Cole Brauer

Cole Brauer : “J’ai adoré chaque moment de chaque jour !”

A bord de son Class40 First Light, Cole Brauer (29 ans) est devenue le 7 mars la première Américaine à boucler un tour du monde en solitaire sans escale (130 jours), deuxième du Golden Globe Solo Challenge derrière le Français Philippe Delamare. Une performance qui, conjuguée à un enthousiasme communicatif, a fait d’elle un phénomène médiatique aux Etats-Unis. Tip & Shaft s’est entretenue jeudi avec elle.

► Peux-tu nous raconter comment tu as découvert la voile ?
J’ai commencé à naviguer à l’université d’Hawaï où j’étudiais la médecine. J’avais la possibilité de faire du kayak, du paddle, la voile était aussi une option. J’ai parlé à un entraîneur et je lui ai dit que j’aimerais essayer pour le fun, il m’a regardée et m’a dit que j’avais la taille idéale pour naviguer sur de petits bateaux, comme le 420, où il y a généralement un grand et un petit gabarit. J’ai tout de suite trouvé ça merveilleux et, à partir de ce jour, j’ai décidé de faire plus de voile que d’études, mes parents n’étaient pas très contents…

► Connaissais-tu quelque chose de la course au large ?
Pas avant l’université. C’est là que j’ai appris l’existence de la Volvo Ocean Race, qui est assez connue aux États-Unis. J’ai ensuite découvert le Vendée Globe lorsqu’un de mes mentors m’a donné le livre d’Ellen MacArthur. Je l’ai lu en une journée, j’en ai pleuré, et j’ai immédiatement réalisé que c’était ce que je voulais faire. C’était incroyable pour moi de voir quelqu’un de la même taille que moi terminer deuxième du Vendée Globe. Elle est de loin mon idole numéro un ! C’est ainsi que l’histoire a commencé.

► Tu as finalement décidé de lancer ce projet de Global Solo Challenge, pourquoi ?
J’ai navigué au large pendant mes études universitaires, j’ai ensuite déménagé sur la côte Est et j’ai commencé à travailler comme skippeuse et préparatrice de gros bateaux. J’ai fait beaucoup de convoyages, ce qui m’a donné du temps pour apprendre et travailler sur mes projets. L’année dernière, avec mes sponsors, nous avions prévu de faire la Transat Jacques Vabre en Class40, j’étudiais aussi la possibilité de faire le Global Solo Challenge. Ils m’ont demandé : “Laquelle de ces deux courses peux-tu gagner ?” J’ai répondu qu’avec un vieux Class40, ce n’était pas possible de gagner la Jacques Vabre, ils m’ont alors demandé : “Peux-tu gagner le Global Solo Challenge ?” J’ai répondu que c’était bien plus probable, c’est ainsi qu’ils ont décidé de m’accompagner sur ce projet.

 

“Tout le monde pleurait, sauf moi !”

 

► Pour quel budget ?
Il était assez élevé, d’abord parce que notre équipe était bien plus importante que celle de tous les autres concurrents, ensuite parce que nous étions basés aux États-Unis. Mais les sponsors ne voulaient pas seulement participer, ils voulaient aussi gagner, donc il fallait s’engager à 100%. On est partis sur un budget d’environ 300 000 $ (275 000 €), et je pense qu’avec le bateau inclus, il est proche d’un million de dollars (920 000 €).

► Comment t’es-tu sentie pendant la course ? Sur les photos, tu étais toujours en train de sourire…
J’ai adoré chaque moment de chaque jour ! Je ne me souviens même pas de la pire journée, car c’était secondaire par rapport au reste. J’ai forcément eu des moments difficiles, je me suis par exemple blessée aux côtes et la même semaine, j’ai eu des problèmes de pilote automatique et de safran. Il a fallu que je passe deux jours dans le compartiment du safran avec mes côtes blessées dans les mers du Sud, c’était assez douloureux. Tu peux avoir l’impression qu’un jour, tout s’écroule, mais le lendemain, ça va beaucoup mieux parce que ça ne peut pas être aussi mauvais, alors tu continues à avancer ! À la fin d’ailleurs, je ne voulais pas vraiment que la course se termine. Lorsqu’on discutait de l’arrivée avec l’équipe, cela ne me dérangeait pas de ralentir pour arriver aux premières lueurs du jour, ce que nous voulions car c’est le nom du bateau (First Light).

► Parle-nous de ton sentiment au moment d’arriver…
Quand je suis arrivée au ponton, tout le monde pleurait, j’étais la seule à ne pas pleurer ! Je n’arrêtais pas de me dire que je devrais pleurer, en fait, ça me semblait banal, normal. J’étais depuis si longtemps sur ce bateau qu’en arrivant, je n’ai pas réalisé que ma famille et mes amis avaient eu peur et avaient été si nerveux pour moi.

 

“J’adorerais faire le Vendée Globe en 2028”

 

► Est-ce important pour toi de montrer qu’une femme peut réussir un tel tour du monde en solo ? Tu es par ailleurs assez engagée dans la défense des droits des femmes, peux-tu nous en dire plus ?
Oui, je pense que c’était le sens à l’origine de la campagne. Il ne s’agit pas seulement d’être une femme, mais de montrer que l’on peut avoir une énergie féminine, que l’on n’a pas besoin d’être un marin masculin et fort. Et oui, je suis très engagée pour défendre les droits des femmes, parce que je pense que ce n’est pas juste d’être discriminé à cause de quelque chose que l’on ne peut pas contrôler. La communauté de la voile est très dominée par les hommes, les femmes sont moins bien payées, moins respectées et bien souvent, on ne leur confie pas le poste de skipper. Vous pouvez le constater rien qu’en voyant le nombre de femmes qui participent au Vendée Globe par rapport aux hommes.

► Ta course a été suivie par de plus en plus de monde au point de passer de 30 000 à 500 000 followers sur Instagram. T’attendais-tu à ça et as-tu eu beaucoup de demandes d’interviews depuis ton arrivée ? 
Avant mon départ, nous discutions avec mon équipe dans un bar et nous faisions des paris sur le nombre de personnes qui nous suivraient. J’ai dit 30 000 au maximum et quelqu’un a dit 500 000. Je lui ai ri au nez parce que je trouvais cela ridicule, je ne suis pas Taylor Swift ! Et finalement, il avait raison, c’est de la folie ! J’ai fait un total de 24 heures d’interviews depuis que je suis arrivée, je n’ai même pas eu une nuit complète de sommeil, j’ai hâte de prendre l’avion pour huit heures et que personne ne puisse me parler.

► Quels sont tes projets maintenant ?
Je rentre aux États-Unis le 19 mars. J’ai quelques conférences ici ou là, je ferai probablement quelques petites courses depuis Newport, mais il s’agit surtout de préparer les prochaines étapes. J’adorerais faire le Vendée Globe en 2028. Mais c’est beaucoup d’argent, un bateau à trouver, il y a tellement de choses à faire ! Je continue à prendre les choses au jour le jour, étape par étape, il s’agit juste de s’organiser et de commencer les plans. Je vais très bientôt redevenir un marin professionnel.

► Rendez-vous en novembre aux Sables d’Olonne ?
Oui, c’est déjà prévu. J’y serai. J‘étais en France pour le départ de la Route du Rhum, c’était incroyable, tellement différent des Etats-Unis. En France, les coureurs sont des superstars, alors j’adorerais venir et rencontrer tout le monde.

Photo : James Tomlinson

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