Eric Bellion Imoca

Eric Bellion : “Mon objectif est de me battre avec les meilleurs”

9e et premier bizuth du Vendée Globe 2016, Eric Bellion a décidé de remettre ça en 2024 avec un bateau neuf, plan Raison construit chez Persico Marine, qui est présenté samedi à Port-la-Forêt. Le skipper a pris le temps d’évoquer son projet pour Tip & Shaft.

Comment est né ce nouveau projet de Vendée Globe, alors que tu ne semblais pas vouloir repartir après ton premier en 2016 ?  
Je m’étais surtout promis de ne plus revenir ! Vidéo à l’appui, je m’étais adressé à l’Eric du futur en disant : “Si tu as envie de refaire le Vendée globe, n’y va pas”. Mais en fait, après ce premier Vendée, j’avais vécu quatre années de contradiction. D’un côté, je pensais au Vendée Globe tous les jours, parce que j’avais vécu une expérience intime très forte, et de l’autre, je voulais m’en tenir à ma ligne de conduite dans la vie qui est de ne jamais refaire la même chose. Et puis, la vie est ainsi faite que je me suis retrouvé dans une vedette pour commenter le départ du Vendée 2020 alors que je devais être dans le Pacifique, et là, je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’y retourne. Et je me suis aperçu que je pouvais le refaire de manière radicalement différente. C’est là que j’ai décidé de monter une équipe à plusieurs skippers sur le Vendée Globe pour mettre en avant le pouvoir du collectif, une notion à laquelle je suis attaché.

Entre avoir l’idée et la réaliser concrètement, il y a de la marge, comment as-tu structuré ce projet ?
Je suis complètement reparti de zéro, je n’avais ni sponsor, ni bateau, rien ! Au début, je me suis entouré de trois skippers qui, comme moi, avaient cet objectif de Vendée Globe, mon idée a rapidement été de vendre un projet à quatre bateaux à des partenaires. A l’époque, les Imoca intéressants étaient quasiment tous déjà vendus et je ne me voyais pas faire le Vendée sur un foiler enfermé. Après son Vendée Globe, j’avais beaucoup parlé avec Jean (Le Cam), qui avait de son côté envie de construire un bateau de course simple, pas forcément un Imoca d’ailleurs. On s’est alors dit que ce serait génial de faire ensemble un bateau simple, léger et élégant. Le double concept de sobriété et de mutualisation me plaisait bien aussi.

Quels ont alors été vos choix ?
On a fait la tournée des architectes, on est vite tombés d’accord avec celui qui a amené les scows en course au large, David (Raison). On a ensuite enchaîné avec les chantiers, comme Multiplast et CDK étaient complètement « full », on a rencontré plein de chantiers européens, dont Persico qui avait non seulement envie de faire un Imoca, mais en plus n’avait pas de commande, on est arrivés au bon moment. Entre-temps, j’ai réussi à trouver la société Altavia qui a eu envie de promouvoir avec moi cette idée de collectif, ce qui nous a permis de lancer l’outillage et l’engineering du premier bateau, avec l’ambition d’en faire trois identiques derrière.

 

“Un Hubert bodybuildé”

 

Ce que tu n’as finalement pas réussi à faire ?
Le temps et l’argent ont manqué, on a d’abord revu nos ambitions à deux autres bateaux et on est franchement passés à deux doigts d’avoir un deuxième Imoca dans mon équipe pour Martin Le Pape. Finalement, il n’y aura qu’un seul bateau identique pour le Vendée Globe, celui de Jean, qui aura sa propre équipe, mais j’ai bon espoir qu’il y en aura d’autres en 2028. Et c’est déjà extraordinaire d’avoir réussi à en construire deux. Je suis très fier du travail que nous avons réussi à faire, surtout dans l’atmosphère qui a entouré ce projet. Jean et moi, on a vraiment tout mis en commun sur la table, on a fonctionné de façon totalement ouverte ensemble. Si bien que tout sera pareil sur les bateaux, de la marque d’ordinateur aux vide-poches, en passant par le prix ! Et on continuera à beaucoup partager. Pendant qu’il va finir son bateau (attendu en septembre), il pourra bénéficier de nos retours d’expérience des premières navigations, et tout ce qu’on développera sur l’un servira pour l’autre, on va gagner un temps précieux en termes de fiabilité et de performances.

