Roland jourdain route du rhum

Roland Jourdain : “la Route du Rhum jalonne mon parcours”

A 58 ans, Roland Jourdain prendra dans un mois le départ de sa quatrième Route du Rhum. Double vainqueur en Imoca (2006 et 2010), celui qui consacre désormais l’essentiel de son temps à sa société Kaïros et au fonds de dotation Explore, s’élance cette fois en Rhum Multi sur le catamaran We Explore, déclinaison de l’Outremer 5X, construit en partie en fibre lin. Tip & Shaft s’est entretenu avec « Bilou. »

► As-tu eu le temps de préparer cette Route du Rhum-Destination Guadeloupe ?
Non, je ne me suis pas préparé à la hauteur de ce que j’ai pu faire lors des éditions précédentes : on a mis le bateau à l’eau début juin, on a navigué un peu en Méditerranée, puis je l’ai ramené. Il a 4 000 milles au compteur, ce n’est pas beaucoup, mais chacun se bat avec ses réalités ! Mon ambiguïté, c’est un peu toute l’histoire du projet, dans le sens où il est centré autour du message de faire autrement, de limiter l’impact environnemental et d’être dans la sobriété, et à côté de ça, je prépare la Route du Rhum, dont l’objectif est d’aller plus vite que les autres. Il y a plusieurs Bilou dans ma tête en ce moment !

► Pour toi, cette Route du Rhum est plus un défi technologique que sportif ?
Sur le fond, oui. Très égoïstement, ça me fait plaisir de disputer une nouvelle Route du Rhum, mais l’objectif est de profiter de l’ampleur de l’événement pour apporter un éclairage sur We Explore, poser des questions. D’ailleurs à l’origine, on s’était juré avec Sophie [Verceletto, cofondatrice de Kaïros et du fonds de dotation Explore] que jamais on n’utiliserait Explore, une cause d’intérêt général pour laquelle on est bénévoles, au service de mes envies personnelles de faire des courses. On s’est finalement laissé convaincre par les mécènes et partenaires que nous sommes allés voir pour soutenir le fonds et qui nous ont dit : “Pourquoi vous ne racontez pas votre chemin de vie à travers ce projet ?” Et on a construit We Explore, avec lequel nous voulons montrer qu’il y a des choses à faire avec la fibre végétale, le lin en particulier, à l’échelle d’un grand bateau, parce qu’on trouve que ça n’avance pas assez vite. A mon avis, il y a bien plus de leviers culturels et d’habitude à faire sauter que de leviers techniques. Le projet participe à ça, l’objet est qu’il serve de preuve de concept à ceux qui sont encore dubitatifs ou qui ne savent pas qu’un hectare de lin, ça peut traverser l’Atlantique.

► Le pont de We Explore a effectivement été entièrement construit en fibres de lin, as-tu des doutes sur cette solution avant de t’élancer à l’assaut de l’Atlantique ?
Sur le lin tel qu’il est, non. VPLP a échantillonné le bateau pour qu’il supporte le poids normal d’un Outremer 5X qui fait entre 17 et 19 tonnes, moi, je vais être à 13 tonnes, donc j’ai de la marge. Et il faut dire la vérité : le bateau est à 50% en fibres de lin. Au début, je voulais 100% à l’exception des cloisons de pied de mât et de barre d’écoutes, Xavier Desmarets et le chantier Outremer, partenaire du projet, m’ont convaincu de faire marche arrière. Je peux comprendre que ça fasse un peu peur, donc j’ai réduit mes ambitions, mais le coup est parti, c’est évident qu’il faut se mettre beaucoup plus à l’écoconception. On tirera le bilan après la Route du Rhum pour voir si ça peut se décliner en production future chez eux.

 

“Un club de vieux fourneaux !”

 

► Certaines voix se font entendre pour limiter la course à la performance à tout prix, quel est ton avis sur la question ?
Je suis d’accord à 200% ! Je cite toujours l’exemple du dernier Vendée Globe : c’était le Vendée de tous les superlatifs, il n’y a jamais eu un tel niveau sportif, autant de retombées médias, les sponsors étaient heureux, le public conquis… Le seul truc qu’on a eu en moins, c’est la vitesse, mais on a eu la preuve concrète qu’il n’y a aucune corrélation entre la vitesse et la réussite du spectacle. Je trouve qu’on ne s’est pas assez arrêtés sur le sujet, alors que l’augmentation de vitesse, c’est synonyme d’augmentation énorme de CO2 : en matériau, process, maintenance, ingénierie…, le petit nœud à gagner coûte beaucoup en CO2. Si on ne prend pas la performance environnementale en priorité, on se trompe. Il faut faire attention à ce que notre sport, qui est sain au départ, ne rentre pas dans la liste noire. Dans le même ordre d’idée, je connais peu le monde de la plaisance, mais je ne suis pas forcément persuadé que les bateaux de demain doivent être équipés comme le sont nos maisons. Est-ce qu’on a besoin de tous les aménagements à bord pour être heureux en mer ? Ça fait d’ailleurs partie de la suite du projet We Explore, il y a sans doute des solutions pour faire moins fastueux et plus vertueux avec des aménagements low-tech.

