Quatre ans après une édition “pilote” disputée dans des conditions sanitaires complexes, The Ocean Race Europe s’élance le 10 août d’Allemagne, avec l’ambition de s’installer durablement dans le calendrier Imoca, malgré une participation de sept bateaux un peu en deçà des attentes.
Kiel, Portsmouth, Porto, Carthagène, Nice, Gênes, pour finir au Monténégro… voilà le programme qui attend, durant un mois et demi, les sept équipages engagés sur The Ocean Race Europe. Un challenge de taille pour les marins, qui devront composer avec des côtes et des conditions variées, mais aussi pour les organisateurs, qui espèrent une montée en puissance de l’événement, quatre ans après une première édition marquée par la crise du Covid-19.
“En 2021, deux semaines avant le départ, on ne savait même pas si on allait pouvoir courir. Ça avait été très difficile de vendre le concept à des villes avec autant d’inconnues, rappelle Johan Salén, directeur de l’épreuve. Mais au final, tout le monde était content, ça nous a confortés dans l’idée qu’il fallait ressusciter ce tour de l’Europe, qui avait été un succès avant de s’arrêter en 1999.”
Les ambitions ont été revues à la hausse pour la deuxième édition, avec notamment un parcours plus fourni, malgré quelques difficultés à trouver les villes-hôtes. “Certaines sont venues très vite, pour d’autres il a fallu travailler un peu plus, car en été, l’agenda est déjà bien rempli. Paradoxalement, c’est en France qu’on a eu le plus de mal“, poursuit Johan Salén, qui explique notamment ces difficultés par “la concurrence du grand nombre d’événements nautiques qui existent déjà.”
“Entre 100 000 et 200 000
personnes par escale”
Pour séduire ces municipalités – dont la participation financière reste confidentielle mais “vraiment très différente en fonction des engagements, il n’y a pas un tarif unique”, précise ce dernier – The Ocean Race n’a pas hésité à investir fortement, avec une équipe d’organisation passée de 20 à près de 60 personnes depuis trois mois. L’offre d’accueil du public a également été étoffée avec le lancement du dispositif « Ocean Live Park », comprenant un dôme de 14 mètres de rayon permettant animations et diffusions vidéo, mais aussi des expériences VIP qui ne sont pas sans rappeler les événements du circuit SailGP. “On espère avoir entre 100 000 et 200 000 personnes par escale“, commente l’organisateur.
La couverture médiatique a également été renforcée, grâce à une nouvelle cartographie et un partenariat avec Warner Bros. Discovery (propriétaire notamment d’Eurosport), qui couvrira en direct le départ et la dernière course côtière, et réalisera 14 émissions durant l’événement. “Stratégiquement, on veut faire une bonne édition, donc on a fait des investissements importants qui vont nous resservir pour The Ocean Race Atlantic (en 2026) et The Ocean Race (2027). On ne va pas gagner d’argent, mais on veut prouver que c’est un modèle qui fonctionne“, justifie Johan Salén, qui ne souhaite pas communiquer sur le budget global de l’événement.
Côté plateau, alors que plus d’une dizaine d’équipes avaient exprimé leur intérêt, elles ne seront finalement que sept à s’élancer de Kiel le 10 août. “Dans un monde idéal, on aurait aimé deux ou trois équipes en plus“, reconnaît ce dernier, qui évoque “le contexte économique défavorable”, avant d’expliquer, à propos du budget nécessaire pour participer : “Pour une équipe qui a déjà le bateau, le surcoût est d’environ 250 000 à 300 000 d’euros. Si tu n’as rien, on parle plutôt d’un million, voire de 1,5 million. Une équipe allemande a, par exemple, achoppé sur une question financière. Quant aux projets Imoca existants, ils avaient souvent des contrats jusqu’à la fin 2025, rédigés il y a quatre ans et ne comprenaient alors pas le tour d’Europe. Ce n’est pas la période la plus propice pour demander une rallonge budgétaire. On espère que dans quatre ans, The Ocean Race Europe sera plus établie dans leur calendrier. Mais la qualité des équipes est aussi importante que la quantité, et à ce niveau-là, nous sommes plus que satisfaits.”
