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Loïck Peyron : “Une chance incroyable de naviguer en TP52”

Entre le dernier Spi Ouest-France qu’il a couru en Open 750, le MOD70 Zoulou d’Erik Maris, qui a pris le départ jeudi de l’ArMen Race Uship, et surtout le circuit 52 Super Series avec PaprecLoïck Peyron reste, à 65 ans, un marin prisé et bien occupé. Avant l’étape de Baiona des 52 Super Series (2-7 juin), il a répondu aux questions de Tip & Shaft.

Peux-tu nous raconter comment tu t’es retrouvé embarqué sur les 52 Super Series ?
Stéphane Névé, qui s’occupe de tout le programme voile pour Paprec, m’avait contacté il y a trois-quatre ans pour disputer la Copa del Rey sur leur ancien TP52, qui jouait un peu dans le « groupe B », ce que j’avais fait. Il m’a rappelé il y a un an et demi pour savoir si ça me branchait de faire une saison complète à la tactique. J’ai accepté avec grand plaisir, d’abord parce que j’avais donc déjà eu l’occasion de découvrir le circuit en courant la Copa del Rey, ensuite, parce que, en tant que passionné, j’adorais suivre les vidéos des régates depuis des années, déjà depuis l’Audi Med Cup [circuit qui a duré de 2005 à 2011, dont les 52 Super Series sont le prolongement, NDLR], les images étaient magnifiques et les bateaux sublimes.

Et la réalité est-elle conforme à ce que tu voyais sur ces vidéos ?
Complètement ! C’est une chance incroyable de naviguer sur ces TP52, les manœuvres sont géniales, les affalages de spis magnifiques, tout est bien réglé, la chorégraphie est parfaite à bord, très esthétique, c’est un joli ballet ! Et le casting de « kingos » est assez ahurissant, il y a une bonne centaine de kilos de médailles olympiques ou mondiales, des vainqueurs à la pelle de la Coupe de l’America et autres, c’est vraiment sympa de se mesurer à ces gens qui sont vraiment bons. C’est vrai qu’on trouve plutôt des cheveux gris dans les cellules arrière, pas mal de « rock stars » sorties de la naphtaline – dont je fais partie -, comme Ed Baird, Warwick Fleury, Terry Hutchinson, Murray Jones, Ray Davies, Hamish Pepper… il y en a même qui ne sont que coachs, comme Santiago Lange ou Francesco de Angelis ! Il y a heureusement également partout ailleurs sur le bateau beaucoup de jeunes forces vives qui viennent de tous les pays. C’est peut-être l’un des derniers endroits où il y a de la régate pure, sur des bateaux pas très rapides mais où tu as quand même de vraies sensations. Et en plus, on a la chance de naviguer dans des endroits sympas, c’est vraiment l’idée parce que c’est une classe de propriétaires. Des propriétaires, qui, pour la plupart, barrent, ce qui n’est pas notre cas, puisque ce n’est pas Jean-Luc Petithuguenin mais Cédric Chateau qui est au guidon et fait très bien les choses.

“Ça distribue énormément”

