GITANA, Annonce skippers Edmond de Rothschild. 25 April, 2019.

Cyril Dardashti : “La combinaison Charles-Franck était la solution”

Le Gitana Team a annoncé jeudi dernier que ce sont finalement deux skippers et non un, en l’occurrence Franck Cammas et Charles Caudrelier, qui succèdent à Sébastien Josse à la barre du Maxi Edmond de Rothschild. Son directeur général, Cyril Dardashti, revient pour Tip & Shaft sur ce choix.

Avant de parler de l’arrivée de Franck et Charles, revenons sur le départ de Sébastien Josse sur lequel il n’y a pas vraiment eu d’explication, peux-tu nous en donner ?
Ce n’est pas un sujet sur lequel j’ai forcément envie d’épiloguer. Disons que nous avons écrit une belle histoire pendant huit ans avec Seb ; après, nous avions des divergences sur la façon dont on voyait la suite. C’est comme un mariage : au départ, tout est beau et au fil de l’eau, les vues ne sont plus forcément les mêmes. C’est ce qui est arrivé et rendait la gestion de l’équipe difficile, d’où cette séparation.

L’abandon sur la Route du Rhum a-t-il été un élément déclencheur ?
Absolument pas. Sur ce qui est arrivé, nous avons notre responsabilité, nous savions que le bateau était jeune et qu’on risquait de se prendre les pieds dans le tapis sur certains sujets.

Cette séparation n’est pas la première au sein de l’écurie Gitana, réputée « consommatrice » de skippers si l’on compare avec certaines équipes comme Sodebo, Macif ou Actual qui ont le même depuis de nombreuses années, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Plusieurs choses : d’abord, je ne sais pas si on peut dire que le fait d’avoir un skipper pendant huit ans signifie qu’on est « consommateur », c’est déjà une longue et belle histoire. Il y a eu une période un peu instable il y a une dizaine d’années, on paie peut-être cette image. Et si on compare avec Sodebo par exemple, nos fonctionnements sont différents : on a d’un côté un skipper qui a été démarcher un sponsor et mène son projet, et, de l’autre, Gitana, une écurie qui existe et va donner le volant à un pilote, comme ça se fait notamment en F1. En F1, personne ne s’offusque de voir les pilotes rester un ou deux ans dans une écurie.

Parlons maintenant de l’annonce faite jeudi : n’avez-vous vraiment contacté personne pour succéder à Sébastien ?
Personne ! Quand on a annoncé notre séparation, l’idée était de susciter une vraie envie des candidats de s’inscrire dans l’histoire de Gitana et donc de franchir le pas en nous contactant. Nous avons été agréablement surpris par le nombre et la motivation des candidats que nous avons tous reçus. On a l’image d’une équipe assez hermétique et cloisonnée, ce qui n’est pas tout à fait vrai, nous étions heureux de constater qu’il y avait un vrai enthousiasme à l’idée d’intégrer notre projet.

Comment s’est effectué le choix ?
Nous avions un certain nombre de critères que je ne citerai pas tous, mais à titre d’exemple, on avait des candidats qui ne se sentaient pas tout de suite en capacité de partir en solo sur cette machine. Par rapport à notre projet, on ne pouvait pas se permettre de se donner un ou deux ans pour former un skipper. Tant qu’on était archimédien, c’était possible de passer d’un Imoca à un grand trimaran, mais là, il y a un gouffre.

Cela veut-il dire que vous avez dressé une short-list ? De combien de personnes ?
Oui, de quatre skippers.

Si on se réfère au critère dont tu viens de parler, en plus de Franck et Charles, on peut se dire que les autres sont Pascal Bidégorry et Thomas Rouxel ?
Tu peux dire ça, oui, mais je n’ai pas envie de citer de nom, parce qu’on a le plus grand respect pour tous ceux qu’on a rencontrés et qu’on ne veut pas générer de frustration.

Comment vous est venue l’idée de finalement retenir deux skippers ?
On a une grosse échéance en fin d’année, la Brest Atlantiques, donc on s’est déjà dit qu’il fallait trouver un skipper et un co-skipper. Lors des entretiens individuels, quand on a demandé aux candidats avec qui ils aimeraient naviguer, Charles a répondu Franck de façon très spontanée, Franck a fait de même avec Charles. Il y a eu ce déjà ce petit déclic. Ensuite, au regard de nos critères, ils sortaient tous les deux du lot, mais pour des raisons différentes. A un moment, on s’est dit que cette combinaison était la solution. Quand on les a convoqués pour leur soumettre l’idée, ils nous ont regardé assez dubitatifs pour finalement revenir vers nous en disant : « C’est pas con ».

Ont-ils posé des conditions ?
Non, il a juste fallu qu’on se penche sur le programme pour voir comment ils se le répartissaient. Charles avait une grande volonté de courir la Route du Rhum qu’il n’a jamais faite, Franck avait envie de développer le bateau, donc on s’est assez naturellement accordés sur la répartition qui a été annoncée.

