32 marins (après le renoncement de Romain Bouillard pour cause de blessure), dont 10 bizuths, 6 étrangers et 5 femmes, prennent dimanche le départ, à Caen, de la 54e édition de la Solitaire du Figaro Paprec. Pour évaluer les forces en présence, Tip & Shaft, comme avant chaque grande course, a sondé un panel d’experts composé des deux derniers vainqueurs, Tom Laperche (2022) et Pierre Quiroga (2021), de l’Espagnol Pep Costa, présent lors des deux dernières éditions et encore très proche du circuit, de Jeanne Grégoire, directrice du Pôle Finistère Course au large de Port-la-Forêt, de Julien Pulvé, ex-coach au Centre Excellence Voile de La Rochelle, et de Yann Chateau, directeur de course de la Solitaire.
La bataille s’annonce très serrée. Selon nos experts, pour qui la tâche de sélectionner trois skippers fut ardue, le podium va se jouer entre Alexis Loison, Guillaume Pirouelle et Corentin Horeau, quasiment à égalité à la moyenne de leurs podiums respectifs. La première place de notre panel revient de justesse à Alexis Loison (Groupe Réel), qui, à 39 ans, s’apprête à disputer sa 17e Solitaire, ce qui en fait de loin le plus rodé à l’exercice parmi les 32 marins en lice. “C’est un marin expérimenté qui a d’ailleurs beaucoup transmis à Guillaume Pirouelle, avec qui il a navigué en double en 2021”, relève Julien Pulvé.
Ses atouts ? “Alexis est très fort dans les trajectoires liées au courant”, met en avant Yann Chateau. Ce que confirme Tom Laperche : “Il est assez impérial sur le sujet ! Un bon point puisque la Manche est un terrain de jeux où les courants creusent souvent de gros écarts entre les figaristes. Alexis est aussi un grand stratège. Au niveau de ses coups tactiques, il a une bonne proportion de réussite.”
Pierre Quiroga, qui loue également son “expérience et sa connaissance du plan d’eau”, précise qu’il est “arrivé à un point de sa carrière où il est un peu plus dans le plaisir que dans l’obligation de gagner, c’est peut-être ce qui va lui permettre de faire la différence.” Ce qui pourrait pécher ? “Il a un projet professionnel en parallèle [chez Technique Voile, NDLR], donc d’autres contraintes. Son projet est par ailleurs plus tardif et peut-être moins structuré que d’autres coureurs”, répond le vainqueur de la Solitaire 2021.
Duel de Normands
Guillaume Pirouelle, deuxième au général (et premier bizuth) de sa première Solitaire il y a un an, est sans conteste l’un de ceux qui va donner du fil à retordre à son “compatriote” normand, dont il est très proche puisqu’il lui a succédé à la barre du Figaro Beneteau 3 Région Normandie, les deux ayant gagné ensemble cette saison le Tour de Bretagne. Dans la foulée, l’ancien spécialiste de 470 (entre autres) a signé cet été sa première victoire en solitaire sur une épreuve du Championnat de France, lors de la Solo Guy Cotten Concarneau.
“Et je ne pense pas que ce soit la chance du débutant, relève Jeanne Grégoire, directrice du Pôle Finistère Course au Large où s’entraînent une dizaine de figaristes, dont Guillaume Pirouelle. Il est très régulier, et c’est quelqu’un qui a un sacré sang-froid et une constance émotionnelle. Des qualités super importantes pour performer sur la Solitaire, que Tom Laperche avait également. Qu’est-ce qui peut lui manquer ? Pas grand-chose en fait. Peut-être qu’il est un tout petit peu moins à l’aise dans le gros temps… Et encore, ce n’est pas sûr.”
Nos experts ne manquent pas de qualificatifs pour décrire le Rouennais de 29 ans. Pep Costa loue un talent “surnaturel”, Yann Chateau évoque son côté “besogneux” quand Julien Pulvé fait l’éloge de son tempérament “posé, constant“ et de “son mental assez solide.” Enfin si Pierre Quiroga apprécie pour sa part “sa vitesse redoutable”, il se demande si “sa faiblesse ne pourrait pas être de tomber dans la facilité : en mode je vais vite, je ne prends pas de risque et je reste au milieu.”
