Armel Tripon Imoca

Comment Armel Tripon a réussi à concrétiser son projet d’Imoca en carbone déclassé

Mis à l’eau le 3 juin dernier à La Trinité-sur-Mer, l’Imoca Les P’tits Doudous d’Armel Tripon a été baptisé jeudi 12 juin à Nantes. L’aboutissement d’un long cheminement pour ce plan VPLP construit par le chantier Duqueine Atlantique, à partir de carbone déclassé de l’industrie aéronautique. Tip & Shaft vous en dit plus sur ce projet inédit. 

Depuis son arrivée sur le Vendée Globe 2020-2021, bouclé à la 11e place, Armel Tripon n’avait qu’une idée en tête : repartir sur la course autour du monde en solitaire, mais à condition qu’il s’inscrive dans une démarche écoresponsable. “Je ressentais de la frustration après ma première participation, j’avais envie de revenir, mais pas à n’importe quel prix. Je voulais le faire avec un projet en accord avec mes convictions”, raconte le skipper à Tip & Shaft.

Celui-ci débute réellement en avril 2021 suite à une discussion avec des acteurs du technocentre Airbus de Nantes“Ils se posaient des questions sur leurs gisements de carbone qui partaient à la poubelle, rappelle Armel Tripon. Pour eux, ce n’était plus possible de continuer à jeter de la matière première, certes inutilisable pour la fabrication des avions, mais encore en bon état pour d’autres utilisations. Très vite, on s’est dit que ce ne serait pas idiot de fabriquer un bateau en réemployant ce carbone déclassé.

Armel Tripon officialise le projet en septembre 2021, il espère alors lancer la construction rapidement, avec l’ambition de s’aligner sur le Vendée Globe 2024. Toujours dans une démarche de réduire l’impact de son futur Imoca, son choix de design se porte sur un sistership de Malizia-Seaexplorer, le plan VPLP de Boris Herrmann, tandis que pour la construction, Armel Tripon innove en faisant appel au chantier Duqueine Atlantique, spécialisé dans l’industrie aéronautique – Airbus fait partie de ses clients -, qui n’a jusqu’ici jamais fabriqué de bateau, encore moins de course.

Un choix de chantier audacieux

“Quand nous avons appris qu’Armel voulait faire un Imoca avec des matières premières issues de l’aéronautique, l’opportunité nous a semblé parfaite, sachant que nous souhaitions justement nous diversifier dans le nautisme, dans la voile de compétition en particulier, raconte Gilles Quevat, en charge du projet pour le chantier situé à Malville (Loire-Atlantique). J’ai alors contacté Armel en lui expliquant nos ambitions, mais au début, on n’imaginait pas du tout construire un bateau dans sa totalité, on visait plutôt des pièces comme des cloisons ou des puits de foils.”Un événement change la donne : en avril 2022, Armel Tripon chavire et démâte sur son Ocean Fifty Les P’tits Doudous. Pour espérer prendre le départ de la Route du Rhum six mois plus tard, il doit construire un nouveau mât en urgence et décide justement de confier cette mission à Duqueine Atlantique, qui relève le défi en seulement sept semaines. “On a tout donné et Armel a apprécié notre façon de fonctionner et notre réactivité”, analyse Gilles Quevat. J’ai été séduit par leur motivation et leur belle énergie, abonde le marin, alors en pleine recherche de partenaires pour lancer la construction de son Imoca.

Cette quête prend plus de temps que prévu : “Le financement n’a pas été simple, il a fallu du temps pour trouver des mécènes prêts à s’engager sous la bannière de l’association Les P’tits Doudous et pour convaincre des partenaires bancaires”, confirme le Nantais. La situation se débloque en avril 2023, la construction peut enfin débuter, en septembre de la même année. Duqueine Atlantique, qui, en attendant le go définitif, avait pris les devants en construisant un hangar dédié sur son site de Malville, se voit finalement confier l’intégralité de la black box (coque et pont assemblés et structurés), un sacré défi pour l’entreprise ligérienne.

