Première course du nouveau Figaro Bénéteau 3, la Sardinha Cup aura été animée, sur l’eau, avec la victoire finale de Yann Eliès et Sam Davies (StMichel), mais aussi à terre avec des problèmes techniques qui auront donné lieu à de nombreuses réunions. Tip & Shaft tire les enseignements de l’épreuve avec plusieurs de ses participants (Yann Eliès, Jérémie Beyou, Anthony Marchand, Fred Duthil, Gildas Mahé et Pierre Quiroga) ainsi que le directeur de course, Francis Le Goff.
Le casse-tête des voiles
L’un des enjeux de cette Sardinha Cup était de permettre aux 68 marins, après deux mois d’entraînement, de comparer leurs voiles dans des conditions de course afin de choisir leur nouveau jeu en vue de la Solitaire Urgo le Figaro. Observateur attentif du dossier, puisqu’il équipe plusieurs bateaux avec sa voilerie Technique Voile, Frédéric Duthil, 11e au général sur Région Normandie, estime que les différences n’ont pas été flagrantes : “D’abord, on constate qu’il n’y a pas de gains de performances des voiles filamentaires par rapport à celles en membranes. Ensuite, au niveau des voiles plates, tout le monde a convergé sur des formes assez proches, si bien qu’au près, il n’y a pas de bateaux collés, ni de bateaux qui vont 10% plus vite. Il y a plus de différences sur les voiles de portant, mais j’ai l’impression qu’on est tous en train d’aller vers de la polyvalence.”
Gildas Mahé, 9e sur Breizh Cola Equi’Thé, est sur la même longueur d’ondes : “Personne n’a trouvé quelque chose de faramineux qui lui permet d’avoir un gain énorme”. Tout comme Anthony Marchand, 4e sur Groupe Royer-Secours Populaire : “Il n’y a pas quelqu’un qui sort du lot en vitesse, comme on a pu le voir par exemple il y a quelques années avec Charlie Dalin qui avançait super vite au près.” Quant à Francis Le Goff, il note : “D’une manche à l’autre, chacun a trouvé un petit truc, on l’a vu sur la dernière étape avec Yann Eliès et Sam Davies lors de la descente sous spi, pendant laquelle ils allaient beaucoup plus vite.”
Qu’en pense le skipper de StMichel ? “Sur ce bord, j’ai trouvé un truc que 80% des autres n’ont pas trouvé. C’est peut-être mon côté sensitif, pas très cartésien, qui permet en fouinant de découvrir des choses. Globalement, on a constaté sur cette course de gros gains à quelques degrés près et des trajectoires à fort potentiel de vitesse sous gennaker.” Notamment lors de la deuxième étape, qui a permis à un groupe passé avec 8 milles de retard à la Jument des Glénan de refaire ce handicap grâce à un gros différentiel de vitesse sous gennaker. “Avec les nouvelles voiles, des écarts peuvent se faire et se défaire rapidement, on avait beaucoup moins ça en Figaro 2 où on était vraiment collés-serrés, ça se jouait à 0,1-0,2 nœud de différence ; là, à certaines allures, tu peux gagner plus de 3 nœuds“, explique Anthony Marchand.
Lequel, après la Sardinha Cup, ne s’estime guère avancé quant au choix voiles : “On a à peine validé le premier jeu qu’il faut déjà commander le deuxième [comptez 30 000 euros pour le “set” complet, NDLR], personne n’est sûr de ce qu’il faut faire“. Même scepticisme chez Pierre Quiroga (Skipper Macif 2019) : “Après les entraînements à Port-la-Forêt, on avait sorti quelques vérités sur les voiles qui ne marchaient pas, par exemple le grand spi North Sails, et sur un seul bord de portant, il nous colle 3,5 nœuds en vitesse pure, c’est assez perturbant.”
Pas la même chanson en solitaire
Si de bonnes voiles aident à aller vite, tous les marins interrogés s’accordent cependant à dire qu’en solitaire et particulièrement en cette année 1 du Figaro 3, elles ne seront pas forcément l’élément-clé de la performance. “Ce qui va faire la différence, c’est de bien exécuter les manœuvres sans faire de vrac. Sur le Figaro 2, il fallait 30 nœuds de vent pour commencer à se sentir un peu débordé, là, le seuil où ça devient sport est à 22-23 nœuds, le bateau est méga exigeant“, explique Frédéric Duthil. Ce que confirme Anthony Marchand : “C’est vite la kermesse dans 25 nœuds, ça fait parfois un peu penser à la Volvo : tu as beau avoir le bateau sur la tranche, il faut quand même aller mettre une voile plus grande, et dans ce cas, si tu ne prépares pas bien ta manœuvre, ça peut vite être dangereux.” Et coûter de précieux milles si elle est mal ou trop tardivement exécutée : “Les sorties de route vont se payer très cher”, prédit Francis Le Goff.
