Après trois mois de chantier, les Imoca sont aujourd’hui prêts pour attaquer une saison chargée qui débutera le 28 avril avec le départ de The Transat CIC, suivi de la New-York-Vendée et du Vendée Globe. Tip & Shaft a fait le point sur les dossiers techniques qui ont occupé les équipes cet hiver.
Renforcement des mâts, amélioration de l’ergonomie, fiabilisation des systèmes, allègement du bateau, optimisation des ballasts, nouvelles paires de foils… Les équipes viennent de mener leur dernier grand chantier d’optimisation en vue du Vendée Globe.
Si Antoine Mermod, le président de la classe Imoca, précise que “la plus grosse partie du travail concernant les renforts structurels – et notamment les fonds de coque – a été réalisée l’an dernier suite aux observations faites sur The Ocean Race”, deux Imoca ayant subi des avaries sur la Transat Jacques Vabre ont toutefois dû mener des travaux plus conséquents. Pour Éric Bellion, sur Stand As One, ce furent “deux chantiers en un. Le chantier de réparation de notre collision – une greffe de coque de 14 m2 – qui a nécessité des renforts humains, et des travaux pour faire progresser le bateau à partir de la job list que Jean Le Cam, qui navigue sur un sistership, a dressée suite aux deux transats réalisées l’an dernier.”
Renforcement structurel aussi pour Maître Coq, suite à son avarie, avec notamment l’ajout de trois cloisons à l’avant. Par précaution, For The Planet, autre plan Verdier, a également ajouté quelques renforts, comme l’explique son skipper Sam Goodchild : “Nous avions aussi quelques petits soucis, alors Guillaume Verdier nous a proposé de faire quelque chose de plus solide et d’ajouter plus de cloisons à l’avant.”
Des mâts renforcés
Par ailleurs, face au nombre de démâtages – sept depuis 2020 – liés à des causes différentes (périphériques ou collision), la classe a décidé de renforcer les mâts des Imoca mis à l’eau à partir de 2016, Antoine Mermod expliquant que “les bateaux étant de plus en plus rapides, plus ça va et plus les mâts sont utilisés à la limite de leurs hypothèses de conception.” Même si aucun démâtage n’est lié aux cadènes, il a été décidé de renforcer “tous les mâts au niveau des points d’accroche du gréement dormant, J2, J3 et les galhaubans, avec un patch d’environ neuf kilos de carbone pour se donner ainsi une marge de sécurité supplémentaire pour la saison du Vendée Globe.”
Globalement, le chantier de cet hiver a été l’occasion pour les équipes de réaliser un travail de fourmi pour tout démonter et ausculter, comme l’explique David Sineau, team manager chez Initiatives Coeur. “Les bateaux sollicitant beaucoup plus les cordages qu’avant, la rapidité d’usure est plus importante, ce qui a nécessité de traquer tous les points de ragage des différents systèmes, manœuvres de foils, chemins d’écoute, amures…” Chez Charal, Nicolas Andrieu, directeur du bureau d’études de BeYou Racing, souligne également “qu’une bonne partie de l’hiver a été consacrée à démonter intégralement le bateau pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’usure précoce dans les systèmes et les cordages.”
Des foils en spare
Lors de leur mise à l’eau, plusieurs Imoca ont arboré une seconde paire de foils, à l’instar de Macif, Charal, Malizia, Teamwork-Team Snef, Maître Coq ou encore Initiatives Coeur, pour laquelle David Sineau explique que la motivation principale était de “sécuriser le projet car si l’on casse un foil à deux mois du Vendée Globe on ne sait pas en reproduire un dans ce délai. Le créneau pour les produire chez Avel Robotics avait donc été réservé avant même la mise à l’eau du bateau fin 2022, l’objectif étant de les tester sur les deux transats du printemps.” Et bien que déjà très satisfaite de sa première paire, l’équipe les a fait évoluer “afin d’aller chercher une certaine polyvalence et tolérance aux changements d‘assiette du bateau. Ils sont puissants, mais assez 4X4 pour avoir une très bonne vitesse moyenne”, décrit David Sineau.
Chez Charal, l’idée était également “de garder l’ancienne paire de foils en spare”, précise Nicolas Andrieu, mais aussi d’orienter un peu plus le bateau sur des conditions Vendée Globe avec une nouvelle paire qui s’adapte un peu mieux au portant dans la brise et qui soit facile à utiliser en solitaire.”