Peux-tu nous présenter ce plan Raison et quelles performances en attends-tu ?
C’est donc un scow avec des foils droits – dans la novlangue de l’Imoca, on ne parle plus de dérives. Tu vas reconnaître les carènes Raison, celle-ci est très tendue, le bateau est très plat. Il est plus léger qu’un foiler, de l’ordre de quelques centaines de kilos, car les dérives pèsent moins lourd que les foils et qu’il n’y a pas à l’intérieur tous les systèmes de structuration spécifiques aux foils. Il est en revanche structuré exactement comme un foiler, notamment à l’avant, tout le fond est en monolithique car on a voulu un bateau qui va durer longtemps. Sinon, il a un cockpit ouvert, parce qu’on ne voulait pas s’enfermer. Au final, il est simple, mais quelque part révolutionnaire si on compare aujourd’hui aux nouveaux bateaux qui vont dans des choix plus extrêmes. Pour ce qui est des performances, notre cahier des charges était d’obtenir 1,5 nœud de plus en moyenne que Hubert [le plan Farr avec lequel Jean Le Cam a couru les deux derniers Vendée Globe, NDLR], ce qui devrait être le cas. Selon les calculs de David, on gagne avec ce bateau tous les Vendée Globe, dans le sens où potentiellement, on passe sous le meilleur chrono de l’histoire de la course [74 jours 3 heures 35 minutes par Armel Le Cléac’h en 2016-2017, NDLR]. En fait, on a fait une sorte de Hubert bodybuildé.

Tu parlais de budget, combien coûte ce bateau et quel est ton budget sur ce projet Vendée Globe ?
Mon budget sur quatre ans, jusqu’à fin 2026 – avec The Ocean Race Europe au programme que je veux absolument faire -, est de 2,5 millions d’euros par an (HT), tout inclus. Dont l’amortissement du bateau qui, lui, coûte 5 millions d’euros (HT) prêt à naviguer avec le jeu de voiles – il est la propriété d’Altavia et de ma société. Le budget de fonctionnement est assuré par plusieurs partenaires, les principaux étant Altavia, une société américaine qui s’appelle Workday, Saipol, une société du groupe Avril, et le groupe Altice via sa filiale BFM Business.

 

“J’arrive avec plus d’atouts”

 

Tu es revenu sur le circuit l’an dernier sur Hubert loué à Jean, quel bilan sportif as-tu fait de ton année et quelles sont tes ambitions avec ce nouveau bateau ?
J’étais hyper heureux, car finalement, je n’ai jamais autant navigué sur un Imoca que l’an dernier. Avant mon Vendée, j’avais juste fait la Jacques Vabre avec Sam Goodchild en 2015, mon seul et unique départ de course en solitaire avant l’année dernière, c’était le Vendée Globe ! Là, j’ai enchaîné trois courses, je fais 7e sur la Guyader Bermudes 1000 Race en découvrant le bateau, 14e sur la Vendée Arctique avec des soucis de grand-voile à l’arrivée en Islande. Ensuite, j’ai eu un problème de santé, une névrite vestibulaire qui fait que suis arrivé sur le Rhum avec une énorme fatigue, amplifiée par le fait que je suis devenu papa pour la première fois, je n’ai pas été terrible sur la deuxième partie, je ne suis pas arrivé à la place que je visais (23e). Mais globalement, j’ai vu que j’étais dans le peloton. Et comme j’ai fini toutes les courses, j’ai marqué beaucoup de milles, ce qui me permet de faire partie de ceux qui dorment bien la nuit…

Quelles sont tes ambitions avec ce nouveau bateau ?
Maintenant, mon objectif est de me battre avec les meilleurs. J’ai travaillé toute l’année dernière avec Gildas Mahé qui est un très bon prof, j’ai intégré le pôle Finistère course au large, et cette année, je m’associe avec Martin Le Pape pour la saison, l’idée est vraiment de monter en gamme sur la performance. Encore une fois, je ne serais pas revenu pour refaire le Vendée Globe de 2016, même si, à l’époque, j’y allais aussi pour performer avec les armes dont je disposais. Là, c’est sûr que j’arrive avec plus d’atouts, dont un bateau neuf taillé pour le Vendée Globe, j’ai mis des moyens en face de mes ambitions.

Tu avais terminé 9e en 2016-2017, vu le plateau de l’édition 2024, entre skippers et bateaux neufs, ça va être dur de faire mieux, non ?
Le plateau sera différent, oui, mais comme la dernière fois, où je ne me fixais pas de place pour finalement terminer premier bizuth, je ne vais pas me mettre un objectif précis. Si ce n’est – et je sais que ça fait rire tout le monde quand je dis ça – d’être en harmonie avec la mer et mon bateau. Autrement dit de tirer au maximum sur l’homme et la machine.

Photo : Nicolas Fabbri

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