Ian Lipinski prendra en début de semaine le départ à Lorient du prologue – prévu le 31 août, il a été reporté en raison des conditions météo – de la deuxième édition de la Globe40, tour du monde avec escales en Class40 disputé en double. Un défi riche en nouveautés pour le skipper de Crédit Mutuel. Entretien.
Pour quelles raisons as-tu souhaité t’engager sur la Globe40 ?
Avec mon partenaire, nous avions d’abord pensé à un autre tour du monde en Class40, qui devait se disputer en solitaire et avec beaucoup moins d’escales [The Race Around, prévu en 2023, NDLR]. Finalement, cette course n’a jamais vu le jour, mais quand bien même elle aurait eu lieu, je n’y serais finalement pas allé, car à ce moment-là, je ne me sentais pas prêt à relever un tel défi. J’ai imaginé l’hypothèse de devoir gérer d’éventuels soucis structurels sur mon bateau, seul dans les mers du Sud, et j’ai pris peur. À l’automne 2024, avec le Crédit Mutuel, nous avons remis sur la table l’idée de participer à un tour du monde, mais en double et avec davantage d’escales, la Globe40. Tout le monde a été partant. J’ai pris de l’expérience en Class40, mon équipe aussi, cela ne nous paraît plus insensé de relever ce défi. On part certes dans une forme d’inconnu, mais on n’y va pas non plus en mode tête brûlée.
Tu parles d’une “forme d’inconnu”, que veux-tu dire par là ?
C’est une épreuve qui sort du cycle classique. Je fais du Class40 depuis 2019 et il y a quand même une forme de répétition des événements qui se met en place. Je voulais faire quelque chose de différent. Avec la Globe40, j’ai l’impression de repartir à l’aventure, sur un exercice que je ne connais pas. J’apprécie beaucoup le circuit “habituel”, avec les enjeux liés aux transatlantiques extrêmement compétitives, mais c’est excitant de se lancer un nouveau challenge, cela donne une sorte de respiration. C’est aussi l’occasion de faire un beau voyage, si tout se passe bien sur les différentes étapes, on aura du temps pour profiter des escales.
La dimension endurance sera prépondérante sur la Globe40…
Exactement, il va falloir enchaîner les étapes, l’équivalent de sept ou huit transats, sans avoir la possibilité de revenir au stand à Lorient, notre port d’attache. Cela va donc imposer un nouveau rythme. On ne pourra pas naviguer à fond, tout le temps, il faudra avoir la capacité de calmer le jeu, de mettre de côté le démon de la régate. Car si on loupe une étape en raison d’un gros souci technique, tout sera remis en cause. Cet enjeu de réussir à naviguer un peu plus sagement m’intéresse et m’interroge.
“On va entrer dans le vif
du sujet petit à petit”
C’est en effet une vraie question de savoir comment ils vont encaisser le parcours. Aujourd’hui, on n’a pas la certitude que ces modèles de Class40 modernes soient capables d’enchaîner autant d’étapes en affrontant des conditions potentiellement très exigeantes. Comme ils sont larges et plats sur l’avant de la carène, ces bateaux tapent très fort. Ces dernières années, plusieurs scows ont subi des problèmes structurels, les réparations sont à chaque fois très compliquées, difficile d’imaginer les effectuer en deux semaines lors d’une escale à l’autre bout du monde. Il faudra donc essayer, autant que faire se peut, d’éviter ces soucis de structure. Si les trois scows au départ ne passent pas Sydney, on se dira que c’était peut-être un peu trop tôt pour partir autour du monde avec ces bateaux. Rendez-vous à l’arrivée dans huit mois pour le verdict !Face à toutes ces nouveautés, ressens-tu une part d’appréhension ?
Cela m’étonne un peu, mais pour le moment, pas du tout. Essentiellement parce qu’on part en double. En fait, je ne réalise pas que je me lance dans un tour du monde. Peut-être que l’appréhension va venir au moment des étapes dans les mers du Sud. Aujourd’hui, je me projette sur un départ depuis la Bretagne, fin août, pour une petite étape à destination de Cadix. Sur le papier, ça commence vraiment en douceur. Rien à voir avec un départ de Route du Rhum en novembre, avec possiblement plusieurs fronts à affronter en solo. Sur la Globe40, on va entrer dans le vif du sujet petit à petit. Le contournement de l’Afrique, lors de l’étape entre Mindelo (Cap-Vert) et La Réunion sera le premier gros dossier.Peux-tu nous parler de tes deux co-skippers ?
