L'Ultim skippé par Anthony Marchand

Anthony Marchand : « Avec l’Arkea Ultim Challenge, je me rapproche de mon rêve »

Seul Ultim en lice, Actual a remporté vendredi matin en temps réel l’édition 2023 de l’ArMen Race. Une première victoire pour son nouveau skipper, Anthony Marchand, et l’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec un marin qui, depuis janvier, est également engagé sur The Ocean Race à bord de Biotherm, l’Imoca de Paul Meilhat, qu’il retrouvera sur la sixième étape.

► Tu as disputé les trois premières étapes de The Ocean Race avec Biotherm, qu’en gardes-tu ?
The Ocean Race est une super course, dans laquelle tu mets une énergie hors norme. Les trois premières étapes ont duré trois mois, et pendant tout ce temps-là, tu ne vis que pour ça tous les jours, sans quasiment de repos, c’est super enrichissant. J’ai aussi adoré le côté “grosse colo”, tu en sors toujours avec plein de rencontres, des super souvenirs, des images de mer et à terre magnifiques, c’est un événement génial ! Et j’étais vraiment content de faire la troisième étape, la plus longue de l’histoire de la course, c’était génial pour moi de mettre les pieds dans le Grand Sud avant l’Arkea Ultim Challenge l’hiver prochain. C’était important d’aller voir et ressentir l’atmosphère des mers du sud, le vent, les vagues, la météo, les différences entre les fichiers et ce qui se passe réellement, tu ne vas quand même pas naviguer dans ces coins tous les quatre matins.

► Des choses t’ont-elles surpris ?
Oui, quand on voit les images des nouveaux Imoca qui volent, on se dit toujours que ça n’arrive que dans les baies protégées ou pour les banques images, mais en fait, non, un Imoca à foils, ça vole désormais quasiment H24, même dans le Sud. On les a menés à fond, ce sont des machines assez violentes qui, même si tu fais gaffe en sous-toilant, ont tendance à lever le nez, à décoller et à partir dans des accélérations élevées. Ces bateaux demandent un engagement personnel assez intense et éreintant, quand tu sors d’une étape comme celle du Sud, tu dis chapeau à tous ceux qui font le Vendée !

► Ça t’a justement donné envie de faire le Vendée Globe ?
Quand tu fais de la course au large, forcément, le Vendée Globe trotte toujours dans un coin de ta tête… Maintenant, ce n’est vraiment pas pour moi un objectif à court ou moyen terme. Ce que je trouvais génial dans le Vendée, c’est que c’était un tour du monde en solitaire, mon rêve, c’était surtout ça, et je m’approche de ce but avec l’Arkea Ultim Challenge.

► Biotherm est quatrième au général avant la cinquième étape, compte tenu du fait que sa préparation a été très courte, peut-on dire qu’il est à sa place ?
Oui, c’est clair qu’il manquait quelques mois d’optimisation et d’entraînement pour l’équipe. On voit que 11th Hour a commencé ce projet il y a plus de deux ans avec cette course comme objectif, c’est la même chose pour Malizia, avec un projet pas mal tourné vers The Ocean Race, c’est compliqué de rivaliser avec ces équipes. Quand tu regardes le classement, il n’y a pas de grosses surprises, on savait que ça allait être juste au niveau timing, mais le bateau est toujours en course, en embuscade ; on a certes cassé un peu, mais que des petites choses qui ne cassent qu’une fois, on n’a pas eu de grosses avaries. Je suis sûr que pour les dernières étapes, il y a moyen de plus souvent viser des places de 1 et 2 ; ce serait cool de décrocher une victoire d’étape d’ici la fin de la course. Et pour le projet Vendée Globe de Paul, c’est juste parfait de faire The Ocean Race qui, en six mois, l’aura aidé à fiabiliser son bateau.

 

“Sur un Ultim, tu dois trouver
le feeling de l’anticipation”

 

► Passons à Actual, quand Yves t’avait proposé à l’arrivée du Rhum de lui succéder à la barre du trimaran dès cette année, tu lui avais demandé un délai de réflexion le temps du convoyage retour du bateau, cela veut-il dire que tu as hésité à accepter ?
Non, je n’ai pas vraiment hésité, je me suis plus forcé à hésiter parce que ce n’est pas une décision que tu prends à la légère. Même si tu as spontanément envie de répondre oui, il ne faut pas que ce ne soit que personnel, il faut aussi réfléchir vis-à-vis du partenaire, honorer la confiance d’Yves, donc j’avais besoin de me poser la question de savoir si je me sentais légitime et capable de prendre les rênes de ce bateau, de faire le tour du monde en solitaire en étant heureux et en sécurité. Et je ne voulais pas dire oui pour ensuite regretter et faire volte-face au bout d’un ou deux ans, car potentiellement, l’idée est de s’inscrire dans la durée. C’était donc parfait de faire le convoyage retour qui m’a permis de me projeter sur la façon dont je pourrai vivre chaque évènement en solitaire ; ça m’a aidé à donner un vrai oui à Yves.

