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Patricia Brochard : “Le sponsoring voile est un outil merveilleux”

Sodebo fête sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe vingt ans de sponsoring voile, avec une sixième participation consécutive pour l’entreprise vendéenne, une cinquième pour Thomas Coville, qui disputera à cette occasion sa dernière course sur l’actuel Sodebo Ultim’, vendu à Actual et Yves Le Blévec. L’occasion pour Tip & Shaft de revenir sur ces deux décennies avec Patricia Brochard, co-présidente de l’entreprise vendéenne.

Revenons vingt ans en arrière et à la première Route du Rhum de Sodebo avec Raphaël Dinelli, en 1998, quels souvenirs en gardez-vous ?
Je me souviens que nous avons vécu ça de façon assez naïve… et assez angoissée aussi parce que c’était un univers inconnu ; nous étions complètement novices, nous avions tout à découvrir. Je me souviens aussi d’une arrivée “challengée”, dans le sens où le bateau s’était quand même bien classé [12e et 3e monocoque, NDLR], mais aussi d’un moment fort, puisque, avec mes parents [fondateurs de la société, NDLR], nous étions sur place quand Thomas est arrivé en vainqueur sur Aquitaine Innovations. Nous avons assisté à sa conférence de presse et là, ça a été une révélation pour nous : Thomas était rayonnant, il nous a fait vibrer, on s’est dit qu’il se dégageait quelque chose de très particulier chez ce jeune homme. C’est ensuite que nous avons décidé de reconstruire une nouvelle histoire avec un nouveau skipper. Nous avons pour cela cherché à nous faire accompagner et dans la liste des cinq skippers qui nous a été proposée, il y avait Thomas. Nous les avons presque tous rencontrés en leur faisant passer une journée dans l’entreprise. Thomas a séduit tout le monde : à la fin de cette journée, nous savions que c’était lui.

Depuis, vous avez développé avec lui des rapports très forts. Quand il évoque vos parents, il parle souvent de liens presque filiaux, comment définiriez vous ceux qui vous unissent à lui ?
Je ne saurais pas comment les définir, mais ce qui nous relie, ce sont les échanges que nous avons. On se fait progresser l’un et l’autre, nous avons des discussions assez fascinantes qui partent de son expérience ou de notre expérience d’entrepreneurs. C’est ce débat d’idées permanent qui nous relie.

Quelles images marquantes gardez-vous de ces vingt ans de sponsoring voile ?
C’est une question difficile car chaque événement a construit notre histoire, mais je dirais que les tours du monde ont toujours été des temps forts, qu’ils aient été des échecs ou des réussites. J’ai en tête l’image de Thomas quand il a bouclé son tour du monde avec deux jours de plus que le chrono de Francis Joyon [en 2011, NDLR], et l’émotion incroyable qu’il a réussi à partager avec ceux qui étaient venus l’accueillir. C’était une autre forme de victoire pour moi, celle du partage et de la transmission.

En parlant de tour du monde : vous êtes une entreprise vendéenne, partenaire principal du Vendée Globe, pourquoi n’avoir jamais refait le Vendée Globe depuis celui de Thomas, en 2000 ?
Justement, parce que nous sommes devenus partenaires. Ce qui nous avait évidemment attirés lorsque nous nous sommes lancés dans le sponsoring, c’était de participer au Vendée Globe parce que nous sommes vendéens. Après, soit nous sommes partenaires de la course, soit nous sommes le sponsor d’un participant, mais je ne nous vois pas être les deux en même temps.

Avez-vous eu des moments de doute ou de remise en question, en vingt ans ?
Quand on fait du sponsoring, il faut avoir une conviction chevillée au corps parce que sinon, à chaque problème, on plie bagage. Nous l’avons toujours eue, mais ce n’est pas pour autant que ça n’a pas été difficile. En interne, certains ont pu se demander pourquoi on continuait sur ce chemin-là quand il n’y avait pas trop de résultats. Dans la presse aussi, on nous a parfois interpellés en nous demandant pourquoi nous étions encore là. Il faut avoir une vraie confiance dans le choix qu’on fait.

Imoca, Orma, Ultim, les bateaux Sodebo ont grandi, l’entreprise aussi, avec aujourd’hui un chiffre d’affaires de 434 millions d’euros et plus de 2 200 salariés, quelle est la part du sponsoring voile dans cette croissance ?
Il fait partie intégrante de notre stratégie de communication, c’est une évidence, et dès le départ, ça a été un élément moteur : avant même d’investir dans la publicité TV, nous nous sommes lancés dans le sponsoring. On a continué à en faire un vrai fil conducteur et, aujourd’hui, nous pouvons mesurer que nous n’avons pas le même capital confiance ni les mêmes intentions d’achat lorsqu’on s’adresse à des personnes qui connaissent notre engagement dans la voile et à ceux qui ne le connaissent pas. C’est aussi ce qu’on recherche : créer un lien très différent avec nos clients grâce à la voile.

Vous évoquez des retombées médias de 150 millions d’euros en vingt ans, mais concrètement, combien coûte chaque année le sponsoring voile à l’entreprise ?
C’est à peu près 2,5 millions d’euros par an, amortissement du bateau inclus. Mais ce que j’explique à chaque fois pour motiver des entreprises à nous rejoindre dans la voile, c’est que lorsqu’on achète un bateau, c’est un investissement qui s’amortit et se revend.

