Imoca Louis Burton

Louis Burton : “On peut dire que BE Racing est la plus grosse écurie de course au large française”

L’écurie BE Racing, créée par Louis Burton et Servane Escoffiera annoncé lundi que c’est Pierre Quiroga qui avait été choisi pour barrer pour quatre ans l’Ocean Fifty Viabilis dont elle a la charge. L’occasion d’échanger avec celui qui est également skipper de l’Imoca Bureau Vallée (ex L’Occitane), qui sera remis à l’eau fin avril.

Ta saison 2022 s’est achevée par un démâtage sur la Route du Rhum, as-tu aujourd’hui toutes les réponses sur les causes ?
C’est toujours très compliqué d’isoler une raison. Ce qui est sûr, c’est que j’étais dans une configuration qui, par rapport au vent et à l’état de la mer, ne permet pas de mettre en cause l’utilisation du bateau, tout le monde a été d’accord là-dessus. J’allais chercher le passage d’un front qui se creusait très vite, j’étais deux ris et J3 dans 25-28 nœuds de vent, ce n’était pas violent pour Bureau Vallée. Donc il est probable que le démâtage soit dû au choc du bateau, assez plat devant, en atterrissant dans une vague, ce qui a entraîné un effet de vibration sur un mât qui avait été manchonné. En tout cas, ça n’a rien à voir avec le premier démâtage (lors de la Transat Jacques Vabre 2021) qui était plutôt classique, avec une perte de tension dans le bas étai en pleine charge avec une voile en tête, et une inversion qui provoque le démâtage.

Deux démâtages en deux ans, est-ce compliqué à vivre vis-à-vis de ses partenaires ?
C’est toujours compliqué d’expliquer que même si le résultat est le même, ce ne sont pas les mêmes raisons. Maintenant, j’ai la chance d’avoir un partenaire principal et des cosponsors qui sont avec moi depuis de nombreuses années. On a connu une liesse pas possible avec le dernier Vendée Globe (3e), là, ce sont des moments plus durs qui créent forcément beaucoup de déception, mais ça ne remet rien en cause. La seule chose que m’ont demandée mes partenaires, c’est d’essayer de bien comprendre ce qui s’est passé et de travailler pour que ça n’arrive plus, même si on ne peut jamais être sûr à 100%. C’est ce qu’on a fait : on a mis beaucoup d’énergie pour investiguer et ce n’était pas forcément une période très agréable, mais c’était nécessaire. Là, on a contrôlé le nouveau mât dans tous les sens et on met au point un guide d’utilisation adapté au bateau, à ma façon de naviguer et à mes configurations de voiles.

Tu as changé de monture à l’issue du dernier Vendée Globe en achetant L’Occitane d’Armel Tripon, la marche est-elle importante par rapport à ton précédent bateau (ex Banque Populaire d’Armel Le Cléac’h) ?
Oui, c’est énorme ! Mais c’est surtout la perception que tu peux avoir : tu vas gagner de 5 à 15% de performances en plus selon les allures, mais en réalité, tu as l’impression d’aller deux fois plus vite et d’en prendre deux fois de plus dans la tronche ! Sur le bateau précédent, dans 15-16 nœuds de vent, je marchais à 20 nœuds, j’étais un peu en vol mais c’était vivable, aujourd’hui, dans 18 nœuds de vent, je marche à 28 voire 30 nœuds à certaines allures, toutes ces plages d’utilisation dans le médium sont devenues un peu extrêmes. Les sensations de vol et de glisse sont génialissimes, mais tout l’enjeu est de trouver comment tu te positionnes par rapport à ça au niveau ergonomie, protection, capacité à anticiper et à être raisonnable, rythme que tu vas t’imposer… Ça accentue vraiment la notion de pilotage et de gestion de la zone rouge sur les aspects techniques et humains.

 

“On n’était vraiment pas loin
de faire The Ocean Race !”

 

Quel a été le programme du chantier d’hiver pour Bureau Vallée ?
On a fait évoluer les voiles, l’informatique et l’électronique ; on a aussi beaucoup travaillé pour réduire un phénomène de vibration des foils à haute vitesse, à partir de 33-34 nœuds ; et on avait planifié dès l’acquisition du bateau une modification de l’étrave qui est en cours. Avec la nouvelle jauge, qui permet de mettre plus de quête, c’était intéressant de pouvoir spatuler l’étrave encore plus pour repousser davantage le moment où tu vas plonger dans les vagues, ça va surtout être sensible dans les grosses conditions de mer au portant. Ça devrait jouer sur la vitesse moyenne dans le Grand Sud et permettre un pilotage un peu plus serein, avec un bateau qui enfournera moins souvent.