Pour Frédéric Duthil, les marins ayant l’habitude des bateaux exigeants comme les Imoca auront clairement un avantage, au moins cette année : “Les Yann Eliès, Michel Desjoyeaux, Armel Le Cléac’h, Jérémie Beyou, Charles Caudrelier, qui ont l’expérience du 60 pieds en solitaire, vont être plus à l’aise, parce que c’est un bateau sur lequel il faut se faire mal, ils auront en outre moins le stress de la vitesse. Les figaristes purs et durs vont vite s’adapter, mais je pense que l’apprentissage sera un peu plus long.” Pierre Quiroga note de son côté : “Un mec comme Jérémie (Beyou, 16e de la Sardinha Cup) va forcément se montrer en solitaire parce qu’il a une expérience folle et que le bateau est tellement physique, que la technique et le mental vont être prédominants par rapport à la vitesse.”
Autre paramètre qui va jouer en solitaire et qu’a souligné cette Sardinha Cup : le choix des phases de sommeil avec un pilote pas encore au point : “Il va falloir laisser le pilote barrer de temps en temps alors qu’on a vu qu’au près comme au portant, il faut barrer et bien barrer pour avancer ! Le choix du moment pour aller dormir peut changer beaucoup de choses, d’autant que le bateau a une bonne faculté à s’arrêter, tu peux perdre beaucoup de places“, confirme Jérémie Beyou (Charal).
Une hiérarchie qui se dessine ?
Peut-ton tirer des enseignements du classement final de la Sardinha Cup ? Le débat est ouvert. “Il n’en manque pas beaucoup pour que les habitués de la Solitaire soient aux avant-postes”, note Francis Le Goff, qui ajoute, à propos de la victoire de Yann Eliès et Sam Davies : “L’expérience, l’engagement et l’envie de courir ont gagné, ce n’est pas anodin”. Ce que confirme Jérémie Beyou : “Celui qui gagne, c’est encore Yann Eliès, donc l’enseignement principal, c’est qu’il est toujours aussi costaud et motivé, et qu’il sera dur à prendre sur la Solitaire.”
Qu’en pense l’intéressé ? “Avec le plateau de dingue qu’il y avait, on aurait pu très vite passer de champion du monde à pas bon du tout, mais je me dis qu’entre ce que j’ai ressenti aux entraînements à Port-la-Forêt et sur la Sardinha, il y a la possibilité de remporter la Solitaire cette année, j’y crois.” D’autres pensent au contraire qu’il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de cette première course de la saison : “C’est trop tôt, les classements ont beaucoup évolué d’une manche à l’autre“, estime ainsi Gildas Mahé, tandis que Pierre Quiroga conclut : “Je ne m’attends évidemment pas à retrouver Yann à la 15e place sur la Maître CoQ ou sur la Solitaire, mais je dirais que 10% de la hiérarchie s’est dessinée sur cette Sardinha.”
Des problèmes techniques en voie de résolution, la classe veut se professionnaliser
La Sardinha Cup aura été marquée par ce que Yann Eliès appelle “le psychodrame des barres de flèches“, qui a conduit Francis Le Goff à décaler le départ de la troisième étape, d’autres problèmes ayant été soulevés, notamment au niveau de l’étanchéité des trappes de foils et des réas de gennaker. “Beneteau et les fournisseurs ont fini par comprendre que toute la flotte était concernée, et pas seulement, un, deux ou trois bateaux, et que si ces problèmes n’étaient pas réglés, cela pouvait compromettre la Solitaire du Figaro”, explique Jérémie Beyou. Avec Yann Eliès, Corentin Douguet et Pierre Quiroga (ce dernier représentant le bureau de la classe), le skipper de Charal a fait partie d’une commission spécialement créée pour l’occasion qui a rencontré à Saint-Gilles Croix-de-Vie trois représentants du Groupe Beneteau : Gianguido Girotti, directeur général, Luc Joëssel, chef de produit voile, et Hervé Roth, directeur SAV. Depuis, les réunions se sont enchaînées et ont abouti jeudi à Nantes à des propositions concrètes : Sparcraft s’est engagé à fournir des barreaux monoblocs à l’ensemble de la flotte à la fin de la Solo Maître CoQ, Beneteau a trouvé des solutions pour régler les problèmes d’étanchéité et de réas. “Un grand pas en avant a été fait”, se réjouit Pierre Quiroga.
Par ailleurs, cet épisode, selon Yann Eliès “a révélé un mode de fonctionnement de la classe un peu à bout de souffle” et a conduit les adhérents à s’accorder sur la nécessité de recruter, au moins jusqu’à la fin de la saison, une personne qui s’occupera de ces dossiers techniques pour permettre aux coureurs de se concentrer sur le sportif : “C’était le modèle qu’on avait mis en place au début du Figaro 2, avec un président bénévole, Henri Graveleau, et une manager de classe à temps plein et payée, Estelle Graveleau [désormais à la tête de Team Vendée Formation coorganisateur de la Sardinha Cup, NDLR] qui était là pour régler ces problématiques”, explique Jérémie Beyou. Plusieurs personnes ont été contactées, le choix devrait être entériné dès cette semaine pour une prise de fonction avant la Solo Maître CoQ.
Photo : Christophe Breschi/Sardinha Cup 2019