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Jacques Caraës : “Obliger les marins à naviguer plus”

Navigateur reconverti dans la direction de course, Jacques Caraës est particulièrement sollicité en ce moment entre la Bermudes 1000 Race, nouvelle course en Imoca qui s’élance le 9 mai, le prochain Vendée Globe, dont l’avis de course – qu’il a contribué à rédiger – vient de sortir, et une édition 2018 de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe de tous les records. Autant de sujets, en plus de la Barcelona World Race, qu’il évoque pour Tip & Shaft.

L’avis de course du Vendée Globe 2020 vient d’être publié avec un maximum de 30 bateaux inscrits : y a-t-il eu discussion avec la SAEM Vendée sur le sujet ?
Non, avant tout pour des questions de logistique de port. Déjà, la dernière fois, à 29, on avait deux bateaux qui étaient dans des conditions un peu moyennes, puisqu’ils n’avaient pas de ponton sur le côté. On se rend compte en plus que les bateaux prennent de plus en plus de place : avec les foils et les outriggers, ça fait 10-11 mètres de large par bateau et on ne veut pas en délocaliser ailleurs que sur le ponton principal. Maintenant, on va quand même essayer de faire quelques travaux côté appontement pour gagner de la place, mais on restera à 30.

L’avis de course établit désormais un temps limite de 163 jours pour boucler le Vendée Globe, pourquoi ?
On l’a fait parce qu’il y avait le risque d’avoir des coureurs qui en auraient profité pour éventuellement faire durer leur course, en s’arrêtant dans les criques, en faisant parfois du cabotage. On pouvait tomber sur quelqu’un qui n’était plus dans la compétition, donc on s’est dit que ce n’était pas idiot de limiter. Et pour faire un clin d’œil à Jean-François Costes [arrivé dernier du premier Vendée Globe en 163 jours, NDLR], on a mis son temps. 163 jours, c’est quand même relativement large, même si on peut toujours avoir quelqu’un qui finit avec un gréement de fortune.

La notion de non-assistance fait l’objet de nouveaux articles, avec notamment l’interdiction pour les teams d’intervenir à distance sur les ordinateurs de bord. Mais, concrètement, la direction de course aura-t-elle vraiment les moyens de contrôler le respect de ces règles ?
Ce n’est jamais facile de contrôler la non-assistance. Mais nous avons voulu insister sur les mots pour que les règles soient respectées en essayant d’écrire le plus précisément possible ce qu’il est interdit de faire. Après, nous ne sommes pas allés jusqu’à ce qu’a fait la Volvo Ocean Race, à savoir la fourniture des ordinateurs et de tous les instruments électroniques ainsi que le suivi des communications téléphoniques, parce que le budget ne nous permet pas de le faire. Maintenant, on se donnera la possibilité à l’arrivée de rentrer dans l’ordinateur des concurrents, chose qui ne s’est jamais faite jusqu’ici. Et il faut souligner que la SAEM est très attachée aux valeurs des marins qui s’engagent sur l’honneur à respecter le règlement. Si on a des doutes, on pourra éventuellement chercher à plus contrôler, mais, jusqu’à présent, je n’ai jamais senti qu’il y avait forcément des aides de la terre, notamment au niveau météo.

Pour s’inscrire, deux étapes sont maintenant instituées, la déclaration de candidature puis l’inscription proprement dite, peux-tu nous en dire plus ?
Nous avons en effet institué une déclaration de candidature, qu’on aurait pu appeler pré-inscription, mais cela risquait d’engendrer une confusion et une espèce de course dans les bureaux de la SAEM pour s’inscrire le premier et avoir la meilleure place au ponton comme cela avait été le cas la dernière fois où c’était un peu la kermesse ! Il n’y a pas d’obligation que les gars sautent sur l’avis de course avec l’ensemble des documents administratifs pour se pré-inscrire. En revanche, pour que cette déclaration soit validée, il faut avoir un bateau, cela permet d’éviter que des candidats rêvent ou se fassent mousser pendant un moment, quitte à venir à des conférences de presse alors qu’ils savent qu’ils ne vont pas aller loin. Il vaut mieux qu’on ait tout de suite des gens plus investis.

