Marie Tabarly sur Pen Duick VI

Marie Tabarly : “Pen Duick VI est redevenu une bête de course”

À bord du mythique Pen Duick VI lancé en 1973 par son père Eric, Marie Tabarly et son équipage, essentiellement composé d’amateurs, ont pris la deuxième place (en temps réel) des deux premières étapes de l’Ocean Globe Race, la course autour du monde par étapes “à l’ancienne”, inspiré de la Whitbread. u moment où s’élance la troisième étape entre Auckland et Punta del Este, la navigatrice a répondu à Tip & Shaft. 

▶︎ Quel bilan dresses-tu des deux premières étapes de l’Ocean Globe Race ?
Le premier objectif est de ramener le bateau et l’équipage à bon port, ce qui est chose faite jusqu’à présent. Nous voulions aussi battre les temps de passage de Pen Duick VI sur la Whitbread en 1981, mais cela n’a pas été possible en raison des conditions météo et des marques de parcours obligatoires. Nous avons terminé les deux étapes en deuxième position en temps réel, c’est bien ce classement en réel qui nous intéresse car avec notre rating, il est quasiment impossible de gagner en temps compensé. Je suis un peu frustrée car je sais que nous sommes largement capables de couper les lignes d’arrivée en premier.

▶︎ Es-tu satisfaite des performances de Pen Duick VI ?
Oui, ce bateau est incroyable ! Cela fait au moins 25 ans que je ne l’avais pas vu dans cet état, il est redevenu une bête de course. On peut tirer dessus à 200 %, il se fait plaisir et nous aussi. On n’a pas encore rencontré les conditions optimales pour Pen Duick VI, à savoir du gros temps où on maintient notre vitesse quand les autres décélèrent. Nous avons tout de même fait des surfs à 22-23 nœuds sous spi et tenu des moyennes à 12-13 nœuds sans trop de problèmes. Sur 24 heures, on a régulièrement parcouru 260 à 280 milles. Je sais qu’on peut faire beaucoup plus. On a vu sur la première étape que dans le petit temps, Pen Duick VI est rapide pour un bateau en aluminium de 34 tonnes.

▶︎ Ton équipage est essentiellement composé d’amateurs. Tout se passe bien à bord en termes de performance et d’ambiance ?
J’ai le meilleur équipage du monde ! Mes équipiers se marrent, ils adorent le bateau et ils apprennent beaucoup. Pen Duick VI reste un sacré colosse à manœuvrer. À l’avant, les empannages peuvent être rock’n roll avec les deux tangons de 70 kg chacun. Même dans les situations très chaudes, chacun sait ce qu’il a à faire, personne ne panique. Humainement, l’entente est parfaite. Tout le monde va dans la même direction, on n’a pas eu une seule tension à bord. Mes équipiers sont tous très ouverts et tolérants. Quand quelqu’un a un avis différent, personne n’émet de jugement. Nous pouvons donc parler de tous les sujets et avoir des conversations passionnantes. On vit vraiment quelque chose d’extraordinaire tous ensemble.

“Quand tu navigues à bord de Pen Duick VI,
tu appartiens à un patrimoine”

 

▶︎ Comment abordes-tu la troisième étape vers Punta Del Este ?
Avec l’envie d’être en tête. C’est l’étape qu’on attend tous à bord de Pen Duick VI, normalement, elle est faite pour nous. Sur la deuxième étape, j’ai un peu l’impression qu’on nous a volé notre océan Indien, avec un waypoint placé très nord. Nous avons effleuré les mers du Sud et constaté à quel point elles sont magnifiques. Nous avons envie d’y retourner. Seule la première place nous intéresse. Je veux que ce bateau, dont je suis très fière, décroche la victoire qu’il mérite.

▶︎ Comment vis-tu ce rôle de skipper autour du monde ?
En prenant beaucoup de plaisir, même si ce statut n’est pas facile. On prend tout le stress à terre et en mer. Quand il y a une faute ou une erreur, c’est pour ta pomme. J’ai un fort esprit de compétition qui me rend très exigeante avec moi-même. Ce tour du monde ponctue trois ans de travail, il dure huit mois avec un équipage de 21 personnes à gérer au total. C’est un gros projet mais c’est ce que je suis venue chercher. Ma récompense est de voir le bateau bien marcher avec un équipage heureux à bord.

▶︎ Participer à cette course hommage à la Whitbread, 50 ans après la première édition disputée par ton père sur le même bateau, c’est symbolique ?
Oui, forcément. Je suis contente si cela permet qu’on continue à parler d’Éric et qu’on ne mette pas aux oubliettes ce grand marin. Mais si je participe à l’Ocean Globe Race, ce n’est pas seulement par attachement à mon père. C’est aussi, et principalement, une relation entre Pen Duick VI et moi. Je pense que je n’avais même pas un an quand j’ai été prise pour la première fois en photo sur ce bateau. Jamais je n’aurais pensé en être un jour sa capitaine, encore moins en course autour du monde. Pourtant c’est arrivé. Quand tu navigues à bord de Pen Duick VI, tu appartiens à un patrimoine. Le bateau doit toujours être impeccable et l’équipage exemplaire.

“Ce n’est pas rien de s’attaquer au Jules Verne”

 

▶︎ Quel sera le programme de Pen Duick VI après l’Ocean Globe Race ?
Je ne sais pas encore exactement. J’ai des projets et la priorité est d’assurer des financements pour les réaliser. J’aimerais beaucoup repartir sur un tour du monde mais pas avec cet organisateur. En tout cas, je veux que Pen Duick VI continue à naviguer sur des beaux parcours, sinon ce genre de bateau finit par mourir. Il me nourrit énormément mais je sens que j’ai aussi besoin de faire autre chose. Peut-être que je naviguerai à nouveau en Imoca en double [elle a participé à la Transat Jacques Vabre 2021 avec Louis Duc, NDLR], en Ultim ou sur d’autres maxis.

▶︎ Tu fais aussi partie des navigatrices pressenties pour faire partie de l’équipage 100% féminin monté par Alexia Barrier en vue du Trophée Jules Verne, où en es-tu de ce projet ?
À l’issue de l’Ocean Globe Race, j’irai naviguer en Ultim avec Alexia, je me mettrai à son service. J’ai l’habitude de ces grands écarts. Ce n’est pas rien de s’attaquer au Jules Verne. Nous verrons si je me sens prête pour relever ce défi, et si Alexia veut m’embarquer dans l’aventure. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas navigué en maxi-multicoque, c’était il y a plus de 20 ans sur Geronimo.

▶︎ Quel est ton positionnement vis-à-vis de la course au large moderne ?
Je suis assez partagée, comme beaucoup de monde. C’est à la fois merveilleux et terrifiant. C’est passionnant de voir des machines qui, technologiquement, tirent l’innovation vers le haut. Mais cela engendre des bilans carbone énormes et le monde ne va plus dans ce sens. Si on était raisonnables, on ne ferait pas de la course au large comme on en fait actuellement. Il y a une forme d’excès. Après, j’ai bien conscience qu’il y a tout un système autour qui fait vivre beaucoup de personnes. Comment tout changer sans mettre à plat l’économie ? Je n’ai pas la solution. Peut-être qu’il faut commencer par pérenniser les bateaux et créer de nouveaux circuits. Seulement il faudra aussi réinventer un nouveau système économique, où les retours média seront moindres…

Photo : The Elemen’Terre Project

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