La première étape de la Solitaire du Figaro Paprec s’est achevée jeudi par la victoire d’Alexis Loison (Groupe Réel) devant les deux Skipper Macif, Hugo Dhallenne et Charlotte Yven. Pour débriefer ces 638 milles entre Rouen et la baie de Morlaix, Tip & Shaft s’est entouré d’Erwan Tabarly, entraîneur au pôle Finistère de Port-la-Forêt, du routeur Dominic Vittet, de Basile Bourgnon et Gaston Morvan, chacun un podium sur la Solitaire à leur actif (respectivement 2e en 2023 et 3e en 2024).
Si elle n’est pas passée par le Fastnet à cause de conditions trop musclées pour monter en Irlande, cette première étape de la Solitaire du Figaro Paprec aura été particulièrement animée en raison d’un parcours qui a fait explorer la Manche dans tous les sens aux 35 skippers, mais aussi d’une météo engagée. “C’était une étape de karting, il fallait prendre les bons virages et accélérer en ligne droite, sourit Basile Bourgnon. Quand tu as autant de bouées à contourner près des côtes, il y a toujours des retournements de situation, des regroupements, c’est d’ailleurs souvent revenu par l’arrière, il fallait avoir les nerfs solides.”
“L’étape a été très sollicitante, abonde Erwan Tabarly, avec quatre traversées de Manche dans des conditions difficiles et un fort coefficient de marée, donc beaucoup de courant, plus des cailloux, des tronçons à enchaîner, des cargos et une fin de parcours agitée.”
Dans ces conditions, pas étonnant de trouver aux avant-postes à Roscoff trois des favoris de cette Solitaire – d’ailleurs donnés dans cet ordre par les experts interrogés la semaine dernière par Tip & Shaft -, à savoir Alexis Loison, Hugo Dhallenne et Charlotte Yven. “C’est une étape qui demandait du métier, confirme Dominic Vittet, parce qu’il fallait aller vite dans des conditions qui n’étaient globalement pas très confortables, ça nécessitait une grosse maîtrise du bateau.” Pour Gaston Morvan, “l’expérience a fini par payer, les jeunes se sont beaucoup montrés les premiers jours, mais ce genre d’étape se joue sur la lucidité finale.”
“Loison, il va être là !”
Cela s’est notamment vu sur le tronçon entre les Needles, à l’ouest de l’île de Wight, et la baie de Morlaix, et notamment sur l’ultime traversée de la Manche au reaching dans 20-25 nœuds de vent, qui fait dire à Erwan Tabarly : “Dans ces conditions, les skippers ont tendance à être un peu surtoilés, mais comme les manœuvres coutent cher, plutôt que de prendre un ris ou de changer de voiles d’avant, ils préfèrent rester avec tout dessus, et là, il faut savoir régler son bateau, ce que savent forcément mieux faire les marins expérimentés, on a vu de gros différentiels de vitesse sur cette traversée.” Avec notamment “la belle remontada en vitesse pure“, dixit Gaston Morvan, d’Hugo Dhallenne, mais également celle du tenant du titre, Tom Dolan (blessé au poignet), finalement 6e.Dominic Vittet met également en avant leur trajectoire décisive, un peu plus ouest que le reste de la flotte. “Dans cette descente, ils pouvaient utiliser cette option ouest s’il se passait deux choses : un retour du vent à gauche et, selon l’heure d’arrivée, un courant qui allait pousser la flotte vers l’est. C’est exactement ce qui s’est passé, Alexis (Loison) était parfaitement au courant, sauf que comme il était en tête et jouait la victoire d’étape, il devait surveiller ses concurrents directs, notamment Charlotte, et était obligé de les accompagner en dessous. Hugo et Tom, en revenant de l’arrière, étaient plus libres de leur choix, ils ont fait du gain ouest qui, grâce au retour gauche et au courant, leur a permis peu avant l’arrivée de gagner beaucoup de places.”
Pas suffisamment cependant pour priver Alexis Loison de sa deuxième victoire d’étape (la première remontait à 2014), au prix d’une belle démonstration. “Je n’en attendais pas moins de lui ! s’exclame Basile Bourgnon. La Manche, c’est son terrain de jeu, il a dû la traverser autant de fois que moi la baie de Quiberon, il apprécie vraiment ces segments.” Pour Dominic Vittet, “au jeu des renverses de courant et des bascules de vent, Alexis est imbattable, ses victoires dans le Fastnet et autres en attestent. Et on sent qu’il est fort mentalement, ce Figaro, il le veut !” Ce que confirme Gaston Morvan : “S’il est capable de gagner cette étape qui a été dure physiquement, c’est qu’il tient bien le rythme, on verra s’il a trop tapé dans ses réserves, mais en tout cas, il envoie un message à la concurrence : Loison, il va être là cette année !”