Corentin Horeau va-t-il tenir
sur la longueur ?
Également cité sur le podium, Corentin Horeau, 34 ans, vainqueur en début de saison de la Solo Maître CoQ, troisième de la Transat Paprec avec Pauline Courtois et deuxième fin juillet de la Solo Guy Cotten. “Il réalise une très belle saison, note Yann Chateau. Mais il est passé à côté de sa Solitaire l’an dernier. Alors une question reste en suspens : est-ce un manque de chance, la fatigue de la saison qui s’était accumulée ? Ou est-ce à cause du format de la Solitaire, plus long, avec des étapes autour de 600 milles contre 400 milles pour les courses d’avant-saison ?”
Même interrogation pour Julien Pulvé : “Corentin est un super régatier, mais saura-t-il tenir sur la longueur ?” À Pierre Quiroga de révéler l’une de ses failles : “Son grand ennemi, c’est lui-même et il le sait. On est un peu fait du même bois. Il est très caractériel. Et ça peut lui porter défaut dans des moments difficiles.”
Jeanne Grégoire estime cependant que le Trinitain peut compter sur son expérience : “Il a connu beaucoup de flottes différentes, donc des profils de courses variés, ce qui ouvre l’esprit. Cela permet de ne pas être surpris par les choses et d’avoir des images qui sont ancrées depuis longtemps quand on fait la course, des images auxquelles on peut s’accrocher. Et techniquement, il est assez impérial.” Pep Costa considère quant à lui qu’avec Banque Populaire, qui a succédé à Mutuelle Bleue en cours de saison, “il a décroché le sponsor rêvé, cela lui permet d’arriver plus serein. Et c’est tout ce dont il avait besoin pour exploiter son talent à 100% !”
“Une dizaine
à prétendre au podium !”
La liste des favoris cités par nos experts ne s’arrête pas là ! Selon Yann Chateau, “ils sont bien une dizaine à prétendre au podium !” Parmi lesquels Gaston Morvan, successeur de Tom Laperche sur le Figaro 3 Région Bretagne-CMB Performance, qui, pour Jeanne Grégoire, “a les armes pour bien faire. Il faut qu’il trouve de la constance, de la régularité”.
La directrice du pôle Finistère Course Au Large cite également Loïs Berrehar (Skipper Macif 2022), vainqueur de la Transat Paprec 2023 avec Charlotte Yven : “Techniquement il est très bon et cette année il a vraiment bien bossé.“ Tom Laperche, qui a beaucoup navigué avec lui du côté de Port-la-Forêt, estime pour sa part que “lorsque les conditions sont réunies, c’est sûrement l’un des plus rapides”.
Sont également cités parmi les prétendants au podium Charlotte Yven (Skipper Macif 2023), Tom Dolan (Smurfit Kappa-Kingspan) ou encore Elodie Bonafous (Quéguiner-La Vie en Rose), huitième l’an dernier, avec notamment une troisième place lors de la dernière étape. “Elle est tellement forte ! admire Pep Costa qui a disputé le Tour de Bretagne avec la navigatrice de 28 ans. Elle a du talent pour faire avancer le bateau super vite, elle est sereine avec son projet et ne lâche jamais.” Julien Pulvé abonde : “Elodie a montré plusieurs fois qu’elle ne lâchait rien, elle fait partie des bons outsiders !”
Basile Bourgnon (Edenred), troisième de la Solo Guy Cotten, fait lui aussi partie des outsiders de nos spécialistes. “Il est assez joueur sur l’écart latéral avec les autres concurrents. Il n’hésite pas à prendre des options”, précise Yann Chateau. Du côté des bizuths enfin, au nombre de dix cette année (un tiers de la flotte), Hugo Dhallenne (YC de Saint-Lunaire), vainqueur de la dernière Mini Transat en série et sixième de la récente Solo Guy Cotten, est plébiscité par nos experts qui le voient succéder à Guillaume Pirouelle à la première place de ce classement toujours prisé.
Le podium de nos experts : 1. Alexis Loison (Groupe Réel), 2. Guillaume Pirouelle (Région Normandie), 3. Corentin Horeau (Banque Populaire)
Photo : Jean-Marie Liot