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Armel Le Cléac’h : « L’Arkea Ultim Challenge est clairement le défi le plus haut »

Pour ce 400e numéro, Tip & Shaft s’est entretenu avec Armel Le Cléac’h, à un peu plus de deux semaines du départ de l’Arkea Ultim Challenge-Brest, première course autour du monde en solitaire et en Ultim de l’histoire. Un rendez-vous que le skipper de Banque Populaire XI aborde avec ambition, envie, et forcément un peu d’appréhension.

▶︎ Tu as remporté la Transat Jacques Vabre avec Sébastien Josse, quelle saveur a eu cette victoire ?
C’était une grande joie de gagner cette course difficile avec un parcours long et une météo assez variée. On est vraiment contents de la façon dont on a navigué et réussi à tenir tête à nos concurrents pendant toute la course. Banque Populaire XI a maintenant deux ans, on commence à récolter les fruits de notre travail, sachant que les Ultim sont des bateaux longs à mettre au point. Ce qui est aussi très satisfaisant, c’est qu’après la Route du Rhum 2022, on avait mis l’accent sur la fiabilité de l’ensemble des systèmes, on a fait un gros travail là-dessus, et à l’arrivée, le bateau a terminé en super état, on a pu utiliser tous les systèmes de façon optimum pendant toute la course. C’est ma première grande victoire en multicoque depuis le début de ma carrière, donc ça fait forcément plaisir, elle fait aussi du bien à toute l’équipe, parce qu’on a eu un début d’année compliqué, avec des histoires qui nous ont fait mal, ça fait du bien de retrouver la positive attitude et de réussir ce qu’on sait faire de mieux, à savoir du sport et jouer la gagne.

▶︎ Ces histoires dont tu parles (affaire Clarisse Crémer) t’ont-elles aussi affecté ?
Oui, bien sûr. J’ai été touché pour beaucoup de personnes de l’équipe qui se sont senties trahies et ont été très déçues, mais aussi marquées par tous les commentaires autour d’eux, elles ne comprenaient pas. Ce sont des gens que je connais très bien – je travaille avec certains depuis plus de dix ans – qui se donnent à plus de 100% pour l’équipe, répondent présents jour et nuit quand on a besoin d’eux, ça n’a pas été une période facile à vivre. Tout ça est maintenant derrière nous, mais c’est clair que cette victoire a fait du bien : on a montré, grâce à notre travail et sans forcément faire de bruit, de quoi on était capables. Maintenant, on sait qu’en course au large, les choses vont très vite ; il y a un an, on avait terminé septièmes de la Route du Rhum, loin de nos ambitions, et là, on a fini sur la plus haute marche du podium. C’est pour ça qu’il faut savourer ces moments qui ne sont pas faciles à obtenir, même si on a très vite basculé sur l’Arkea Ultim Challenge.

 

“Le fait de partir sur une montagne
encore plus haute à gravir m’a attiré”

 

▶︎ Banque Populaire XI a affiché des performances marquantes au portant, comment l’expliques-tu ?
D’abord, on a réussi à trouver des réglages pour améliorer les performances du bateau, pas seulement au portant d’ailleurs, à toutes les allures. C’est long de trouver le mode d’emploi de ces bateaux, on l’a vu avec Gitana qui a mis un certain temps avant de dominer le circuit. Après, ça se joue beaucoup au niveau du design des foils : quand on a dessiné le bateau et les appendices, l’objectif était de le typer pour la météo du tour du monde, donc de faire des foils nous permettant d’être performants pour les conditions de portant avec du vent et de la mer. Ça ne nous a donc pas totalement étonnés qu’on soit plus à l’aise que SVR dans l’alizé fort ; je pense que si Gitana n’avait pas eu ses soucis techniques, il aurait pu être à notre niveau dans ces conditions. Après, on a aussi vu qu’au près dans du vent un peu médium, SVR était un peu meilleur que nous, donc on a aussi du travail pour combler ce déficit.

▶︎ Vous avez très vite basculé sur l’objectif Arkea Ultim Challenge, peut-on dire que, par rapport à nombre de vos concurrents qui ont rencontré des problèmes techniques sur la Jacques Vabre, vous avez eu une préparation idéale ?
Idéale, je ne sais pas, mais on est dans notre feuille de route, dans le planning qu’on avait imaginé. Maintenant, on sait qu’au départ de Brest, les compteurs vont être remis à zéro, on part en solitaire et sur un tour du monde, on ne va pas fanfaronner parce qu’on a gagné la Jacques Vabre et qu’on a eu moins de soucis techniques que nos concurrents. On a suffisamment d’expérience pour savoir que, d’une course à l’autre, le scénario peut être très différent et qu’une avarie peut survenir du jour au lendemain – on l’a vécu sur la Route du Rhum, c’est encore très présent dans notre tête. On reste réalistes et concentrés, sans s’emballer par rapport à ce qu’on a fait, on est même peut-être plus à l’affût, en allant vérifier des choses qu’on n’aurait pas vues en arrivant de Martinique. C’est pour ça que, même si la plateforme est restée à l’eau, on a démâté, démonté toutes les pièces, dont les appendices, pour tout contrôler.