► Comment passe-t-on d’un Imoca à un Ultim ?
Ça prend un peu de temps, il faut se réhabituer à ces machines, parce que les efforts n’ont rien à voir avec ceux que tu connais en Imoca. Tu ne peux pas choquer comme ça avec des tours de winch quand tout est en charge sur un patin à 35 nœuds en volant, une bêtise peut être dangereuse pour le bateau et traumatisante physiquement pour le skipper. Ça veut dire qu’il faut vraiment faire les choses avec méthodologie, tout anticiper très en avance. En fait, tu dois trouver le feeling de l’anticipation qui va te conduire à prendre un ris ou à changer de voile d’avant à tel moment. Pas trop tôt car on est des régatiers et on ne veut pas se traîner, mais en revanche, tu n’as vraiment pas le droit de le faire trop tard… ce que tu peux plus te permettre en Imoca où, quand tu sens que le vent monte, tu vas parfois changer de voile quand tu es déjà un peu en cacahuète. En Ultim, il faut le faire avant de se sentir surtoilé, donc la difficulté quand tu passes de l’un à l’autre est de retrouver ce feeling. Les Ultims sont aussi des bateaux qui naviguent très à plat, voire à la contre-gîte à certains moments : 7 degrés de gîte, c’est beaucoup sur un Ultilm, rien sur un Imoca, donc là encore, il faut retrouver des repères, des réflexes.

► Tu sors tout juste de l’ArMen Race, comment cela s’est-il passé ?
C’était chouette, on a eu toutes les allures, donc des configurations différentes, on n’a pas beaucoup dormi, ce n’est pas parce qu’on était le seul Ultim qu’on se l’est joué à la cool sur l’eau, tout l’équipage a œuvré pour que cette course soit un entraînement intensif et instructif. A chaque sortie, on apprend des choses parce que sur ces bateaux, il n’y a pas de vérité absolue, tu te rends compte que tu peux toujours trouver d’autres solutions par rapport à ce que tu pensais bien faire, donc il faut toujours bouffer du mille, enchaîner les manœuvres pour continuer à grandir. Ce que je vais d’ailleurs continuer à faire, puisque j’ai programmé des entraînements en solitaire dès la semaine prochaine, il faut aussi que je fasse mes qualifications, j’en ai potentiellement deux, une de 1 200 milles en double pour la Transat Jacques Vabre selon le co-skipper que je choisirai et une en solitaire de 2 500 milles pour l’Arkea Ultim Challenge.

 

“J’essaie de ne pas trop me projeter”

 

► Tu disputeras en fin d’année la Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre (le co-skipper sera connu prochainement) puis l’Arkea Ultim Challenge-Brest, comment comptes-tu gérer cet enchaînement ?
Ça ne me fait pas peur, mais il faudra bien définir les priorités. La Transat Jacques Vabre n’est pas un objectif secondaire car c’est une grande course sur laquelle tu as forcément envie de bien marcher. Donc un résultat sera toujours bon à prendre, d’autant qu’on ne sait pas comment se passera le tour du monde après, mais c’est sûr qu’on sera peut-être moins enclins à tout faire pour arriver coûte que coûte en Martinique si on rencontre des pépins techniques.

► L’Arkea Ultim Challenge-Brest sera une grande première, as-tu le sentiment d’être une sorte de pionnier avec les autres skippers qui y participeront ?
Je suis forcément content d’en faire partie, mais je n’ai jamais recherché le fait d’être pionnier, ça me tombe un peu dessus par hasard. Maintenant, c’est sûr que ces bateaux n’ont jamais fait de tour du monde en solitaire en mode volant, mais j’essaie de ne pas trop me projeter, je préfère procéder étape par étape, j’ai encore plein de choses à faire cette année avant d’arriver à Brest. Je n’ai pas envie de me rajouter du stress inutile.

► Imoca sur The Ocean Race, skipper du trimaran Actual, tout ce qui t’arrive aujourd’hui te fait-il dire que tu as fait le bon choix il y a trois ans quand tu as décidé de tourner la page Figaro ?
C’est vrai que j’aurais pu continuer à faire du Figaro, mais je voulais vraiment aller voir autre chose, donc oui, je ne regrette pas d’avoir pris le risque de ne plus avoir de sponsor et de devenir simple équipier sur d’autres bateaux. Le fait d’être à la tête du trimaran Actual me fait dire que j’ai eu raison de faire ces choix, même si j’ai eu des doutes à certains moments. Maintenant, rassure-toi, je rentre toujours autant dans mes chaussettes et dans mes chaussures !

 

Photo : Thierry Martinez 

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