Michel Desjoyaux

Michel Desjoyeaux : “Ma vie, c’est d’imaginer des solutions et d’aller m’en servir”

A l’aube de ses 60 ans, Michel Desjoyeaux, double vainqueur du Vendée Globe,  lance un projet Class40 avec Alexandre Le Gallais, avec, à la clé, la conception et la construction d’un nouveau bateau, l’Agité40. Entretien.

Comment es-tu arrivé à la Class40 ?
Ça part d’un coup de téléphone il y a trois ans d’Alexandre Le Gallais. Il avait acheté un Class40, le 115, et voulait des penons électroniques pour faire naviguer des aveugles avec l’association Unadev. On a démarré une société. Il a mis ça sur son Mach40 et a acheté un deuxième bateau, le 190, un Mach40.5. Un jour, il m’a dit, « Mich, t’aimes bien imaginer des trucs et optimiser, t’as jamais fait de Class40. Ça ne te dit pas d’en dessiner un, de le construire et on navigue avec ? » Voilà comment je me suis retrouvé dans cette opération. Il y a un début à tout ! On a dessiné l’Agité40 avec Olivier Mousselon, l’architecte naval de Mer Forte. L’équipe a fait tout ce qui est calcul de structure et plan de pont. J’ai mis mon grain de sel et il est en construction depuis cet hiver à Mer Agitée.

La mise à l’eau est pour quand ?
Je ne sais pas encore. On aurait dû aller à l’eau en début de saison mais on navigue encore avec le 190. On a fait le Spi Ouest et la Normandy Channel Race où on a eu un problème de safran. On a abandonné mais on avait déjà fait la moitié du parcours. On va faire les Sables-Horta avec le 190, parce qu’Alexandre rentrera en solitaire et fera le Rhum avec l’année prochaine. On espère aller au Fastnet avec le bateau neuf, mais il ne sera peut-être pas encore optimisé.

Pas sûr d’avoir envie
de faire le Rhum à 61 ans” 

Et toi, le Rhum en Class40 ne te tente pas ?
Si, avec un peu de sucre et de citron, ça va très bien… ! Peut-être que l’année prochaine, je vais dire, zut, j’aimerais bien y aller aussi, mais pour le moment, ce n’est pas du tout mon objectif. Autant aller faire du double, faire les régates ensemble, ça me fait marrer. Mais je ne suis pas sûr d’avoir envie de faire le Rhum à 61 ans. 

Justement, peux-tu nous parler de l’Agité40 d’un point de vue technique ?
J’espère qu’on a fait un joli dessin et que le bateau est très performant. Le but du jeu est de ne pas en faire un seul, on a investi dans des moules et des études, donc il faut que celui-là aille vite et qu’on en fasse d’autres. On a aussi la possibilité de faire un bateau à franc-bord plus important pour faire, par exemple, un IRC. Le moule est adapté. Le but, c’est de naviguer avec et d’en faire beaucoup. On a essayé d’optimiser des choses qui marchaient chez les autres. J’ose espérer qu’on est très solide, notamment sur la partie coque, qui est une cause d’abandon de pas mal de bateaux.

As-tu amené des choses précises de tes expériences passées sur ce modèle ?
L’organisation du cockpit avec quatre winches, deux goulottes et une porte centrale. On a beaucoup centré et descendu les poids pour mettre plus de matière dans la structure. Après, ça reste un Class40 avec une quille fixe et deux safrans relevables. La jauge est bien foutue – simple à comprendre et intéressante à exploiter.

Qui finance le développement de l’Agité40 ?
Pour le moment, c’est principalement Alexandre qui a amené des sous. Je vais en amener un peu aussi. On a déjà quelques sponsors mais ça ne suffit pas. Mais quand tu fais tout toi-même, ça ne coûte pas très cher.