▶︎ Comment vois-tu cet Arkea Ultim Challenge-Brest par rapport à tout ce que tu as fait précédemment ?
C’est clairement le défi le plus haut, mon premier tour du monde en multicoque, en plus en solitaire. On part sur le même parcours que le Vendée Globe, mais sur des bateaux plus grands, plus exigeants, plus rapides. Maîtriser un Ultim en solitaire est un exercice très relevé, qui demande du temps et de l’expérience, on a toujours en tête le risque de chavirage, et je ne te cache pas que dormir à 35 nœuds de vitesse, voire 40, c’est beaucoup plus compliqué que sur un monocoque ! Donc ça va être d’une intensité de dingue, mais c’est aussi pour ça que j’ai eu envie de me lancer sur ce défi. Après avoir fait le tour de la question en bouclant trois fois le Vendée Globe, c’est le fait de partir sur une montagne encore plus haute à gravir qui m’a attiré. En plus, on est les premiers à s’y attaquer, donc il y a aussi ce côté pionnier qui est passionnant, j’espère qu’on va écrire une nouvelle page de la course au large. On n’a aucune idée de comment ça va se terminer, mais si ça marche, ce sera le début d’une belle histoire, comme ça a été le cas en 1989 avec les Lamazou, « VDH », Peyron ou Poupon sur le premier Vendée Globe. On se souvient presque de tous les noms des 13 marins qui étaient au départ, c’est un peu la même idée sur cette course.

 

“Charles reste pour moi
l’adversaire le plus coriace”

 

▶︎ As-tu de l’appréhension quand tu t’y projettes ?
Oui, il y a forcément de l’appréhension, j’y pense tous les jours. Même pendant la Jacques Vabre, on en parlait souvent avec Jojo, je lui demandais comment il ferait en solitaire dans telle ou telle situation. On sait qu’il va y avoir plein de moments compliqués, je n’ai jamais fait 45 ou 50 jours de mer tout seul sur un tel bateau, pour l’instant, mon maximum a été une grosse semaine sur la Route du Rhum. Ce n’est pas du tout le même exercice, il va falloir trouver le rythme, gérer la fatigue du marin et de la machine. Il y a beaucoup d’inconnues, mais j’essaie de ne pas trop me projeter pour ne pas me fatiguer inutilement avant de partir. Et ce qui me rassure, c’est le fait de connaître très bien le bateau, ça fait maintenant deux ans que je navigue dessus, j’ai rencontré toutes les conditions, je sais comment le régler quand le vent change, j’ai confiance dans les systèmes.

▶︎ Si je te demandais de te mettre à ma place et de faire des pronostics, qui citerais-tu ?
(Rires). Sur les six bateaux, cinq peuvent gagner et faire un tour du monde en moins de 50 jours, Eric (Péron) est plus sur un projet comme on en voit sur le Vendée Globe avec des marins qui sont là avec l’objectif de terminer avant tout. Après, si on regarde derrière nous, Charles (Caudrelier) reste pour moi l’adversaire le plus coriace, le plus dangereux, ils ont tout gagné avec Gitana, ils ont déjà été dans le Sud sur le Trophée Jules Verne, même s’ils ne l’ont pas bouclé (abandon à mi-parcours), c’est une expérience qui va leur servir.

▶︎ As-tu le sentiment que vous jouez un peu l’avenir de la classe Ultim sur cette course, dans le sens où, si elle est réussie, cela pourrait permettre d’attirer de nouveaux partenaires ?
On aimerait bien sûr que d’autres partenaires et skippers rejoignent la classe Ultim, d’ailleurs, un des meilleurs bateaux de la flotte est à vendre (le Maxi Edmond de Rothschild, voir notre article). Je ne serais pas étonné que certains marins qui vont jouer la gagne sur le prochain Vendée Globe aient dans un coin de la tête l’idée de venir faire de l’Ultim ensuite, ce serait logique et génial. Et forcément, si la course est réussie, cela sera un argument de plus. On est déjà contents d’être six au départ pour cette première, si dans quatre ans, on est huit, ça voudra dire que le pari est réussi.

▶︎ Et ce sera toujours avec toi au départ ?
Je te dirai ça à l’arrivée !

Photo : Jeremie Lecaudey / BPCE

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