Quelles sont les ambitions de l’équipe Paprec ?
Le bilan de l’année dernière n’a pas été si mauvais, parce qu’on a fait septièmes au général, en gagnant une manche en fin de saison. Ce qui n’était jamais arrivé et n’est vraiment pas facile, parce que le niveau est à la fois très relevé et homogène – par exemple Platoon, deuxième au général l’année dernière, a terminé dernier de la première épreuve de la saison à Saint-Tropez. L’équipe n’était jusqu’ici pas aussi bien équipée que les autres en termes de matériel, de voiles, c’est davantage le cas désormais, le projet évolue dans le bon sens, on a d’ailleurs terminé cinquièmes sur la première épreuve à Saint-Tropez. On sent plus de respect chez nos concurrents, ils commencent à savoir qu’on sait faire du bateau. Mais, encore une fois, c’est très volatile, ça distribue énormément d’une régate à l’autre, ça se joue sur plein de détails. Tout le monde a l’impression que les bateaux sont « one design », mais en fait, c’est une « box rule », suffisamment bien faite pour qu’ils soient proches les uns des autres. Ce qui est d’ailleurs une des difficultés du travail de tacticien, dans le sens où, à une demi-longueur près après dix minutes de près, on peut passer premier ou dernier à la première bouée.Ça se joue où alors ? Au départ ?
C’est toujours mieux de prendre un bon départ, mais statistiquement, il y a un tiers de bateaux qui partent mal mais finissent quand même devant. Tactiquement, Gladiator est assez féru du losange, il va un coup à fond à droite, un coup à fond à gauche, et une fois sur deux, voire deux sur trois, ça marche, c’est assez intéressant de voir leur manière de faire. Ce qui est assez étonnant en termes de stratégie, c’est qu’il ne faut pas forcément partir du côté qui semble le plus favorable, parce que la chose la plus importante, c’est d’avoir du vent frais, donc il faut éviter de se retrouver les uns sur les autres. L’autre erreur à ne pas faire, c’est d’aller trop loin sur les lay-lines. Du gras sur la lay-line, ça n’existe pas en TP52, bien au contraire, c’est souvent un petit peu dessous ! Avec Jean-Charles Monnet, qui est à la navigation, on est en permanence en discussion, les virements et placements se font à la demi-longueur près, c’est d’une précision diabolique, je trouve ça assez génial. J’apprends tous les jours, et toutes les nuits, je me fais des films dans la tête !

“Le Vendée Globe reste
une petite exception”

Parlons maintenant d’une de tes autres activités : tu es depuis 2023 président du comité stratégique de CDK, peux-tu nous expliquer en quoi consiste ton rôle ?
C’est essentiellement du conseil, c’est peut-être d’ailleurs un peu fort comme mot, en tout cas, c’est de la discussion et de la réflexion, notamment sur les nouveaux marchés, mais aussi de la promotion de l’entreprise qui manquait un peu de reconnaissance alors que c’est une des meilleures boîtes de construction au monde. C’est assez passionnant d’être entouré de gens vraiment compétents, CDK est une sacrée boutique, on va d’ailleurs inaugurer dans peu de temps les nouveaux locaux, l’entreprise a fait un gros investissement pour l’énorme agrandissement du site de Keroman.C’est ce qui permet, par exemple, de construire quatre Imoca en deux ans ?
Oui, exactement, c’est tout l’intérêt de l’augmentation de la capacité de production. C’est déjà ce qu’avaient intelligemment fait Hubert (Desjoyeaux, l’un des fondateurs de CDK) puis Philippe Facque (ancien directeur général) quand il avait investi dans le grand autoclave. On a même dû refuser des clients ; maintenant, il faut se méfier, car le monde économique est très sinusoïdal, on le voit à certains signes : je crois que pour la première fois cette année, il n’y avait pas de liste d’attente sur la Mini en Mai, et il y a encore pas mal de 40 pieds sur les terre-pleins. J’ai l’impression qu’après la petite bulle qu’on a connue, ça se normalise un peu, même si le Vendée Globe reste une petite exception, car, quel que soit le résultat du skipper, il y a toujours une belle histoire à raconter. Je dois t’avouer que c’est quand même un mystère de voir qu’il y a toujours des bateaux neufs à construire.Quand tu parles de nouveaux marchés, tu penses à quoi ?
Quand je vois les TP52 qui sont une spécialité plutôt espagnole et un peu italienne, je me dis que c’est un marché qui peut être intéressant, pas forcément financièrement, mais en raison de ses exigences un peu différentes qui peuvent permettre d’enrichir le niveau de technicité et de savoir-faire de l’entreprise. Et il y a bien sûr la croisière haut de gamme, on voit qu’un chantier comme Gunboat (dont il est un des ambassadeurs) garde le vent en poupe car des gens qui ont les moyens et envie de s’éloigner des vicissitudes terriennes voudront toujours avoir de jolis outils pour le faire. CDK est prêt à fabriquer ce genre de bateaux d’exception, ce qu’on est en train de faire, puisqu’on construit un grand trimaran de croisière façon Ultim. C’est le genre de marché de niche qu’on peut aller chercher, même si on pâtit d’un petit manque de compétences en Bretagne sur toute la partie systèmes et aménagements intérieurs.

Photo : Martinez Studio

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