“Charlotte peut gagner le match”
Ses poursuivants aussi, puisque son avance sur Hugo Dhallenne et Charlotte Yven est de 15 et un peu plus de 20 minutes. Une Charlotte Yven qui, avec sa troisième place, a confirmé tout le bien qu’en pensaient nos experts : “Elle a toujours offensive, avec de bonnes stats de réussite, comme sur son coup sud DST pour la première traversée, elle a également une super vitesse quand elle est au contact des autres. Elle va être très dangereuse au général”, poursuit Gaston Morvan. “C’est une potentielle future lauréate de la Solitaire, ajoute Dominic Vittet, son jeu est de plus en plus complet, elle fait partie des plus rapides et elle prend des risques ; ce qui lui manque aujourd’hui, c’est de prendre la tête à un moment donné et de la garder. Parce que quand tu es en tête, il faut faire les bons choix, quelque part, tu n’as plus personne devant pour te guider. On va voir si elle va être capable de franchir cette marche, mais je pense qu’elle peut remporter le match.”Parmi les bonnes surprises de cette première étape, un nom revient sur toutes les lèvres : celui de Tom Goron. Certes, ce dernier (19 ans) termine 19e, mais il aura été un des grands animateurs de ce parcours initial. “C’est une surprise qui n’en est plus forcément une car il nous impressionne à chaque fois lors des entraînements, il aussi fait de très belles courses d’avant-saison, souligne Erwan Tabarly. C’est quelqu’un qui navigue librement, sans se soucier des autres. Il s’est certes un peu écroulé sur la dernière traversée, mais ça n’enlève rien à ce qu’il arrive à faire à son âge et pour sa deuxième Solitaire, c’est impressionnant.”
Dominic Vittet a est lui aussi bluffé : “En vitesse, il est capable de tenir tête à tout le monde et il n’a pas peur de tenter des coups. C’est très intéressant pour l’avenir, parce que c’est beaucoup plus facile de cadrer un attaquant que de décoincer un défenseur. Il me fait un peu penser à Pierre Quiroga, qui était une sorte de chien fou qui partait dans tous les sens et a peu à peu appris à ne faire que les bons coups. Tom est un peu dans ce cas, s’il arrive à cadrer un peu son jeu, il va faire mal.”
Une deuxième étape de “bourrin” ?
Parmi les marins qui ont marqué nos experts, citons Victor Le Pape (9e), Paul Morvan (14e) ou les débutants Arthur Meurisse (10e) et Yvon Larnicol (7e et premier bizuth), dont Basile Bourgnon dit : “Je connais bien Yvon car nous sommes proches, je ne savais pas trop comment il allait se positionner sur cette étape, parce que c’est quelqu’un d’hyper actif, qui toujours envie de bouger, de virer, de matosser, j’avais peur qu’il s’épuise vite et en fait, il a fait preuve de patience, n’a pas pris d’options radicales et a su aller vite aux bons moments.”A l’inverse, un Jules Delpech, dans les bons coups quasiment toute l’étape, a craqué sur la fin (12e), faisant dire à Dominic Vittet, qui travaille avec le skipper de P’tit Duc : “Il n’a pas eu la niaque suffisante pour se mettre à niveau sur cette dernière traversée. Au quatrième jour de course, tu puises dans les réserves physiques très profondément, ça entame le moral, si tu n’as plus les ressources pour combattre, tu règles moins bien le bateau, tu vas moins vite et tu t’écroules, surtout dans des conditions musclées. La fatigue lui a fait perdre les pédales.”
La partie est pour autant loin d’être perdue pour ce dernier – il accuse un peu moins d’une heure de retard sur Alexis Loison -, avant une deuxième étape, dont le départ a été reporté à lundi, qui s’annonce bien différente. Avec du jeu au départ pour contourner la pointe de la Bretagne dans du vent fort et de la mer formée, un bord de portant jusqu’aux Birvideaux, avant “un tout droit au reaching jusqu’en Espagne, un bord de bourrin avec de la vitesse pure, au cours duquel il peut y avoir de gros différentiels de vitesse”, prédit Dominic Vittet. Qui ajoute cependant : “Ça va mollir à l’approche de Vigo, donc ça peut potentiellement rebattre les cartes, je dis souvent que l’Espagne est un poison mortel.“
“C’est une étape typée pour un gars comme Tom Dolan, moins à l’aise dans les enchaînements de segments, ajoute Gaston Morvan. Là, ce sera plus ouvert en stratégie et en gestion des phénomènes à plus grande échelle.” Résultat des courses en fin de semaine prochaine.
Photo : Vincent Olivaud