Stan Thuret par Jean-Louis Carli

Stan Thuret : une décision qui fait débat

Dans un post publié sur ses réseaux sociaux le 15 février, Stan Thuret a annoncé arrêter la course au large  “pour raison écologique“, arguant que son sport et la compétition sont pour lui incompatibles avec l’urgence climatique. Comme pour « l’affaire Crémer », les réactions ont été nombreusesTip & Shaft a pris le pouls du microcosme.

Avec son annonce, Stan Thuret, 25e de la dernière Route du Rhum sur Everial, Class40 mis à l’eau au printemps 2022, a relancé le débat sur, entre autres, l’empreinte environnementale de la voile de compétition. Débat qui, s’il s’intensifie, donne parfois l’impression d’être repoussé, d’où, l’impatience d’un marin qui a préféré se retirer“Depuis trois ans, je me dis qu’il faut rester dans le milieu et essayer chacun, de faire bouger les choses à son échelle, de l’intérieur, écrit-il. Mais aujourd’hui, comme dans la société et en politique, tout le monde se regarde, personne n’agit véritablement et nous sommes très loin d’être à la hauteur des enjeux. L’interdépendance des classes, des organisateurs de course et des communicants est si forte que tout le monde se tire la couverture (sic) sans penser au bien commun.”

Interrogé par Tip & Shaft, Arthur Le Vaillant, l’un des plus actifs aiguillons du secteur au sein de l’association La Vague, commente : “Si je suis peut-être moins pessimiste que Stan sur l’avenir de mon sport, je sentais qu’il était depuis un moment mal à l’aise avec ses convictions profondes et sa propre pratique. Sa décision provoque un électrochoc salutaire dans le milieu. Ce geste fort s’inscrit dans un puissant mouvement qui traverse nos sociétés occidentales. Et la course au large n’y échappe pas.”

 

“Un vrai sujet pour classe de philo !”

 

Corentin Douguet, troisième de la Route du Rhum en Class40, confie quant à lui : “Je ne permettrais pas d’émettre un avis sur les motifs qui ont conduit Stan à se retirer, sinon qu’il me semble sincère. La question qui nous oblige et dont aura du mal faire l’économie, c’est : peut-on faire mieux ? Doit-on construire moins sale ? Oui, à l’évidence ; et cette question, je me la suis posée dès mes débuts en Mini. Mais à la vérité, ce qui anime n’importe quel compétiteur ou compétitrice, c’est toujours plus vite, plus haut, plus fort. De sorte que, oui, la décision de Stan nous interroge, nous enthousiasme ou nous irrite. Mais que faire ? Revenir à l’âge de pierre, au temps de la grotte, pour sauver le monde de l’effondrement ? C’est un vrai sujet pour classe de philo !”

“C’est évidemment un débat que je souhaite, mais ici biaisé d’emblée car il repose sur l’émotion d’un post. D’un côté, le camp des bien-pensants et de l’autre, le camp des affreux”, estime de son côté l’un des skippers en vue de l’Imoca, qui, après avoir longtemps hésité, a finalement préféré garder l’anonymat “pour ne pas mettre de l’huile sur le feu”, nous explique-t-il.

Cet autre skipper, proche de Stan Thuret, qui préfère lui aussi ne pas être nommé, se montre plus sévère : “J’ai essayé de le joindre plusieurs fois pour lui dire de ce que je pensais de sa tribune. Cette histoire d’environnement, je n’y crois pas : il n’a jamais souffert sur l’eau pour y arriver. L’esprit de concours, la performance, le bachotage sur l’eau, ce n’était tout simplement pas pour lui.”

Le sponsor relativise

 

Ces réactions et d’autres, assez virulentes sur les réseaux sociaux, font dire à Arthur Le Vaillant : “Stan est un homme sensible et je sais que certains commentaires très durs l’ont affecté.” Interrogé sur le sujet, ce dernier nous a répondu par WhatsApp depuis Antigua, où il vient juste de terminer la Caribbean 600, 7e en Class40 : “Les critiques viennent de privilégiés qui ne veulent pas lâcher leur train de vie. C’est compliqué d’accepter le fait qu’il faille changer. Ça demande une éducation que l’on ne trouve pas dans les médias traditionnels. Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir critiqué ouvertement le système. J’ai juste fait un constat factuel (…) Je ne m’attendais pas à autant de réactions, mais ça montre que je mets le doigt sur un point sensible et qu’il faut que les lignes bougent. Et j’ai aussi eu des centaines de messages positifs de personnes qui se sentent touchées et concernées par leur futur.”

Très investi dans ce débat, Roland Jourdain, qui a accueilli le projet Everial au sein de son entreprise Kaïros, observe : “Il ne fait pas de doute que Stan a parlé avec son cœur et ses sentiments. Je regrette simplement l’absence de pistes de réflexion sur le devenir de la course au large. Par ailleurs, mais c’est mon côté judéo-chrétien, il aurait été élégant pour son sponsor que Stan lui adresse un mot au moins de remerciement.”

Lionel Garcia, directeur général d’Everial, sponsor de Stan Thuret, avec lequel il s’était mis d’accord pour lancer un nouveau bateau en 2022 – Pogo S4 sur plans Verdier – ne semble pas voir les choses sous ce prisme : “Ce bateau, nous l’avons pensé conjointement avec Stan. Sur le coup, j’ai été surpris de sa décision, mais je la comprends et ça ne change pas nos relations. La raison environnementale de son retrait n’était peut-être pas la seule cause, c’était aussi lié à la course, la performance à tout prix, la compétition”, évoque-t-il. Avant d’ajouter : “Je réfuterais l’expression « affaire », mais je reconnais que c’est très clivant sur les réseaux. Maintenant, c’est la vie : il arrive qu’un collaborateur vous quitte. Stan, va ramener le bateau des Antilles en compagnie d’Erwan Le Draoulec (le nouveau skipper), preuve que l’on peut faire les choses avec intelligence.”

 

Certains coureurs gênés aux entournures

 

Par son geste, Stan Thuret a troublé et irrité certains acteurs de la course au large, au point qu’ils sont plusieurs à ne pas avoir souhaité s’exprimer, afin de “ne pas mettre d’huile sur le feu”. D’autres ont pris deux jours avant de se décider à nous répondre, pour finalement s’abstenir de tout commentaire. “Je ne souhaite pas me prononcer sur ce sujet, sachant que je ne suis pas encore légitime pour donner un avis”, a ainsi commenté Violette Dorange (21 ans).

De la même génération, Maël Garnier (22 ans), figariste et ingénieur, a préféré l’écrit pour réagir aux sollicitations de Tip & Shaft : “Si Stan soulève un sujet qui fait débat – l’écologie et le bilan carbone autour de notre activité – doit-on pour autant tout arrêter du jour au lendemain ? Au contraire, je suis persuadé que la nouvelle génération, dont je fais partie, saura trouver des solutions plus viables : réinventer des parcours de course, mettre des limites à la consommation en instaurant des règles de durabilité et de renouvellement du matériel… Selon moi, la position de Stan, en quittant le match à la mi-temps, reflète un manque de courage face à ces défis.”

 

Photo : Jean-Louis Carli

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