Après six Vendée Globe consécutifs, Jean Le Cam a annoncé cette semaine dans Le Télégramme qu’il renonçait à se relancer sur une campagne en vue de l’édition 2028, dénonçant “l’élitisme” de l’Imoca et un règlement “infernal”. Tip & Shaft revient sur cette annonce.
Présent sans discontinuer sur le Vendée Globe depuis 2004 – il avait terminé deuxième, son meilleur résultat en six participations -, Jean Le Cam a donc annoncé qu’il ne serait pas au départ en 2028. Une décision que le marin de 66 ans a prise quelques semaines après avoir terminé 20e de la dixième édition à bord de son plan Raison à dérives Tout Commence en Finistère-Armor-lux, mis à l’eau à l’automne 2023.
“J’ai fait le bilan, et à un moment, je me suis dit que ça n’avait plus de sens, confie « le Roi Jean », joint jeudi par Tip & Shaft. Je me suis toujours battu pour essayer de rester dans des projets raisonnables, force est de constater que personne n’est dans cette mouvance. Avant, tu pouvais arriver un an avant et faire le Vendée Globe, là, tu es obligé de faire tout le programme, ça coûte une fortune.” Le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro dénonce également un système de qualification qui, selon lui, fait la part belle aux projets les plus fortunés et ne tient pas compte des cas particuliers.
“Le règlement, c’est l’horreur, parce que je ne sais pas trouver des millions d’euros en n’étant pas sûr de me qualifier, poursuit-il. Être obligé de se qualifier quand tu as fait cinq Vendée Globe, non merci ! Le système ne me convient plus.“
Pas de règlement à la carte
Joints par Tip & Shaft pour réagir à l’annonce de Jean Le Cam et à ces critiques, Alain Leboeuf, président de la SAEM Vendée qui organise le Vendée Globe, et Antoine Mermod, président de la classe Imoca, ont d’abord tenu à saluer son parcours. “L’histoire de Jean Le Cam avec le Vendée Globe est exceptionnelle, commente ce dernier. Ça fait près de vingt ans que c’est un des principaux animateurs de la course, il a contribué à faire en sorte qu’elle touche de plus en plus de gens, il faut rendre hommage à tout ce chemin parcouru.” Pour le président de la SAEM Vendée, “on était attachés à Jean qui a un merveilleux palmarès sur le Vendée Globe, son sauvetage de Kevin (Escoffier) restera à jamais une image du Vendée Globe, lui-même a été secouru, il a vécu des histoires incroyables, il était aussi apprécié du public, avec toujours la petite blague qui allait bien.”
Que pensent-ils des reproches sur la rigidité du règlement ? “C’est vrai qu’un Jean Le Cam ou un skipper qui fait ça depuis vingt ans n’a pas forcément les mêmes besoins pour se préparer, répond Antoine Mermod. Mais à côté, on a aussi des skippers qui font le Vendée Globe pour la première fois, c’est très important de leur proposer une préparation à la hauteur de l’enjeu. Notre championnat répond aussi au besoin d’excellence des skippers qui cherchent à gagner le Vendée Globe, avec des compétitions de très haut niveau en amont.”
Pour le président de l’Imoca, “la très grande majorité des skippers se sont très bien retrouvés dans cette préparation, le propre d’une course est d’avoir un règlement unique pour tout le monde et non un règlement adapté à chaque cas particulier.” Alain Leboeuf ajoute de son côté que “faire le tour du monde en solitaire nécessite d’être entraîné, certains le sont de longue date, comme Jean, mais cette expérience doit continuer à être travaillée.”
Ce dernier rappelle au passage que le règlement va évoluer – les grandes lignes ont été dévoilées le 6 novembre, le détail sera publié prochainement – avec “moins de courses qualificatives” et une course aux milles remplacée par un classement aux points tenant compte des résultats enregistrés sur le championnat Imoca Globe Series (avec des coefficients selon les courses). Un système là encore jugé élitiste par Jean Le Cam, mais également par d’autres skippers interrogés par Tip & Shaft. “Là où je donne raison à Jean, c’est que ce classement favorise forcément les grosses équipes qui sont capables de s’aligner sur toutes les courses, ce qui n’est pas forcément le cas des plus petits projets”, résume Fabrice Amedeo.
