France SailGP Team

Thierry Douillard : “Sur SailGP, on est dans les clous de nos objectifs”

Après son grand chelem il y a un mois à Sydney, l’équipe de France de Quentin Delapierre dispute samedi et dimanche l’avant-dernier Grand Prix de la saison 3 de SailGP à Christchurch (Nouvelle-Zélande). L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec Thierry Douillard, entraîneur des Bleus, poste qu’il occupera également au sein du défi français Orient Express Team.

► Peux-tu nous raconter comment tu prépares un Grand Prix ?
Entre chaque épreuve, nous avons des réunions hebdomadaires tous ensemble, qu’on appelle « perf meetings », qu’on double avec d’autres échanges, individuels ou en cellules restreintes. L’objectif pour nous est d’arriver sur chaque Grand Prix avec les idées très claires sur trois objectifs auxquels toute l’équipe adhère. On a vu que les fois où on n’avait pas été suffisamment clairs sur ces objectifs, on a eu plus de mal à rentrer dans le jeu, parce qu’une fois sur place, on n’a pas le temps. Là, on vient de traverser la planète, on est mercredi soir à Christchurch (mercredi matin en France), on va passer la journée de jeudi à finaliser tous les petits détails du bateau, les gars ont le « refresh » de sécurité à faire dans l’eau, et on a juste une heure de nav avant les trois régates d’entraînement officielles de vendredi (finalement annulées à cause d’un vent trop fort) et les deux jours de Grand Prix. Donc on n’a pas le temps de tâtonner, il faut tout de suite être dans le match, tout ce travail fait en amont sert à ça.

► Quels sont les trois objectifs pour ce rendez-vous néo-zélandais ?
On les garde pour nous, mais ça peut être des sections de parcours qu’on veut travailler en particulier, des points sur la communication, les réglages, l’important, c’est que tout le monde soit raccord avec ces trois points et bien concentrés dessus.

► Fais-tu aussi un gros travail sur les datas qui sont en accès libre pour toutes les équipes ?
On a la chance d’avoir effectivement un « share service » sur la performance de tous les bateaux, et chaque équipe peut, à côté, travailler directement avec les trois développeurs/performeurs de SailGP sur des requêtes particulières, c’est ce qu’on fait. Moi, mon rôle va être de superviser un peu tout et d’être sûr qu’on ne passe pas à côté de quelque chose. Après, il y a une grosse partie sur laquelle je passe beaucoup de temps, c’est l’analyse des vidéos et la com interne des bateaux – le nôtre comme ceux des autres.

► Ce « share service » vous a beaucoup aidés pour progresser ?
Je dirais que c’est la manière dont nous l’avons utilisé qui nous a fait beaucoup progresser. Les infos qu’on reçoit sont très factuelles, ce sont des rapports à partir desquels, ensuite, on doit travailler et qu’on va mixer avec des vidéos pour aller chercher des points de fonctionnement du bateau qui nous intéressent dans une équipe.

 

“Le grand chelem chez les Australiens,
c’est super fort !”

 

► Comment as-tu vécu le grand chelem de Sydney avec trois manches gagnées sur trois courues (la journée de dimanche a été annulée) ?
Vu le niveau du circuit, faire un grand chelem comme ça, c’est assez incroyable, ça n’a été fait qu’une seule fois auparavant, par Peter Burling. En plus, le faire à Sydney, chez les Australiens, leaders incontestés de la ligue, c’est super fort ! Quentin et les gars ont été très précis sur les phases de pré-départ, le bord de reaching et le premier empannage, mais aussi super opportunistes quand des ouvertures se sont présentées à eux. Aujourd’hui, ils ont un fond de jeu très solide qui permet de naviguer propre quand tu es devant ou dans la meute et de t’en extirper quand des occasions se présentent.

► C’est quoi la patte Quentin Delapierre ?
La force de Quentin, c’est que le F50 est un bateau qui lui parle, il le sent très bien, il est capable de très bien intégrer le côté technologique, de mettre de manière très précise un chiffre sur ses sensations, c’est ça qui fait la grosse différence. Ça lui a permis, à partir de toutes les données auxquelles on a accès, de progresser très vite, il a vraiment compris comment fonctionnait le bateau, il le ressent à la barre et il est capable de jouer sur les paramètres pour aider l’équipage à trouver les bons réglages. Je n’ai pas souvenir dans le passé d’une équipe capable en si peu de temps d’atteindre un tel niveau, face à une concurrence qui a en plus énormément d’expérience du F50, entre Tom Slingsby, Jimmy Spithill, Ben Ainslie ou Peter Burling. Quentin et les gars font aujourd’hui jeu égal, voire mieux, avec ces grands noms qui, pour certains, ont gagné la Coupe de l’America. Maintenant, l’objectif est de reproduire ça sur chaque Grand Prix, car le plus dur, c’est de rester au très haut niveau.