Vous avez failli participer à The Ocean Race avec ton équipe, peux-tu nous expliquer pourquoi le projet n’a pas abouti ?
Au départ, on n’avait pas du tout intégré la course au programme, mais on a été approchés à la fin de l’été dernier par des Hollandais (issus de l’ancienne équipe Brunel) qui n’avaient pas réussi à boucler leur budget pour partir en VOR 65 et qui, du coup, nous ont proposé une sorte de joint-venture. On partait avec mon bateau en gardant les couleurs de nos partenaires sur la coque, on partageait la visibilité dans les voiles, j’emmenais une partie de mon équipage et les Hollandais prenaient en charge le surcoût lié à la participation à The Ocean Race. On s’est rencontrés plusieurs fois, nos partenaires étaient d’accord, mais l’équipe hollandaise s’est fait planter par son partenaire au moment où on allait signer, on n’était vraiment pas loin !

Quel va être ton programme cette année ?
On n’est pas encore sûr d’être prêts pour la Guyader Bermudes 1000 Race à cause du délai de chantier, mais tout le reste des courses Imoca est au planning, avec un objectif de performance dont la priorité est le Vendée Globe. Ce qui veut dire qu’on veut vraiment arriver à finir toutes les courses, je ne vais pas forcément prendre le départ à chaque fois avec le couteau entre les dents, comme j’ai pu le faire depuis deux ans [il est actuellement 26e dans la course aux milles en vue du Vendée Globe, NDLR].

 

“On essaie de tourner de plus en plus
nos projets vers la performance”

 

Parlons maintenant de l’équipe BE Racing, peux-tu nous faire les présentations ?
Aujourd’hui, c’est en tout 34 personnes dédiées aux différents projets. Notre modèle fonctionne vraiment sur la mutualisation, et pas seulement des infrastructures pour que ça coûte moins cher, mais aussi des savoir-faire. A chaque personne qui postule dans l’équipe, on demande systématiquement quelle est son autre compétence, ce qui fait que lorsqu’on la recrute, elle a certes un poste précis, mais elle sait aussi que potentiellement, on pourra faire appel à elle pour cette autre compétence. Par exemple, Pierre Quiroga est skipper de l’Ocean Fifty Viabilis, mais comme c’est un super performer, il sait qu’il faudra sans doute qu’il s’investisse avec moi sur l’Imoca. Moi, je suis skipper, mais aussi gérant d’entreprise, donc je vais aider chaque marin dans la gestion de son projet. Servane dirige la boîte et les équipes, mais quand un skipper va à un rendez-vous avec un sponsor, elle l’accompagne. L’objectif est de mutualiser toutes les compétences et, depuis quatre à cinq ans, on essaie vraiment de tourner de plus en plus nos projets vers la performance.

Combien de projets gérez-vous aujourd’hui ?
Je pense qu’en termes de nombre de projets de course au large, on peut dire qu’on est la plus grosse écurie de course au large française, même si ce n’est pas forcément le cas au niveau du chiffre d’affaires [de l’ordre de 4 à 4,5 millions d’euros en 2023, selon lui]. On a le projet fondateur avec Bureau Vallée, on a le projet Espoir, qui a été très structurant pour nous depuis 2013, en Class40 principalement. Cette année, on a loué notre bateau, qui date de 2017, à Nicolas Bombrun, un avocat qui rêve de ça depuis tout jeune et qu’on va accompagner et on est aussi sur le point de racheter un Pogo S4 pour Baptiste Hulin. On est en train de monter avec lui un projet qui vise à l’amener au départ du Vendée Globe 2028, avec d’abord un passage en Class40 puis en Imoca à la fin de mon Vendée 2024. Notre espoir féminine, Colombe Julia, qui va disputer la Transat Paprec en Figaro, va ensuite accompagner Baptiste – Christophe Bachmann prendra le relais sur la Transat Jacques Vabre – elle deviendra plus tard la skipper n°1 de ce Class40. On a donc aussi un Figaro, skippé par un de nos anciens espoirs, Arthur Hubert. Et vient de s’ajouter l’Ocean Fifty Viabilis.

Pourquoi ce choix de la classe Ocean Fifty et de Pierre Quiroga ?
On trouvait la classe Ocean Fifty hyper intéressante, avec une belle évolution ces dernières années, une stratégie de numerus clausus qui permet de rassurer de potentiels investisseurs sur la valeur du bateau, et un Pro Sailing Tour très adapté pour faire venir les partenaires. Donc on avait décidé d’acheter le bateau juste avant le départ de la Route du Rhum et c’est à ce moment que Servane a rencontré le patron de Viabilis, qui a tout de suite accepté d’embarquer dans cette histoire, c’était l’enchaînement parfait ! Quant au choix de Pierre, j’ai navigué contre lui, ce qui a aussi été le cas de la plupart des espoirs de notre écurie, on a reconnu unanimement que c’était quelqu’un de très performant. Comme le projet Viabilis est appelé à durer de nombreuses années, on avait aussi besoin de recruter quelqu’un capable d’incarner très vite la société, un peu comme moi avec Bureau Vallée, donc qui n’avait pas forcément auparavant une longue histoire avec un partenaire. Il y avait enfin une condition sine qua non, c’était que le skipper vienne s’installer à Saint-Malo, parce que, que le bateau soit en course ou non, on est tous à 8h30 tous les jours dans nos locaux, et Pierre était prêt à faire ça immédiatement.

Photo : Benjamin Sellier – Wind4Production

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