Yoann Richomme analyse le Vendée Globe 2020

King Alex et le Roi Jean font du bateau – L’analyse Vendée Globe de Yoann Richomme

Chaque semaine pendant le Vendée Globe, le double vainqueur de la Solitaire du Figaro, lauréat de la Route du Rhum 2018 en Class40, livre son analyse tactique et stratégique de la course, en exclusivité pour Tip & Shaft.

C’est la star de cette fin de première semaine de Vendée Globe : la 28e dépression tropicale de la saison, baptisée Thêta – vents de 40 nœuds, rafales à 50/60, 4 à 5 mètres de mer – barre la route de la tête de la flotte des Imoca. Et donne à Alex Thomson l’occasion de jouer son premier coup en passant très proche de son centre. Est-ce une prise de risque inconsidérée pour le leader ? En tout cas, la majorité de ses concurrents ont opté pour une route plus sûre en prenant le “périphérique ouest”, plus long… mais moins venté.

L’un des gros enjeux d’une trajectoire aussi proche du centre de la dépression est le risque lié à un empannage dans le plus fort du vent, en particulier la casse de lattes au moment du passage violent de la GV. Sans parler du moment scabreux où le mât n’est plus tenu par les bastaques mais seulement par les haubans des outriggers.

 

Routage Hugo Bosss à 48h

 

THOMSON EN PATRON

Mais au classement de 15h ce vendredi, Alex Thomson semble être parvenu à effectuer la manœuvre sans encombre et affiche un joli matelas de 50 à 70 milles d’avance sur ses adversaires directs (Nicolas Troussel, Thomas Ruyant, Kevin Escoffier, Charlie Dalin). Si tout se passe bien pour Hugo Boss, il sortira vers 21h ce soir du contournement de la dépression avec une avance de 80 à 100 miles.

La suite pour Alex et ses copains consiste à placer un nouvel empannage ce samedi en milieu de journée, puis ce sera route vers le Pot-au-noir. C’est à ce moment-là que nous verrons les foilers exprimer enfin leur véritable potentiel de vitesse sur un bord de reaching de 1 200 miles. Avec 15 à 20 nœuds de vent à 115°, les foilers seront à la fête avec des moyennes supérieures à 20 nœuds sur une mer calme. Le plaisir de la glisse, enfin, et le moment de récupérer un peu de sommeil.

La tête de la flotte devrait rentrer entre le mercredi 17 et le jeudi 18 dans un Pot-au-noir qui semble décalé vers l’est, donc très favorable à un passage rapide. Un système dépressionnaire dans l’Atlantique sud semble compliquer la route vers le cap de Bonne Espérance tandis qu’une large zone anticyclonique devrait les empêcher de couper le fromage. Tout cela aura une influence sur le choix du passage du Pot-au-noir et de la route le long du Brésil.

 

Situation le 20/11

 

COUP DE CŒUR POUR LE CAM ET DUTREUX

La trajectoire du Roi Jean et de son jeune Padawan Benjamin est à retenir ! Aux avant-postes depuis le passage du front de mardi en optant pour une route assez sud qui les a protégés de la dorsale, ils sont ensuite rentrés dans l’aspiration de la dépression suivante en premier, la coupant en son centre, limitant les manœuvres et optimisant leur angle de vent.

Depuis jeudi matin, Benjamin a plus de mal à suivre le rythme de Jean, mais reste deuxième « dériveur », une sacrée perf pour notre jeune loup. Quant à Jean, il se dirige tranquillement vers un passage au plus proche du centre de Thêta, minimisant encore une fois la route parcourue et les changements de voiles.

Une véritable leçon de navigation en Imoca, administrée dès dimanche dernier. Parti avec un J2, alors que tous les autres concurrents portaient des voiles beaucoup plus grandes qui allaient servir une douzaine d’heures maximum, Jean à non seulement tenu le rythme en adaptant sa trajectoire, mais en plus il n’a probablement pas changé de voile avant le mardi 10 au matin, juste avant l’arrivée du front ! Une sacrée économie d’énergie pour un résultat impressionnant.

 

LE MORAL À FLEUR DE PEAU

On le voit dans de nombreuses vidéos venant du large : le moral de nombreux marins a été fortement affecté par ces premiers jours de course. Pour l’avoir vécu de près – j’étais à bord d’Apicil avec Damien Seguin -, le poids émotionnel d’un tel départ est énorme. D’un seul coup, on se retrouve face à la réalité d’une course en solitaire et on réalise l’ampleur de la tâche à venir et la durée de l’aventure. Au fur et à mesure que les semi-rigides s’éloignent, la gorge se serre et on est à fleur de peau.

Il faut absolument essayer de se mettre dans la régate et sortir de l’émotion sinon elle vous envahit. Très rapidement on est ensuite dans les premières manœuvres (difficiles après un mois sans naviguer) et les premiers choix.

Après le passage des premiers fronts, les problèmes techniques font leur apparition ; avec la fatigue et la difficulté à s’alimenter du début de course, il est très facile de se laisser dépasser par les émotions. L’envie de tout arrêter peut très vite arriver et il faut lutter pour rester rationnel. Problème : on ne sait plus trop si on est fatigué ou si on a faim ou les deux. Avec l’expérience on arrive à gérer cela. Lors de la Route du Rhum en 2018, j’ai cassé mon anémomètre alors qu’il me restait presque 15 jours de course. J’ai regardé les solutions pour faire escale, alors que j’avais tout pour réparer à bord ! Après un bon repas et une bonne sieste, tout va mieux, comme Clarisse l’a bien raconté.

Photo : Jean-Marie Liot – Portrait : Alexis Courcoux

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