► Vous êtes troisièmes au classement, peut-on rêver de voir l’équipe triompher et remporter la saison 3 début mai à San Francisco ?
Bruno (Dubois, team manager) et Quentin ont affiché en début de saison un objectif très clair [disputer la Super Finale le dernier jour, qui réunit les trois premiers, NDLR]aujourd’hui, on est dans les clous, même s’il n’est pas encore rempli. Nous avons encore ce Grand Prix puis celui de San Francisco pour jouer la Super Finale. Si on prend les derniers résultats, on a fait quatre à Chicago et Plymouth, deux à Copenhague, quatre à Saint-Tropez, victoire à Cadix, deux à Dubaï, puis on a eu une vraie contre-performance à Singapour en faisant huit et on a gagné à Sydney, donc on a montré qu’on était capables de s’imposer et d’aller au bout. Aujourd’hui, je ne dirais pas que la pression monte, mais on est clairement dans le money time, il va bien falloir appréhender la gestion du risque qui est très importante sur ce circuit où tu as vite fait prendre une pénalité ou d’entrer en contact avec un concurrent, sachant que les bateaux naviguent à un mètre les uns des autres de 40 à 53 nœuds…

 

“La Coupe de l’America, j’en rêve
depuis que je suis gamin”

 

► Tu as également été nommé entraîneur du défi français Orient Express Team, quelles sont tes priorités du moment ?
Aujourd’hui, c’est de structurer l’équipe. Avec Bruno (Dubois), directeur sportif, Quentin (skipper) et Franck (Cammas, responsable de la performance), on réfléchit à comment étoffer le groupe, notamment sur des profils très particuliers, comme les wincheurs, et en tenant compte du fonctionnement à bord, entre un ou deux barreurs. Il y a aussi beaucoup de process à mettre en place en amont, car l’objectif numéro 1, quand on aura reçu notre AC40 l’été prochain, sera d’optimiser, non pas les heures, mais les minutes qu’on aura sur l’eau. Il y a enfin un gros travail de développement des outils de simulation avec l’équipe de Benjamin Muyl (chief designer), en collaboration avec Franck et les navigants. On va rentrer dans le vif du sujet dans les semaines à venir !

► Tu as vécu deux Coupes de l’America, en 2003 et 2007, et la seconde déjà avec Stéphane Kandler et Bruno Dubois, comment sens-tu ce défi français ?
On ne veut pas que s’aligner sur la Coupe de l’America, on veut aussi performer, ce qui est extrêmement ambitieux quand on voit le niveau de nos concurrents, qui plus est sur un bateau à développement. Le projet aurait dû partir huit ou dix mois plus tôt (voir notre article), j’avais plus ou moins fait une croix dessus à l’automne dernier, mais peut-être que c’est un mal pour un bien dans le sens où ça nous oblige clairement à être encore plus pragmatiques. Stéphane et Bruno ont réussi à avoir un accord très fort avec Team New Zealand sur le design package, de notre côté, on doit tout faire pour être tout de suite dans l’opérationnel quand on recevra les bateaux. C’est finalement un peu ce qu’on a réussi à faire avec le F50 sur SailGP. J’ai donc bon espoir qu’on soit compétitifs, on n’est certes pas à l’heure, mais on va jouer pleinement notre chance en identifiant bien les gros leviers de performance à activer pour vite combler notre retard.

► SailGP, Coupe de l’America, y a-t-il encore de la place pour l’équipe Sodebo de Thomas Coville, avec laquelle tu collabores depuis plusieurs saisons ?
La Coupe de l’America, j’en rêve depuis que je suis gamin. J’ai eu la chance de commencer le match racing avec des gens comme Marc Bouët et Luc Pillot, qui étaient pour moi des gars de la Coupe. J’en ai fait deux comme régleur de génois, c’était fabuleux, aujourd’hui, j’adore le large et tout le travail qu’on fait avec Sodebo, mais c’est clair que jusqu’à la Coupe, je vais devoir mettre cette collaboration entre parenthèses.

Photo : Bob Martin

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