Nicolas Andrieu, qui travaille également sur le projet Teamwork-Team Snef, ajoute que les nouveaux foils qui équipent désormais l’Imoca de Justine Mettraux ont grandement évolué. “Contrairement aux précédents, qui dataient de la mise à l’eau du bateau (ex-Charal) en 2018, et qui avaient un tout petit peu évolué, ceux-là vont pousser beaucoup plus fort, permettre d’être plus stable en gîte et d’augmenter la vitesse avec de gros gains de performance, surtout au près et au reaching, mais aussi un peu au portant.”
Chez Hublot Sailing Team, point de nouveaux foils, mais une nouvelle étrave, comme l’explique son skipper Alan Roura, “Nous avons décidé d’optimiser notre bateau autour de nos foils car nous ne pouvions pas en faire une seconde paire, faute de budget.” Un gros chantier fut donc consacré à la transformation de l’étrave, qui était jusqu’alors très volumineuse au niveau de la flottaison. “Nous avons coupé entre 3m50 et 3m80 d’étrave pour en créer une nouvelle – type Americas’ Cup – qui soit plus fine dans les entrées d’eau afin de permettre au bateau de ressortir plus facilement lors des plantés et de rebondir sur les vagues, tout en gardant de la longueur à la flottaison parce qu’il a toujours eu un déficit au près”, détaille le skipper suisse. Un déficit causé par la jupe du bateau qui était “tout le temps plantée dans l’eau. En ajoutant presque 300 litres de mousse d’insubmersibilité à cet endroit, cela a permis de surélever la jupe, pour aider à la stabilité du bateau et gagner dans le petit temps et au près.”
Gain de poids
Gagner du poids et équilibrer les masses était également au programme de plusieurs chantiers. Alan Roura précise ainsi “que les ballasts centraux ont été excentrés sur les francs-bords, l’idée étant de diviser leur volume par deux tout en gardant la même puissance.” Chez Guyot environnement, Benjamin Dutreux explique également “qu’un gros travail a été fait pour alléger le bateau qui avait été pas mal alourdi au fil des années. Nous avons donc décidé de repartir de zéro en coupant et meulant tout ce qui était inutile, en retirant les couches de peintures qui se superposaient ainsi que les ballasts centraux, et en optimisant le poids du bulbe de la quille.” Guyot environnement est également doté d’un nouveau roof, “beaucoup plus léger, précise Benjamin Dutreux, avec plus de hublots pour plus de visibilité sur mes voiles, mais aussi plus fermé et donc plus vivable.”
Sur le sujet ergonomie, l’autre gros dossier qui a occupé les équipes cet hiver, Benjamin Dutreux ajoute d’ailleurs qu’un “nouveau siège baquet a été installé” de façon à ce qu’il accède aussi bien à ses écoutes qu’à son ordinateur. “Auparavant, je devais me déplacer pour chaque chose. Je vais désormais être plus réactif sur les réglages.”
Limiter les déplacements au maximum, c’est aussi ce qu’a recherché Initiatives Coeur “en organisant la zone de vie comme une zone très compacte et très proche de l’extérieur, décrit David Sineau. Un siège amorti, moulé à la forme de Sam Davies a ainsi été installé dos à la route, à deux pas de sa colonne.”
Même chose chez Teamwork-Team Snef où un nouveau poste de poste de veille va permettre à Justine Mettraux de se reposer et de veiller de manière plus confortable et plus sereine avec un siège baquet inclinable et orientable en fonction de la gîte du bateau et tourné vers le cockpit. Un cockpit qui a lui aussi été aménagé pour favoriser confort et protection, précise Nicolas Andrieu : “Entre la mise à l’eau et maintenant, au fur et à mesure de l’accélération du bateau, il y a eu plusieurs stades de fermeture de la casquette. Et là, on a atteint un peu la dernière étape, où la casquette ferme quasiment complètement le cockpit.”
Restent maintenant deux transats pour tester et éprouver toutes ces modifications et optimisations, avant une dernière mise au sec cet été. Une ultime vérification avant de s’élancer le 10 novembre prochain pour le Vendée Globe.
Photo : Vincent Curutchet