Thomas Coville sur son Ultim

Thomas Coville : “L’Arkea Ultim Challenge Brest, la course d’une vie”

Après une saison 2022 conclue sur la troisième marche du podium de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe en Ultim, Thomas Coville est de retour sur l’eau en cette première semaine de l’année. L’équipage de Sodebo Ultim 3 est effectivement prêt pour s’attaquer au record de la Route de la Découverte entre Cadix et San Salvador (Bahamas), détenu depuis 2013 par Spindrift 2 en 6 jours 14 heures et 29 minutes. Tip & Shaft a échangé avec le skipper.

Quel bilan as-tu fait de ton année 2022 et de ta Route du Rhum ?
C’était une année à la fois charnière, car on a changé de foils, et à enjeu avec la Route du Rhum au bout. On y avait mis beaucoup d’ambition, et à l’arrivée, ça s’est très bien passé. On a réussi à mettre au point les foils dans les temps, on a aussi réussi à créer quelque chose qui m’a beaucoup plu, c’est la collaboration avec Armel (Le Cléac’h) et Charles (Caudrelier), avec des entraînements qui m’ont permis de beaucoup progresser pour arriver à Saint-Malo avec un bateau sur lequel je me sentais très à l’aise. Et sur la Route du Rhum, la bagarre a eu lieu. On sent bien qu’il nous manque un petit quelque chose pour être complètement incisifs, mais quand il y a eu une ouverture, on a été capables de la saisir, comme sur cette option où on est partis dans l’Ouest chercher le front dans 50 nœuds, ce que les deux autres devant n’avaient manifestement pas du tout l’intention de faire. On va travailler tout au long de l’année 2023 sur ce petit quelque chose qui nous manque, car je ne peux pas me satisfaire d’avoir fait une troisième fois troisième sur le Rhum, ce résultat n’est pas celui que je voulais, même s’il reflète exactement le niveau de la flotte.

On a l’impression que tu traînes depuis le début de ce projet des choix faits à l’origine…
Oui, je ne l’ai jamais caché, on avait fait un bateau avec un cahier des charges qui était de faire un tour du monde en solo dès la première année. C’est pour ça qu’on a été trop timides sur les safrans, les foils, le gréement… Entre-temps, le cahier des charges a changé [cette première course autour du monde, l’Arkea Ultim Challenge Brest, s’élancera finalement début 2024, NDLR], ça nous a pris du temps d’inverser cette tendance technique et de remettre le bateau à la page. Maintenant, au regard du contexte du moment, je ne regrette pas ce qu’on a fait, mais ça m’a forcément frustré pendant ces trois dernières années de ne pas pouvoir jouer aux avant-postes. On est en train de rectifier ça petit à petit, on joue, à certains moments, 2 à 3% en dessous des autres ; à d’autres, on fait jeu égal, on a très bien identifié les points qui vont nous aider à continuer à progresser.

Quels sont-ils ?
Pour résumer, il y en a cinq : d’abord l’aérodynamique, qui faisait partie dès le départ de l’ADN du bateau, mais sur lequel on n’est pas allés jusqu’au bout. On a notamment un gréement assez ramassé qui n’est pas du tout au maximum de ce qu’on pourrait faire, on est en train de regarder ce qu’il est possible d’améliorer. Le deuxième point, c’est la masse : on était un bateau léger, mais le fait d’avoir rajouté des grands foils et des grands safrans nous a rendu plus lourd que ce qu’on pensait, donc on veut alléger le bateau pour décoller plus tôt. Il y a aussi l’hydrodynamique, qui, sur nos bateaux, sera toujours un axe de développement, on va continuer à faire évoluer les safrans, les plans porteurs, les foils et surtout le plan porteur de dérive. Enfin, il y a le centrage de masse et l’ergonomie, même si le bateau est déjà très abouti dans ces domaines. Je le trouve très agréable à naviguer, j’aime sa vision panoramique, le fait de ne pas avoir à faire beaucoup d’efforts pour qu’il réagisse parce que le centrage des masses est très réussi.

 

“Au départ, j’avais pour ambition
de m’élancer sur le Trophée Jules Verne”

 