Une demande de double classement
restée lettre morte
Reste que ce nouveau règlement basé sur le classement pourrait bien ne servir à rien. “Dans le contexte actuel, on est loin d’avoir 40 bateaux en 2028, donc si ça n’évolue pas d’ici là, il n’y aura pas de déçus“, résume ce dernier. Si l’enjeu de qualification et de sélection semble effectivement à ce jour moins tendu qu’il ne l’était sur le cycle précédent, plusieurs marins partagent en revanche l’inquiétude de Jean Le Cam sur l’accessibilité financière du Vendée Globe – que ce dernier a couru en 2024 moyennant un budget total de 4 millions d’euros, précise-t-il.
Lors de la conférence de presse après son arrivée en février dernier, le Finistérien avait ainsi ouvertement demandé à la SAEM Vendée de créer un classement spécifique pour les bateaux à dérives, une bonne manière à ses yeux de “continuer à faire vivre la course après l’arrivée des premiers”, mais également de valoriser les petits projets. “J’ai eu une fin de non-recevoir”, déplore-t-il. “Si on commence à faire un classement séparé pour les bateaux, on va aussi me demander de faire des classements pour les hommes et les femmes, pour les jeunes, pour les étrangers… Le classement unique induit une facilité de compréhension pour ceux qui nous regardent et ne sont pas forcément des spécialistes”, justifie Alain Leboeuf.
Les quelques skippers interrogés par Tip & Shaft sur ce sujet sont partagés. Si Fabrice Amedeo est “contre, car ce qui fait la magie du Vendée Globe, c’est la simplicité du concept”, Sébastien Marsset répond : “J’écouterais plutôt l’avis des sponsors. Le mien, Dominique Foussier, était très favorable à l’idée, il prenait notamment l’exemple des 24 Heures du Mans, épreuve sur laquelle il existe plusieurs classements.” Benjamin Ferré explique quant à lui : “J’entends cet argument du « Une course, 40 bateaux, un seul vainqueur », très simple et très lisible. En même temps, le grand public n’a eu besoin de personne pour faire la distinction entre les bateaux à dérives et les foilers, la preuve en est que quand j’ai passé la ligne, certains journalistes ont titré sur « L’autre vainqueur du Vendée Globe. »”
Jean Le Cam n’en a pas fini
Reste que la part des bateaux à dérives – moins coûteux, mais moins performants – va sans doute continuer à diminuer, ce qui fait dire à Benjamin Ferré : “Je n’aurais jamais pu faire le Vendée Globe en tant que primo-accédant s’il n’y avait pas eu de bateaux à dérives, le plus petit budget de foiler représentait le double du mien. C’est super important de préserver cette accessibilité, elle permet d’accueillir des profils atypiques qui font la richesse du Vendée Globe et servent aussi sa notoriété. Quand tu cumules l’intérêt suscité par Tanguy Le Turquais, Violette Dorange, Guirec Soudée et d’autres, ça pèse !” Sébastien Marsset abonde : “Les histoires qui font vivre le Vendée Globe, ce ne sont pas seulement celles des top teams. Est-ce qu’on peut se priver d’une future Violette parce que le niveau d’entrée est trop élevé ?“
Si le Vendée Globe 2028 se fera donc sans Jean Le Cam – “C’est définitif”, assène-t-il -, ce dernier n’en sera pas forcément très éloigné, puisque son bateau, qui appartient au Crédit Agricole, est à vendre (4,2 millions d’euros HT) ou à louer, à condition que ce soit pour un projet finistérien qu’il accompagnerait volontiers. En attendant, il finit de retaper un Swan 59 acheté il y a quatre ans, “peut-être pour faire la Route du Rhum”, sourit-il.
Ce qui fait dire à Benjamin Ferré : “C’est dommage pour le Vendée Globe de perdre une figure comme Jean, c’est un peu comme quand « Zizou » a annoncé qu’il arrêtait l’équipe de France, mais c’est sûr qu’il va rebondir sur autre chose, car la mer, c’est sa vie, sa respiration, on n’a pas fini entendre parler de lui.”
Photo : Eneour Leost