“J’espère aussi qu’on aura
d’autres Class40 à construire”

Tout faire soi-même, ça comprend le développement de l’Agité40 ?
La construction, non, parce que la société qui s’occupe des penons électroniques l’achète à Mer Agitée, qui le construit. J’espère qu’un jour, on sera capable de se sponsoriser. Sur ces petits projets, tu as beaucoup de multi-sponsoring. On a aussi fait une campagne de crowdfunding sur Ulule pour fidéliser un groupe de fans et faire du réseau social de proximité. On a 60, 70 fans de la première heure. Certains sont venus au chantier, il y en a qui viendront naviguer et voir des départs de course. Le but du jeu, c’était : « Vous nous aidez au démarrage ; on vous alimente avec des infos que personne d’autre n’aura. » On a un groupe WhatsApp, j’explique des trucs, je raconte. On est dans l’échange.

Qu’en est-il de tes autres activités, notamment à Mer Agitée et Mer Forte ? 
Un groupe espagnol a racheté une grosse partie de Mer Forte il y a trois ans et je n’ai plus que 10%. Mais c’est Mer Forte qui a dessiné le bateau, ils m’appellent de temps en temps, ça marche toujours. Mer Agitée a fait pas mal de pièces et de refits de bateaux du Vendée Globe. On va continuer puisqu’on a du monde dans l’atelier. J’espère aussi qu’on aura d’autres Class40 à construire si celui-là marche bien. Et puis, je travaille avec Michelin sur le projet Wisamo. C’est une voile gonflable automatisée à destination du transport maritime, de la grande plaisance ou des bateaux de travail. Remettre de la propulsion vélique, c’est un retour au bon sens.

On a beaucoup parlé de technique et de collaboration, mais qu’est-ce que tu recherches en repartant sur ce projet, en mer ?
Qu’est-ce qui m’a branché ? Le défi de faire un nouvel objet de compétition. Ça a été ma vie. Les gens me connaissent comme sportif, comme compétiteur, mais moi, c’est pas ça. Ma vie, c’est d’imaginer des solutions, de les concevoir et d’aller m’en servir. La compétition est venue après dans ma carrière. D’une certaine façon, je suis revenu à mes amours. Comme j’ai un peu de bagage, je mets mon grain de sel partout. Je passe pas mal de temps à faire des plans et des pièces. Cette partie-là m’amuse. Après, aller naviguer avec le bateau, essayer de bien le faire marcher – oui, ça fait partie de ce que j’ai envie de faire. Quand tout se met en route, le sabot gratte. Le monde des terriens est en train de devenir complètement fou, et mine de rien, en mer, on est pas mal, j’ai beaucoup de plaisir à y aller. On s’est fait un peu secouer sur la Normandy Channel Race, mais je n’avais pas le mal de mer, on était bien. Par contre, les bateaux ne sont pas très confortables, d’ailleurs, je suis allé m’acheter un casque. Je pense que ces bateaux-là sont au même niveau d’inconfort que les foilers. Quand ça tape, tu te demandes comment ça tient. Tu as toutes les vertèbres qui partent en sucette.

“Faire des choses assez simples
me va bien !”

Ça ne doit pas être facile physiquement ?
Ça va, parce que ce ne sont pas des gros bateaux. Le spi fait 200 m2, la moitié d’un spi d’IMOCA, il n’y a pas de foils, pas de dérive, le gennaker doit faire 35 kg, 45 quand il est mouillé. On a des voiles en composite facilement performantes. Alexandre fait les manœuvres sur la plage avant et je m’occupe de la partie cockpit. Ce sont des petits bateaux de 4,5 tonnes, pas des monstres. Quand tu veux partir du port, t’as pas besoin d’avoir 50 gourzoutes avec un semi-rigide.

C’est un changement d’échelle qui t’est agréable ?
C’est top d’avoir de gros bateaux avec de grosses équipes. Je me suis éclaté à le faire pendant longtemps. Mais le côté petite équipe est sympa. Je ne suis pas solitaire, mais je ne suis pas non plus un grand expansif. J’ai adoré toute la partie équipage, je ne crache pas dans la soupe, mais à mon âge, après ce que j’ai fait, faire des choses assez simples, ça me va bien !

Ce sont des étapes de vie…
Voilà, exactement. Je continue d’être admiratif de ce qui se fait sur le Vendée, du développement des Ultimes, de voir les Ocean Fifty s’éclater sur les Grands Prix, je regarde le Figaro. Je ne suis pas nostalgique !

Photo : Jean-Marie Liot 

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