Je vais partager l’aventure avec Antoine Carpentier et Amélie Grassi. Antoine navigue avec moi depuis deux ans et ça se passe très bien, c’était une évidence de poursuivre notre association. Avec Amélie, on se connaît depuis longtemps, on a des parcours assez similaires, nous n’avons jamais navigué longtemps ensemble en course, mais je suis sûr que ça va très bien se passer.Tu ne feras pas l’étape du Pacifique, entre Sydney et Valparaiso, pourquoi ?
Parce que je ne me voyais pas enchaîner huit mois de course sans faire une pause. Cela peut avoir un côté frustrant de manquer le Pacifique et ses longs surfs au portant, mais il faut bien faire un choix et le plus logique est de faire une pause sur cette étape, qui tombe en plein milieu de l’épreuve. J’aurais pu faire l’impasse sur la suivante, entre Valparaiso et Recife (Brésil), mais même si les symboles n’ont pas beaucoup d’importance pour moi, je n’imaginais pas louper le passage du cap Horn. Ce système de roulement me semble équilibré, il va me permettre de profiter d’une phase de récupération.
“A nous de démontrer que
c’est une superbe aventure”
C’est un peu mieux que sur la première édition où il y avait sept bateaux, mais j’aurais évidemment aimé qu’il y ait davantage d’inscrits. J’espère que nous allons donner envie à d’autres de s’engager sur la prochaine, à nous de démontrer que c’est une superbe aventure.Sur le papier, tu sembles ultra-favori…
J’espère, car le but est de gagner ! Les concurrents principaux en termes de performances pures, sont les deux autres scows inscrits. Jonas Gerckens dispose d’un très bon bateau [Belgium Ocean Racing-Curium, un Lift V2, NDLR], les deux jeunes allemands (Lennart Burke et Melwin Fink) sont aussi des concurrents sérieux. Je ne connais pas les autres marins en lice, qui naviguent sur des bateaux plus anciens et portent des projets davantage axés sur l’aventure que sur la compétition. La logique va être différente des courses que j’ai l’habitude de faire, où il y a beaucoup de favoris et donc de vainqueurs potentiels. Si tu es en tête, c’est plus facile de marquer deux bateaux plutôt que quinze.La prise en main de ton nouveau Class40, le n°202, n’a pas forcément été facile, es-tu satisfait de ses performances et de sa fiabilité désormais ?
C’est vrai qu’en termes de performances, ça a été un peu laborieux au début, on n’allait pas aussi vite qu’espéré. L’hiver dernier, nous avons effectué pas mal de modifications qui ont permis d’aller dans le bon sens. On continue à le découvrir et il reste des axes d’amélioration, mais aujourd’hui, le Class40 Crédit Mutuel est déjà beaucoup plus performant qu’à sa mise à l’eau. J’ai hâte de le découvrir sur un rythme de large, dans des conditions difficiles pas encore rencontrées. Niveau fiabilité, il est taillé pour cet exercice de tour du monde, même si nous ne savions pas que nous ferions cette course au moment de sa construction. Il est plus solide que mon Class40 précédent, le 158. On a augmenté la densité des mousses et le maillage structurel du bateau.
“Une idée plus précise de mes envies
à la fin de la Globe40”
Non sur certains points, et oui sur d’autres. Pour développer les performances pures du bateau, ce sera moins bien que les entraînements à Lorient, avec un coach, bord à bord avec les concurrents directs. En revanche, on va acquérir une connaissance très poussée de notre bateau au large et on va grandement éprouver la fiabilité des différents systèmes. J’aurai une expérience beaucoup plus forte à l’arrivée. Pour une Route du Rhum, qui se dispute en solo, ce sera un vrai atout.Cette participation à la Globe40 pourrait-elle te donner envie de t’engager sur le Vendée Globe, sachant que ton partenariat actuel avec le Crédit Mutuel s’achèvera à l’issue de la Route du Rhum 2026 ?
C’est possible que ce tour du monde me motive pour en faire un autre sans escale. Ou à l’inverse, je vais me dire que des courses plus courtes me correspondent mieux. J’aurai une idée plus précise de mes envies à la fin de la Globe 40. Il faut aussi voir si cette expérience plaît à mon partenaire, et ce qu’il envisage pour la suite. Ce sera une discussion à avoir ensemble. En tout cas, aujourd’hui, je ne suis pas du tout fermé à l’idée de participer au Vendée Globe. Pour moi, le principal est de mener de beaux projets, quel que soit le support. Je me régale toujours autant à faire du Class40, c’est un super compromis. J’aime aussi les nouveaux challenges, partir sur des choses nouvelles, donc je n’exclus rien.
Photo : Qaptur