Reste que ces bateaux commencent à devenir très cher, Emmanuel Bachellerie, délégué général de la classe Ultim 32/23, évoquait récemment au Yacht Racing Forum des budgets de construction autour de 12-13 millions d’euros. N’y a-t-il pas un risque de surenchère ?
On peut construire avec moins, et c’est ce qu’on attache à réaliser avec Thomas parce que nous ne sommes pas une multinationale, puisque le budget de construction de Sodebo Ultim 3 est de 10 millions d’euros. Mais c’est un sujet qui est au cœur de la classe Ultim : faire en sorte que les budgets ne soient pas exponentiels pour que la classe reste accessible à des entreprises de taille intermédiaire et pas uniquement à de grands groupes. Ce qui fait la richesse de notre classe, c’est que nous avons des entreprises avec des profils assez différents. Donc il ne faut pas que ces bateaux tombent dans la “robotisation” à tout crin, nous voulons garder une place importante au côté sportif et humain. C’est un enjeu majeur et un objectif que nous nous fixons. Maintenant, il faut réfléchir à comment nous pouvons y parvenir.

Malgré ces efforts, deux teams, Gitana et Idec, ne font toujours pas partie de la classe, le dernier ayant même annoncé récemment qu’il ne s’alignerait pas l’an prochain au départ de Brest Oceans, pourquoi cela coince-t-il avec eux ?
Pour Idec, ils ont un autre mode de fonctionnement, c’est leur choix, ils l’assument et ils vont au bout. Le fait d’intégrer un collectif ne fait pas partie de leur mode de fonctionnement, ce n’est pas la peine d’aller chercher plus loin des explications. Gitana, on discute depuis de longs mois, je croise les doigts pour que prochainement, il nous rejoignent, je l’espère fondamentalement, parce que je pense qu’il n’y a rien aujourd’hui qui s’y oppose, je pense que les projets que nous construisons dans le cadre du collectif Ultilm peuvent les intéresser. Et c’est, à mon avis, plus facile de discuter en étant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Je pense que ce qui est important pour eux aujourd’hui, c’est d’abord de faire cette fameuse Route du Rhum et de voir comment ça se passe. Mais nous serons ravis de les accueillir au sein de la classe.

Dans la perspective de Brest Oceans, cette Route du Rhum est-elle primordiale, dans le sens où il faut que tout se passe bien pour être sûr d’avoir un plateau étoffé dans un an ?
C’est d’abord une première confrontation en solitaire avec tous ces bateaux, un temps fort pour l’ensemble des teams un an avant Brest Oceans. Après, on sait que, quelle que soit la course, il y a une part d’inconnu liée au sport mécanique qu’est la voile, ce n’est pas propre à la Route du Rhum. Au-delà de l’univers de la voile, à chaque fois que des révolutions technologiques interviennent, on passe par plusieurs phases : les études, l’exploitation et le développement ; il n’y a aucune raison qu’on ne vive pas ces différentes phases dans notre classe.

Sodebo n’a jamais gagné la Route du Rhum en six participations, vous dites-vous que cette fois, cela peut être la bonne ?
Evidemment, je serais ravie que Thomas gagne, je rêve forcément de ça, et lui aussi. Après, il y a un principe de réalité : on a un bateau qui commence à être un peu vieux par rapport aux nouveaux bateaux volants. Donc aujourd’hui, je ne pars pas dans l’état d’esprit de me dire que si Thomas ne gagne pas, c’est un échec ; je sais qu’il n’est pas favori, il le sait, Tip & Shaft le sait puisque vous l’avez écrit la semaine dernière. Après, on sait que sur de telles courses, rien n’est écrit à l’avance.

Vous êtes d’ailleurs bien placée pour le savoir, puisqu’il y a quatre ans, Thomas avait vu sa Route du Rhum s’interrompre dès la première nuit après une collision avec un cargo, comment avez-vous vécu ce moment ?
Thomas était immensément déçu, c’était ultra-brutal pour lui. Nous, de notre côté, nous nous sommes dit : cet événement inattendu vient de se passer, il peut avoir des conséquences importantes, comment on fait pour que ça ne tombe pas du mauvais côté, mais que ça tombe du bon côté. Je pense que nous n’avons pas trop mal réussi, puisque nous avons fait de cet événement quelque chose de fondateur parce que, derrière, Thomas a enchaîné les succès. Ce moment a finalement marqué un renouveau, le début d’une nouvelle histoire avec une autre façon de faire, c’est resté un temps fort de notre histoire.

Si vous vous projetez dans vingt ans, voyez-vous toujours des bateaux de course Sodebo parcourir le monde ?
Ce que je sais, c’est que le sponsoring en tant qu’outil de communication est encore plus vrai et important maintenant qu’il y a vingt ans. Dans le nouveau monde d’aujourd’hui, on a besoin de ces choses authentiques, émotionnelles. Et le sponsoring, particulièrement le sponsoring voile, est un outil merveilleux et inspirant.

 

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