Pourquoi un tirage au sort pour les places de ponton ?
Cela rejoint ce que je viens de dire : il s’agit d’éviter la foire d’empoigne entre quelques-uns pour être en bas de la passerelle, c’était devenu ingérable, avec de terribles bras de fer entre les teams. Du coup, Yves Auvinet [président de la SAEM, NDLR] a annoncé qu’il y aurait un tirage au sort pour donner à tout le monde la même chance d’être en bas. Je sais que certains ne sont pas très contents, en disant qu’on peut du coup retrouver un vieil Imoca en premier, mais le grand public qui vient sur le ponton, il va jusqu’au bout, ça ne joue pas énormément. Après, la seule petite contrainte qu’on pourra avoir sera liée aux caractéristiques techniques des bateaux en fonction de la taille des foils notamment.

Le processus de qualification a également évolué…
Oui, nous avons durci les règles, parce que sur le précédent Vendée Globe, un bizuth pouvait se qualifier avec seulement 2 000 milles – cela a notamment été le cas d’Eric Bellion ou de Romain Attanasio, qui se sont qualifiés assez facilement. Eric a avoué lui-même qu’il avait fait très peu de solitaire avant de partir, et ça, ce n’est pas très bon. Du coup, on oblige les gens à naviguer plus et à se préparer plus tôt. Les règles sont donc bien précisées : s’il y a plus de 30 inscrits, nous avons mis en place une sélection qui favorisera en premier lieu les « finishers » du dernier Vendée Globe et ceux qui investissent dans un bateau neuf parce que c’est difficile de dire à un marin qui est allé chercher un sponsor pour construire un bateau neuf qu’il n’est pas sûr de faire le Vendée Globe. Pour les autres, la prime ira à ceux qui auront accumulé le plus de milles sur les Globes Series.

Tu avais évoqué un moment l’éventualité d’instaurer une limite d’âge pour les bateaux, ce n’est plus d’actualité ?
Non, il aurait fallu le dire très tôt. Là, c’est déjà trop tard, on ne pouvait pas l’annoncer alors que des gens avaient déjà acheté leur bateau, comme Alexia Barrier. Mais cette règle sera sans doute érigée très tôt pour l’édition suivante, avant même le départ du prochain Vendée Globe.

On note également dans ce nouvel avis de course l’apparition de quatre wild-cards, pourquoi ?
C’est une volonté de la SAEM, le président s’est donné quelques jokers, peut-être pour des raisons de parité par exemple. Mais il n’utilisera peut-être pas les quatre et il ne les utilisera pas si on est en-dessous de 30.

Parlons maintenant de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, 122 bateaux, ce n’est pas trop ?
C’est beaucoup. Il y a eu une volonté d’ouvrir, mais c’est aussi pour ça que nous avons renforcé l’équipe de direction de course. Comme je suis un peu bizuth du Rhum et que cette approche multi-catégories est nouvelle pour moi, je me suis entouré de gens qui ont déjà vécu l’épreuve, comme Francis Le Goff, Guillaume Rotée, Claire Renou – il y aura aussi Guillaume Evrard. Ce qui est sûr, c’est que ça ne va pas chômer, avec des bateaux qui peuvent être de l’autre côté en six jours…

As-tu de l’inquiétude quand tu vois certains marins inscrits sur des bateaux exigeants sur lesquels ils n’ont à ce jour jamais navigué en solitaire ?
C’est vrai qu’on va avoir un regard un peu particulier sur certains candidats, d’autant qu’ils n’ont pas forcément de grosses équipes à leur côté. On va suivre leur premières navigations et les obliger à faire leurs 1 200 milles de qualification dans des conditions suffisamment engagées. Après, on est aussi là pour les réconforter en les accompagnant. La dernière fois sur le Vendée, j’avais de gros doutes sur Alan Roura, je me souviens qu’au Trophée Azimut moins de deux mois avant le départ, il était en vrac complet, je me disais qu’il ne serait jamais prêt et je le voyais abandonner. Mais, finalement, il a navigué en bon marin : il y a des gars qui se révèlent plutôt très bons dans la difficulté.