► Pour revenir à la Route du Rhum, comment vois-tu le plateau dans la classe des Rhum Multi ?
On a de la chance, car dans cette classe, il n’y a que des figures, c’est un club de vieux fourneaux ! Philou (Philippe Poupon) casse un peu le match avec son 60 pieds (l’ancien Pierre 1er de Florence Artaud, vainqueur de l’édition 1990), même avec deux ris trinquette, il va nous mettre un caramel. Donc on le met hors-jeu, sinon, je pense que les TS50 [ancien nom des ORC 50, qui seront trois au départ avec Halvard Mabire, Loïc Escoffier et Gwen Chapalain, NDLR] sont plus affûtés, ils ont des rapports poids/puissance supérieurs au mien et sont axés course. Maintenant, comme je te le disais, ce n’est pas mon résultat sur la ligne d’arrivée qui fera la réussite du projet.

► 138 bateaux au départ de la Route du Rhum, ça t’inspire quoi ?
C’est exceptionnel, le succès est impressionnant. Il y a plus de quarante ans quand ça a démarré, on ne savait pas trop bien où ça allait, et ça a fonctionné. J’aimerais bien que dans quarante ans, même si je ne serai plus là pour le voir, les bateaux qui seront au départ auront mis le critère environnemental en haut de la pile, ça voudra dire qu’on aura réussi à damer le terrain.

 

“Le rêve est devenu réalité”

 

► Quelle place tient cette course dans ta carrière ?
Elle a pris de la place, c’est le bon terme. Je garde toujours l’image de la première, j’avais 14 ans, quand Malinovski se fait passer par le petit trimaran jaune de Mike Birch. A à cette époque, je n’aurais jamais imaginé la faire, et un jour, c’est arrivé, la première fois en 2002, le rêve est devenu réalité. Et je l’ai même gagnée deux fois, avec deux victoires très liées à mes deux abandons sur le Vendée Globe qui ont été durs à avaler, à chaque fois pour des problèmes de quille. Et derrière, “paf paf !”, j’en gagne une puis deux ! La première, c’était un sentiment non pas de revanche, mais d’immense satisfaction. Je m’étais dit : “Quand même, ça passe, on n’a pas bossé comme des nuls.” La deuxième, j’ai le souvenir d’avoir connu un truc qui t’arrive rarement, une sorte d’état de grâce, tu n’as pas la moindre emmerde, un bonheur de course ! Depuis, j’ai toujours eu affaire à la Route du Rhum en préparant un bateau, en donnant un coup de main à un copain, elle jalonne mon parcours. Si j’y reviens aujourd’hui, c’est parce qu’elle fait partie de ma vie et que tous les quatre ans, ça permet d’avoir une bonne image de la société au sens large.

► Quelle sera la suite du projet ?
On ne l’a pas encore dévoilée, mais ça sera sans doute une tournée événementielle en Atlantique et en Méditerranée autour de ces sujets de décarbonation, d’expérimentation, de coopération et d’inspiration. On va faire du porte à porte avec We Explore, faire monter à bord des scientifiques, des décideurs, des étudiants, une sorte de machine à brasser des idées.

► Cela veut-il dire que tu ne courras plus sur des courses telles que la Jacques Vabre ou autres l’année prochaine ?
Aujourd’hui, mes convictions font que je veux aller vers des projets qui ont du sens. Je ne revendique pas le fait de trouver des solutions tout seul, mais je veux servir de poil à gratter, donc si on m’invite sur la Jacques Vabre avec un mec ou une nana sympa et sur un projet qui a du sens, pourquoi pas ? Et avec We Exploreje vais continuer à faire des courses, du style Fastnet, ArMen Race, en mixant les milieux, de la régate, du low-tech, avec des équipiers qui ont envie de s’inscrire dans cette philosophie. On a envie de faire bouger les lignes en restant au contact d’un milieu qui nous a fait grandir et qu’on aime bien.

 

Photo : Martin Viezzer

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