Sur le papier, associer les deux derniers vainqueurs français de la Volvo Ocean Race semble un casting de rêve ; reste à faire cohabiter deux hommes qui ont un gros vécu et leur caractère, n’y a-t-il pas un risque que ça clashe ? Et qui décidera en cas de désaccords en mer ?
Je pense que ce binôme, qui est effectivement un casting de rêve, on n’aurait pas pu le faire avec d’autres. Ils sont très respectueux l’un de l’autre, ont une complicité depuis de nombreuses années, sont très proches dans la vie privée, et dans les entretiens individuels qu’on a eus avec eux, lorsqu’on leur a demandé s’ils pourraient être le co-skipper de l’autre, les deux ont répondu oui. Pour ce qui est de ta seconde question, ils se sont mis d’accord tous les deux : en cas de divergences, Franck aura le dernier mot sur 2019 et 2020, Charles après.

Remarque purement matérielle : deux skippers chevronnés au lieu d’un, ça coûte forcément plus cher…
Oui, forcément. Maintenant, est-ce que c’est plus cher que d’avoir un Thomas Coville avec un Jean-Luc Nélias dans la préparation d’un projet ? Je n’en suis pas sûr.

A propos de budget : tu disais récemment que, contrairement à ce que les gens pouvaient penser, vous n’aviez pas forcément le plus gros de la classe Ultim, à combien se monte-t-il ?
On a un budget de fonctionnement de 3,5 millions d’euros HT par an [hors amortissement du bateau, NDLR]. C’est vrai que c’est parfois un peu dérangeant qu’on s’imagine tout de suite que, parce qu’on représente le Groupe Edmond de Rothschild, on fait des dépenses pantagruéliques et qu’on a le plus gros budget, c’est absolument faux. On a une gestion de bon père de famille, chaque euro investi doit avoir une justification et un retour sur investissement.

Vous avez récemment intégré la classe Ultim 32/23, quel est votre positionnement vis-à-vis d’elle ?
Nous avons intégré la classe parce que nous voulons participer à des courses en flotte, mais, très honnêtement, nous n’avons pas la même philosophie que les autres membres. Je ne pense pas qu’ils partagent notre volonté de voler et d’innover, on essaie plutôt de nous mettre des bâtons dans les roues sur cette partie en argumentant sur des histoires financières, alors que c’est faux de dire que nous avons des possibilités illimitées. Le fait est que nous avons pas mal d’avance aujourd’hui, parce que nous travaillons depuis 2013 sur le sujet, et je pense que ça en dérange certains. Maintenant, on s’est dit qu’on allait se plier à certaines règles, même si elles nous bloquent en terme de développement, tout en travaillant à côté sur une campagne de records pour continuer ce développement, et notamment l’asservissement qui nous paraît indispensable pour voler au large de façon stable et constante. Et l’asservissement, ça coûte certainement moins cher qu’une nouvelle paire de foils.

Parlons du bateau : quand est prévue la mise à l’eau et qu’avez-vous fait pendant le chantier d’hiver ?
On espère la mise à l’eau autour du 20 mai. Nous avons fait un gros chantier de fiabilisation en renforçant les étraves, parce qu’on s’est rendu compte qu’on avait minimisé la partie structure, on ne s’imaginait pas pouvoir atteindre de telles vitesses dans de la mer aussi formée, maintenant on le sait. Nous avons donc corrigé le tir lors de ce chantier.

Ça veut dire plus de poids : quelques dizaines de kilos ?
Ça se mesure en bonnes dizaines de kilos (rires).

Que t’inspire le nouveau Sodebo ? As-tu été le voir sur l’eau ?
On n’a pas encore été le voir, ça ne veut pas dire qu’on ne le fera pas. Je suis très heureux qu’il y ait un nouvel Ultim, je trouve que ce qu’ils ont fait est osé, maintenant, je demande à voir comment ça marche

Pour finir sur vos objectifs : vous restez sur deux transats, Jacques Vabre et Route du Rhum, où vous avez rencontré des soucis techniques, sentez-vous une pression de votre armateur pour décrocher des résultats ?
On a été très ambitieux sur ce bateau et on se rend compte que finalement, tout ce qu’on développe est copié par les autres : l’aile de raie [le plan porteur sur la dérive centrale, NDLR], les safrans qui se remontent avec les casques intégrés, toute la partie vol… ce qui veut dire qu’on est dans le vrai. Après, quand tu es audacieux et pionnier, il faut accepter de se prendre des portes dans la figure : on les a prises, ça fait mal, mais ça nous permet de rebondir pour être meilleurs et on espère gagner des courses dans les prochains mois, j’en suis intimement persuadé et je pense que notre partenaire partage cette vision. Et la pression, on se la met tous les jours.

Photo : Yann Riou/PolaRYSE/Gitana SA

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