Sébastien Destremau est inscrit en classe Rhum Mono et en Imoca, pourquoi ?
Le cas de Sébastien est compliqué, il a été accepté en catégorie Rhum Mono quand il s’est inscrit, ce qui a provoqué une levée de boucliers d’autres coureurs de la même classe qui trouvaient qu’un bateau qui venait de finir le Vendée Globe n’avait pas sa place dans cette catégorie. Nous avons essayé de lui dire qu’on serait plutôt content qu’il se joigne à la classe Imoca parce qu’il avait encore un certificat de jauge l’année dernière pour le Vendée, mais il dit que ça lui coûte 30-35 000 euros en plus et il joue sur le fait qu’il a été inscrit dans un premier temps en classe Rhum. C’est un dossier qui n’est pas très simple, car on a affaire à un Sébastien et à son sponsor qui sont assez procéduriers. Aujourd’hui, je crois qu’il y a des avocats autour du sujet, mais je n’en sais pas plus.

Quid de Loïck Peyron qui ne figure nulle part pour l’instant ?
Ce sera le seul invité, en Rhum Multi. Je pense que l’organisation a souhaité lui manifester sa reconnaissance : il gagne la dernière fois en Ultime et revient cette fois dans des conditions très différentes [sur un sistership du trimaran de Mike Birch vainqueur de la première édition en 1978, NDL], c’est assez rare de faire cette démarche.

Parlons places de port : où seront installés les Ultimes ?
Il y en aura cinq dehors : Banque Populaire et Edmond de Rotschild seront sur les places les plus protégées, dans le renfoncement proche des remparts, IdecSodebo et Macif seront au quai de la Bourse sur des appontements et des mouillages qui permettront de les tenir par l’avant. Forcément, ils seront un peu plus exposés, surtout en cas de vent de sud-ouest, mais nous avons prévu des mouillages du côté de Dinard en cas de fort coup de vent.

Et où en es-tu de tes réflexions sur la ligne de départ ?
Je les ai présentées récemment aux classes, il y a plutôt unanimité sur le sujet. On va partir sur une ligne agrandie à 3,5 milles, compartimentée en quatre sections plus ou moins grandes : les Ultimes et les Multi 50 au nord ; la classe Rhum Multi entre une bouée à tribord et le bateau militaire à bâbord ; les Imoca ; ensuite les Class40 et la classe Rhum Mono qui auront une section plus longue parce qu’il y a plus de bateaux. On a dissocié les Imoca et les Class40, parce que je me suis rendu compte sur la dernière Jacques-Vabre qu’avec les différences de vitesse et les bateaux à foils, c’était un peu chaud. En plus, les Class40 sont très nombreux.

Un mot sur la Barcelona World Race : quelle a été ta réaction quand tu as appris l’annulation de l’édition 2019, dont tu étais le directeur de course ?
Quand j’ai appris que la ville de Barcelone avait botté en touche et que le château de cartes s’écroulait, j’ai été très surpris parce que j’étais en relation avec la Fnob de façon assez régulière, Xosé-Carlos [Fernandez, directeur général de la Fnob, NDLR] m’avait toujours dit que même si on n’était pas très nombreux, ça allait se faire. Il y avait une détermination affichée et d’après ce que je savais, ils allaient trouver des partenaires financiers pour que la course se déroule dans de bonnes conditions. J’ai été bien déçu, comme certains coureurs d’ailleurs, qui avaient misé sur cette course en vue de leur qualification pour le Vendée Globe. C’est difficile à accepter parce que c’est très tardif.

Pour finir, parlons de la Bermudes 1000 Race, qui part mercredi prochain, où tu officies également…
Je pensais qu’on aurait plus de bateaux, parce que l’idée était de descendre en Méditerranée pour rejoindre Monaco pour les Globe Series. Je me suis mouillé avec Gwen Chapalain [qui organise le Grand Prix Guyader, voir ci-dessous, NDLR], on aurait pu imaginer une dizaine de bateaux plutôt que six, dont un, qui sera en double, puisque Jean Le Cam naviguera avec Damien Seguin. Mais on qualifiera quand même cinq bateaux pour la Route du Rhum.

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