65 % de carbone réemployé

“On avait conscience de se lancer dans un projet énorme, on savait qu’on allait se faire mal car il y avait beaucoup de nouveautés pour nous. Mais on savait aussi qu’il y avait beaucoup à apprendre, que ce serait passionnant et qu’on ne regretterait pas”, souligne Gilles Quevat. Parmi les nouveautés, l’utilisation de carbone déclassé s’est avérée une des complexités majeures qui a notamment obligé architectes de VPLP et ingénieurs de Duqueine Atlantique à mener une campagne de tests et de calculs pour se rassurer sur la résistance des matériaux.Le chantier a par ailleurs dû manipuler une matière qui n’avait pas les mêmes propriétés et ne nécessitait pas la même mise en œuvre que le carbone “frais”. “Il ne faut pas oublier qu’on récupérait les “poubelles” d’Airbus, donc une matière dégradée, rappelle Gilles Quevat. On s’attendait à avoir un carbone difficile à mettre en œuvre et cela s’est confirmé. On a eu des rouleaux faciles à draper, d’autres beaucoup moins. Il a fallu trouver des solutions et cela a pris du temps.”

L’Imoca d’Armel Tripon n’est d’ailleurs pas construit à 100 % en carbone déclassé. “Faute de recul nécessaire, pour des pièces maîtresses et fortement sollicitées, comme les cloisons de mât et de quille, on s’est interdit d’utiliser ces fibres et on a pris du carbone frais”, confirme Quentin Lucet, architecte naval chez VPLP Design. “Nous avons fait de même pour toutes les lisses, qui représentent une superficie importante, car la matière recyclée était trop sèche et difficile à courber, précise de son côté Armel Tripon. Du carbone frais a enfin aussi été utilisé pour une partie du pont, ainsi que des renforts et des jonctions. Au final, on arrive à 65 % de carbone réemployé, ce qui est déjà conséquent.”

Un budget consolidé à 70 % pour 2025

Ces difficultés de mise en œuvre expliquent que le chantier, qui devait initialement durer jusqu’en juin 2024, s’est finalement achevé six mois plus tard, il a alors pu rejoindre les locaux d’Armel Tripon à Saint-Philibert (Morbihan), où la construction a été finalisée, jusqu’à la mise à l’eau, le 3 juin. “Le bateau est très bien construit, solide et structuré, avec zéro compromis à la performance, se réjouit Armel Tripon. “Le carbone réemployé n’a pas induit de poids supplémentaire par rapport à Malizia, indique pour sa part Antoine Lauriot Prévost, qui a également travaillé sur le projet chez VPLP.Existe-t-il des différences entre les deux bateaux ? L’abaissement du livet et la nouvelle géométrie de casquette et de roof arrière sur Les P’tits Doudous, répond Quentin Lucet. Boris voulait une casquette large car il avait aussi un gros programme en équipage, Armel a un programme davantage tourné sur le solitaire.” Les foils ont également fait l’objet d’optimisations, ajoute-t-il : “Depuis la mise à l’eau de Malizia en 2022, nous avons bénéficié des retours d’expérience des transats et du Vendée Globe pour les faire évoluer. Les foils sont devenus plus polyvalents, avec des capacités à décoller plus tôt et à être utilisés sur une plage beaucoup plus grande qu’avant.”

“Avec ces évolutions, Les P’tits Doudous est sur le papier plus performant que le bateau de Boris Herrmann, ajoute Antoine Lauriot Prévost. Il faudra attendre fin juillet pour avoir une idée du potentiel du nouveau plan VPLP, puisqu’Armel Tripon, qui devait s’aligner sur la Course des Caps (départ le 29 juin de Boulogne-sur-Mer), a finalement renoncé – “Le timing est trop juste”, précise-t-il. Il étrennera donc Les P’tits Doudous sur le Fastnet fin juillet, avant d’enchaîner le Défi Azimut et la Transat Café L’Or, associé à au navigateur et coach Tanguy Leglatin.

Côté financement, le skipper a réuni à ce jour 70 % d’un budget de fonctionnement pour 2025 d’environ 2,5 millions d’euros, avec des partenaires mécènes comme le CIC, Écouter Voir et Bouyer Leroux. “Je suis encore en recherche de partenaires, c’est une grosse partie de mon job actuel, commente-t-il. Mais le fait que le bateau soit à l’eau et qu’on soit sûrs d’aller au bout constitue un bon argument pour convaincre de nouvelles entreprises.” Ces partenaires vont-ils le suivre jusqu’au Vendée Globe ? “Aujourd’hui, on a très peu d’engagements fermes jusqu’en 2028 car c’est compliqué pour les entreprises de se projeter sur quatre ans. Maintenant, s’ils embarquent cette année, c’est a priori pour aller jusqu’au Vendée Globe, donc je suis serein, je n’ai pas eu de défection depuis le lancement du projet 2022, on n’a fait qu’augmenter le nombre de partenaires.”

Photo : Jean-Louis Carli

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