aux riches de devenir encore plus riches, le gain est vraiment important pour les Charlie Dalin, Seb Simon, Yoann Richomme et Thomas Ruyant.
Ces conditions ont aussi donné lieu à de nouveaux records des 24 heures en solitaire en monocoque, avec 615,33 milles pour Sébastien Simon, à 25,64 milles de moyenne ! C’est une belle performance, quand tu sais que le record en équipage du 100 pieds Comanche (qui a tenu quasiment huit ans, de 2015 à 2023) était de 618 milles. Ça montre à la fois comment les Imoca ont progressé d’un point de vue technologique en atteignant vite un haut degré de fiabilité et à quel point les marins ont tiré sur les machines.
Les petites différences entre les leaders sur ces derniers jours peuvent s’expliquer par des petits soucis techniques – vu les moyennes, tu as vite fait de perdre des milles si tu dois ralentir – mais également par des choix de voiles et le rythme que le marin décide de mettre à bord ; à quel point, par exemple, il accepte de naviguer surtoilé. J’ai vu une vidéo de Yoann dans laquelle il disait avoir fait une nuit sous grand gennaker dans 25 nœuds de vent – ce qui explique aussi son positionnement un peu sous les autres – c’est engagé ! Dans ces conditions, soit tu réduis, au risque de perdre du terrain sur les autres, soit tu gardes ta toile, mais tu serres les fesses pendant quelques heures. Tout est une question d’équilibre, de gestion du matériel aussi, chacun voit les choses un peu différemment.
On verra à la fin lequel aura été le plus intelligent, mais c’est sûr que Seb Simon a mis le curseur un petit plus haut que les autres, c’était important à ce moment-là de tirer fort sur le bateau pour rester dans le groupe de tête. Maintenant, les écarts restent assez faibles, les quatre premiers se tiennent en 50 milles, ça laisse espérer que la course reste aussi serrée lors des prochaines semaines. Derrière, les écarts se creusent, je pense que pour bénéficier des mêmes conditions que les leaders, il faut éviter de concéder aujourd’hui plus de 300 à 400 milles de retard sur Charlie Dalin, qui mène la flotte vendredi.
On est maintenant arrivé à la fin du scénario “couloir” qu’on a vécu cette semaine, avec plus de jeu, des empannages et du placement ; stratégiquement, ça va être plus intéressant que le grand tout droit de ces derniers jours. Pour ce qui est des leaders, l’enjeu est dans les prochaines heures de placer son point d’empannage pour faire un long bord tribord amure dans un vent qui va refuser. Le vent ne va pas être très stable, on devrait voir des petites différences de vitesse.
Le long bord tribord amure devrait durer jusqu’à la nuit de samedi à dimanche et après, ils vont empanner de nouveau et choisir leur positionnement en fonction d’une grosse dépression qui arrive autour de mercredi-jeudi à la longitude des Kerguelen, c’est la première de cette intensité, avec 35-40 nœuds. Le choix (voir routage ci-dessus) est entre une trajectoire plus directe au sud, avec un vrai gain – car derrière, tu récupères de la pression plus tôt par le sud – mais du vent fort mercredi et jeudi, ou une route plus conservatrice au nord, sur laquelle tu te fais moins tabasser pendant le passage du front, mais avec peu de vent derrière.
Ça va être super intéressant de voir ceux qui vont vouloir attaquer et faire face à la dépression, au risque de casser, et ceux qui vont préférer la jouer sécurité et gestion du matériel sur le long terme. En tout cas, on bascule à partir de maintenant dans un autre Vendée Globe ; jusqu’ici, même si les conditions étaient parfois inconfortables avec la vitesse, ils ont eu des forces de vent acceptables et des états de mer pas trop forts, ils ont continué à naviguer sous grand gennaker. Là, ils vont changer de mode, ça ne va plus être du train-train, on va sans doute voir des écarts en latéral, la question est aussi de savoir quelles moyennes ils vont pouvoir tenir. Entre les routages et les vitesses réelles, il y aura sans doute des différences. On va voir lesquels vont arriver à aller vite dans des états de mer plus formés, c’est peut-être là que les différences architecturales vont se faire plus sentir.
Pour ce qui est du groupe majoritairement constitué des bateaux à dérives, ils vont bénéficier à partir de maintenant de très bonnes conditions pour bien avancer jusqu’à Bonne-Espérance, sous l’anticyclone de Sainte-Hélène avec du portant modéré. Ils vont eux aussi devoir gérer une dépression en milieu de semaine prochaine, il vaudra d’ailleurs mieux être à l’avant du paquet que derrière, les retardataires risquent de plus subir cette dépression et donc de prendre plus cher, les leaders pourront plus facilement se positionner. Globalement, je les vois passer Bonne-Espérance aux alentours de jeudi prochain (voir image ci-dessus), avec 5-6 jours de retard sur les premiers.
Contrairement à il y a quatre ans, les foilers ont cette fois fait de grosses différences, et particulièrement les bateaux neufs. Parmi les neuf premiers, huit ont été mis à l’eau après le dernier Vendée Globe, il n’y a que Boris Herrmann qui n’est pas dans le bon paquet, on voit qu’une vraie hiérarchie technique s’est dessinée, c’est marrant de voir que c’est presque l’âge des bateaux qui fait le classement !
Les premiers se rapprochent d’ailleurs petit à petit du tableau de marche du record sur la course d’Armel Le Cléac’h (74 jours 3 heures 35 minutes). Ils avaient beaucoup de retard en sortie de Pot-au-noir à cause de la zone de transition avant les alizés qui leur avait fait perdre 4 jours, depuis, ils ont comblé une partie de ce retard, je pense qu’ils ont les moyens de faire un super temps jusqu’au cap Horn, même si on constate qu’il y a de bons trous sans beaucoup de vent entre chaque dépression. Il va falloir qu’ils gèrent bien ces zones de transition, ça ne va pas être facile, avec beaucoup de vent arrière donc des empannages.”
Photo : Martin Viezzer