“Je voyais vraiment
le potentiel pour mon sponsor”
Le constat est partagé par les participants, à commencer par l’équipe Paprec Arkéa de Yoann Richomme, vainqueur il y a quatre ans en VOR 65 sous les couleurs de Mirpuri Foundation Racing. “La décision de faire The Ocean Race Europe a été prise il y a un peu plus de deux ans, explique le team manager, Romain Ménard. Après un programme très centré sur le solitaire, on avait envie de cette dynamique collective, avec le côté transmission qui tient à cœur à Yoann.” Le projet a aussi convaincu les partenaires, notamment Paprec, dont la filiale espagnole réalise 10% du chiffre d’affaires du groupe. “Ce n’est pas facile de faire venir les filiales à nous, donc c’est précieux de pouvoir aller aux filiales”, confirme Romain Ménard, alors que de nombreuses activations partenaires sont prévues sur le parcours.
Hors de question de faire grimper le budget pour autant. “On a été hyper vigilants là-dessus, et c’est aussi pour ça qu’on a choisi des gens de l’équipe pour naviguer, en plus de Pascal Bidégorry et Mariana Lobato. Ça permet de récompenser ceux qui ont beaucoup mouillé le maillot, mais aussi de limiter les coûts. Au final, c’est vraiment à la marge sur un budget Imoca de quatre ans, avec la promesse d’une belle bagarre sur l’eau, notamment avec Holcim-PRB, Canada Ocean Racing, mais aussi notre sistership, Mapei.”
Nouveau sur le circuit, l’Italien Ambrogio Beccaria, qui s’est associé à Thomas Ruyant Racing (qui vient de céder le bateau à Mapei), avait lui d’emblée proposé The Ocean Race Europe à son sponsor titre. “J’avais fait une étape de The Ocean Race en 2023, j’avais trouvé la course incroyable, avec un public dingue à La Haye et à Gênes, c’était très différent des événements classiques qu’on a en France, et je voyais vraiment le potentiel pour mon sponsor”, explique le Milanais. “Après, c’est quelque chose de costaud au niveau logistique, si j’avais été seul, je n’aurais pas pu monter ça, on capitalise sur l’expérience de TRR.”
Roura en dernière minute
Ce soutien a d’ailleurs permis de récupérer le mât du second bateau de l’écurie lorientaise, après l’avarie majeure rencontrée par l’équipage sur la récente Course des Caps. Pour Ambrogro Beccaria, qui n’a pas inscrit The Ocean Race 2027 à son programme, cette première course sous les couleurs de son nouveau sponsor, “permet d’engranger de l’expérience”, l’intéressé ajoutant, à propos de la concurrence : “Sur ce parcours tout est ouvert. Il ne faut pas oublier que c’est un bateau à dérives qui a gagné il y a quatre ans (Offshore Team Germany, NDLR) !”
Inscrit en dernière minute, Alan Roura mise d’ailleurs sur cette imprévisibilité pour tirer son épingle du jeu, lui qui est accompagné par un nouveau sponsor saoudien, Aamala, déjà partenaire de The Ocean Race et ville d’arrivée de la prochaine édition de la course autour du monde. “Ils avaient la volonté d’avoir un bateau, et nous, on avait un projet clé en main à leur offrir. Avec un timing aussi serré, pas grand monde ne pouvait en dire autant. On ne gagne peut-être pas beaucoup de courses en mer, mais par contre, à terre, on en gagne un paquet !” sourit le skipper suisse.
Avec un budget “équivalent à celui d’une année de Transat Café L’Or”, le marin aux trois Vendée Globe a monté “une équipe atypique, avec des profils variés, suite à un appel à candidatures en Suisse. Il y a de la jeunesse, on casse les codes, mais sur ce format, je pense qu’on a un coup à jouer.” L’idée pour lui est de transformer l’essai en vue de The Ocean Race 2027. “Aujourd’hui, le tour du monde en équipage est notre priorité, le Vendée Globe n’est qu’une option.” Nul doute qu’un bon résultat autour de l’Europe sera un atout pour convaincre son partenaire de poursuivre l’aventure.
Photo : Mark Lloyd / Alea