15e du dernier Vendée Globe, Damien Seguin présente officiellement ce vendredi à La Trinité-sur-Mer son projet Ocean Fifty, pour lequel il cherche des partenaires. Le skipper de 45 ans revient pour Tip & Shaft sur son tour du monde et en dit plus sur ce nouveau chapitre qu’il veut ouvrir.
Trois mois après l’arrivée, ton Vendée Globe est-il digéré ?
Il est digéré dans le sens où j’ai fait le travail nécessaire pour récupérer mentalement, ce qui me permet aujourd’hui de tourner une page de manière sereine. Maintenant, je dois finir de soigner mes gros bobos du Vendée Globe, ce que je fais au centre de rééducation de Kerpape. Je me suis quand même blessé assez gravement quand j’étais dans la grosse dépression sous l’Australie, je me suis fait projeter par une vague, la tête a tapé et le genou a tourné. Sur le bateau, c’était difficile de poser un diagnostic précis, on a attendu l’IRM de fin de course qui a révélé une petite fracture cervicale et un arrachement du ligament croisé postérieur. J’ai heureusement échappé à l’opération pour les deux, je pense pouvoir repartir sur un projet course au large à 100 % de mes capacités dans quelques semaines. En attendant, en vue de mon projet Ocean Fifty, j’ai repris les entraînements en cata de sport, j’ai racheté un Formule 18, j’ai fait l’Eurocat et je vais partir au championnat de France à La Rochelle.
Cela veut dire que ce Vendée Globe a été douloureux pour toi ?
C’est sûr que j’ai été dans la difficulté une bonne partie de la course. Au début, c’était plus psychologique, j’ai eu du mal à rentrer dedans, la descente du chenal, que je n’avais pas connue en 2020 parce qu’il n’y avait personne, m’a marqué, je n’ai pas réussi à être complètement à fond d’entrée, comme j’ai l’habitude de le faire. Et ensuite, les pépins physiques ont rendu plus compliquée la deuxième partie de course, j’ai dû serrer les dents. Maintenant, on sait qu’un Vendée Globe, c’est compliqué, il faut composer avec plein de choses, moi, je l’ai fait avec mes problématiques, tous les autres ont dû gérer les leurs.
Et avec du recul, que t’inspire ta 15e place ?
Il y a une part de frustration et de déception, c’est clair. Je voulais une progression entre mes deux Vendée Globe à tous les niveaux. J’ai réussi ce pari un peu partout, sauf sur le résultat final qui est un peu plus moyen. Maintenant, ce n’est qu’une petite partie du projet de quatre ans, il y a aussi eu de belles courses et avec du recul, je suis plutôt très fier d’avoir terminé ce Vendée Globe qui n’a pas été simple.
“La page Vendée Globe
n’est pas tournée”
Ils ne sont pas encore tous sortis, mais ce qui en ressort d’une manière générale, c’est qu’un Vendée Globe sur un bateau à grands foils est extrêmement engageant en termes de ce que tu subis à bord, le bruit, les chocs, la qualité du sommeil, le temps de repos… Le but de cette étude est de montrer la réalité de la course pour voir comment on peut faire pour mieux s’y préparer à l’avenir et mieux accompagner les skippers dans la récupération. Moi, ce qui m’a encore frappé, c’est le manque d’accompagnement qu’on a à l’arrivée : tu sors du bateau, tu es jeté dans la foule, aux médias, rendu à ta famille, et au final, il n’y a aucun protocole mis en place pour faire des analyses, aider à la récupération… C’est Bérénice Charrez, la doctorante avec qui la classe a travaillé, qui fait le parallèle avec les astronautes : eux, quand ils rentrent de mission, ils sont pris en charge avec un protocole médical, une période de repos, avant d’être rendus à la vie normale. Nous, on n’a pas ce sas, il faut peut-être se poser la question et évoluer vers quelque chose d’un peu plus encadré.Tu veux désormais te lancer en Ocean Fifty, peux-tu nous expliquer pourquoi ? T’es-tu posé la question de repartir sur une troisième campagne de Vendée Globe ?