Tu parlais de ta frustration d’avoir terminé troisième de la Route du Rhum pour la troisième fois, ça t’agace parfois de voir les autres gagner et pas toi ?
A l’arrivée des courses, je suis un athlète comme tout le monde, il y a beaucoup de déception quand je ne gagne pas. Mais je ne suis pas quelqu’un qui jalouse et je ressens tellement de plaisir, d’enthousiasme et de désir à construire, que ça prend le dessus. La chose la plus difficile dans un sport comme le nôtre, et encore plus en Ultim, c’est d’arriver à synchroniser un ensemble de paramètres : la vision technique, un calendrier qui ne cesse d’évoluer, une capacité physique qui, comme tout athlète, est sinusoïdale, et un partenariat qui t’assure une solidité financière et de travail. Dans notre milieu, il n’y en a pas un seul qui a réussi à synchroniser tout ça dans le temps. Pour autant, il y en a qui ont l’opportunité ou la chance de pouvoir être appelé en tant que pilote et monter dans le bon timing sur la bonne machine au bon moment, sans avoir construit le projet tout le temps. Un mec comme Charles (Caudrelier) – et il le reconnaît lui-même – était au bon endroit au bon moment, il est arrivé après le travail qu’ont fait un Sébastien Josse, un Thomas Rouxel, et c’est tout à son honneur de gagner à ce moment. Mais quand tu construis un projet aussi complexe que Sodebo, tu es obligé à un moment d’accepter psychologiquement que tout n’est pas que de ton ressort et le fait que, lorsque tu ne gagnes pas, ce n’est pas parce que tu n’as été que mauvais.

Vous avez prévu de naviguer pendant tout le premier trimestre, avec deux allers-retours en Atlantique, le premier en équipage, le second en solitaire, avec à chaque fois le record de la Route de la Découverte dans le viseur, pourquoi ce choix ?
Au départ, j’avais pour ambition de m’élancer sur le Trophée Jules Verne, mais la Route du Rhum nous a fait réfléchir. On s’est dit que pour gagner les 2-3% dont je te parlais, il fallait faire évoluer le bateau, donc travailler dans des domaines précis. On a pris exemple sur d’autres sports : quand on prépare un ultra trail, on ne fait pas un ultra trail, on travaille plusieurs aspects, l’endurance, l’intensité, la puissance. Là, c’est pareil, on s’est dit que le Trophée Jules Verne ne nous paraissait pas stratégiquement la meilleure manière de préparer l’Arkea Ultim Challenge Brest. On a donc mis en place un programme qui nous permet de partir dans un an avec un bateau fiable et plus compétitif, en commençant cette préparation dès maintenant, avec une campagne de records en Atlantique, d’abord en équipage, ensuite en solitaire.

 

“L’histoire est en marche

 

Il y a très peu de courses au programme en 2023, puisque la Lorient-Les Bermudes-Lorient n’aura pas lieu, on a l’impression que la classe a toujours du mal à se mettre réellement en ordre de marche, qu’en penses-tu ?
J’ai été déçu quand j’ai appris ça, c’était pour moi indispensable de faire cette transat, je pense que l’arrivée d’un nouveau directeur de classe (Stéphane Guilbaud, nommé secrétaire général) va nous permettre de nous re-projeter dans l’avenir de meilleure façon. Maintenant, j’entends les critiques sur la gouvernance, pour autant, elle n’est pas si simple à avoir quand tu es aussi visionnaire avec des bateaux aussi fantastiques. Nous, on construit, on fait voler des bateaux, on les pilote, et à un moment donné, ce sont ceux qui font qui ont raison. L’histoire est en marche, ce sera encore le cas avec l’Arkea Ultim Challenge Brest, qui est la course d’une vie, ce côté pionnier me plaît beaucoup. Je pense que je serai assez fier plus tard de regarder ça en me disant que j’ai fait partie de cet élan qui permet à des bateaux volants de traverser l’Atlantique en 5 à 6 jours, et de faire le tour du monde en moins de 40 jours. C’est inhérent, quand tu défriches, d’être chaotique.

Un mot sur le conflit qui oppose la classe à François Gabart : regrettes-tu la façon dont ça s’est passé, les quelques mots durs qui ont pu être échangés ? Et penses-tu qu’il va se régler prochainement ?
Je ne pense pas avoir eu des mots durs vis-à-vis de François. Je lui avais posé trois questions dès le début : est-ce que, comme nous, il respecterait les règles ? Etait-il prêt à respecter l’arbitre ? Est-ce que l’arbitre pour faire respecter la règle entre nous pouvait être World Sailing ? Il m’avait aussi répondu oui à chaque fois. Je n’ai pas l’impression qu’il ait franchement respecté ça, j’ai été déçu et meurtri qu’on en arrive à un contexte judiciaire qui, pour moi, n’a absolument rien résolu, car ça a été jugé sur la forme. Je pense en plus que François est un athlète tellement exceptionnel qu’il n’avait pas besoin de se mettre dans cette situation pour aller chercher la gagne, et que ça lui a finalement plus pesé qu’on ne le croit, car c’est quelqu’un qui aime le groupe, qui a besoin d’être regardé et aimé, et il a perdu ça. Et à l’arrivée, j’ai senti qu’il avait vraiment envie et besoin qu’on se rapproche de lui. Maintenant, par rapport à l’arrivée de Tom (Laperche, pressenti pour succéder à François Gabart), j’en ai déjà parlé avec lui, il a envie que ça s’assainisse, nous aussi, on a tous intérêt à ça. Je pense que ça va se régler, se lisser.

 

Photo : Vincent Curutchet

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