Je me suis clairement posé la question, plusieurs paramètres sont entrés en compte dans ma réflexion, notamment la capacité financière – parce que Apicil avait annoncé dès le mois de juillet qu’ils arrêtaient le partenariat – et l’objectif sportif. Pour moi, si je repartais sur un troisième Vendée d’affilée, c’était pour continuer dans une logique de progression, ça voulait dire acheter un bateau beaucoup plus récent ou se lancer dans une construction neuve. Financièrement, ça paraissait compliqué à réaliser avec le retrait d’Apicil, j’ai donc regardé ce qui se faisait autour, l’Ocean Fifty m’a fait de l’œil pour plusieurs raisons. Déjà parce que je viens d’une vraie formation multicoque de sport, ensuite, parce que le budget global est moins important que pour un projet Imoca, enfin parce que les bateaux sont plus adaptés pour offrir des retours aux partenaires, ce qui est plus limité en Imoca.Si Apicil avait continué, tu aurais rempilé en Imoca ?
Oui, je pense, parce que même si ce sont des machines à broyer les skippers, les Imoca restent des bateaux extraordinaires. Pour moi, la page Vendée Globe n’est pas tournée ; a priori je ne suis pas parti pour faire l’édition 2028, mais je n’ai pas tiré un trait sur les suivantes.
“Une histoire assez extraordinaire
à raconter avec Thibaut”
Aujourd’hui, je suis en discussion avec des partenaires que je réunis vendredi à La Trinité-sur-Mer. Je vais leur présenter le projet, en termes de préparation, d’objectifs, de budget et de bateau. C’est vrai que le numerus clausus n’est pas facile à aborder pour un coureur comme moi, dans la mesure où je n’ai malheureusement pas accès à la construction d’un Ocean Fifty neuf. Il faut donc que je me tourne vers le marché de l’occasion, avec peu de bateaux, sur lesquels il faut faire des travaux, ce qui ne me fait pas peur après tout ce qu’on a fait sur notre Imoca ! Aujourd’hui, je suis en contact avec les vendeurs potentiels, mais le premier pas à faire, c’est d’embarquer le maximum de partenaires. Je ne me mets pas la pression en me disant qu’il faut absolument que je sois cette année sur la Transat Café L’Or, si ce n’est pas possible je débuterai mon projet en 2026 et dans ce cas, je serai disponible dès la seconde moitié de l’année pour co-skipper un bateau, que ce soit en Ocean Fifty, en Imoca ou en Class40.As-tu contacté des équipes au sein de la classe pour postuler ?
Oui, d’autant que cette année, comme le routage va être interdit, mon profil peut intéresser, dans la mesure où j’ai toujours fait ça en Imoca. Et il y a une histoire qui serait assez extraordinaire à raconter, ce serait de faire la Transat avec Thibaut (Vauchel-Camus), parce qu’on a grandi et navigué ensemble en Guadeloupe, c’est grâce à notre association de l’époque en Hobie Cat 16 qu’on a pu accéder au haut niveau, ce serait sympa de poursuivre l’histoire. On en a déjà un peu discuté, aujourd’hui, la balle est plutôt dans mon camp, tout dépend de mon projet.Pourrais-tu demander une dérogation à la classe pour construire ?
Je n’ai pas encore discuté avec eux, mais je vais l’avoir prochainement car je suis d’assez près le projet de Gildas Plessis sur la construction d’un Ocean Fifty à 40% biosourcé. Il vient de me faire une présentation parce qu’il connaît ma sensibilité sur le sujet, est-ce que ça peut intéresser la classe d’avoir un bateau qui montrerait l’exemple et donc la pousser à ouvrir un ticket supplémentaire ? Je n’ai pas ouvert la discussion, je sais en revanche que la classe est intéressée par mon profil, parce que, venant de l’Imoca et du Vendée Globe, ça peut apporter un peu de poids sur la communication, je pense qu’il y a des choses à faire.
Quel budget vises-tu et as-tu vendu ton bateau ?
Un bon budget Ocean Fifty pour moi et parce que j’ai envie de bien faire les choses, ce serait au minimum 1,2 million d’euros par an. Dans le montage budgétaire, je vais fonctionner avec une grosse fondation en lien avec le handicap et tournée vers l’international, je ne peux pas encore te dire laquelle mais je t’ai donné de gros indices ! Pour ce qui est de l’Imoca, il est toujours en vente, on vient de terminer le chantier, il est nickel, même en meilleur état qu’au départ du Vendée Globe, il n’y a plus qu’à mettre le mât et la quille pour faire une transat, le tout pour 3,5 millions d’euros full options !
Photo : Adrien François