Alinghi, représenté par Ernesto Bertarelli, et Red Bull Racing, par Hans-Peter Steinacher, ont annoncé le 14 décembre à la Société nautique de Genève se lancer ensemble à l’assaut de la 37e Coupe de l’America. Le défi sera composé en très grande partie de navigants suisses, dont Arnaud Psarofaghis, 33 ans, pilier de l’équipe depuis six ans, lui qui barre notamment le GC32 helvète engagé sur le GC32 Racing Tour. Tip & Shaft s’est entretenu avec lui.
► Tu es un des marins suisses les plus renommés en matière de bateaux rapides, tu es moins connu en France, peux-tu nous raconter le parcours qui t’a mené jusqu’à Alinghi ?
Je suis né au bord du lac Léman, mon oncle et mon père ont fondé un chantier naval à la fin des années 1970 [le chantier Psaros, NDLR]. Mon père a ensuite bifurqué vers l’automobile, mon oncle a toujours le chantier. Du coup, j’ai eu la chance de naviguer sur tous types de monocoques dès mon plus jeune âge, c’est comme ça que j’ai attrapé le virus de la voile. Je me suis parallèlement mis à faire du dériveur en double, avant de me lancer en multicoque en 2006, d’abord en D35. Mais ce qui a vraiment changé mon cursus, c’est quand j’ai été contacté en 2011 par Alain Gautier pour participer aux AC45 World Series avec l’équipe Aleph. C’est vraiment là que j’ai commencé à naviguer à l’international en multicoque. Par la suite, j’ai poursuivi en AC45 avec l’équipe Energy Team de Loïck Peyron, j’ai fait de l’Extreme 40 avec Gitana puis avec Realstone, une pige d’un an avec Groupama en vue de la Coupe de l’America 2017. Et en 2015, j’ai eu l’opportunité de faire des premiers remplacements chez Alinghi, j’ai rejoint l’équipe à 100% l’année suivante.
► Pour toi, c’était un peu le Graal de rejoindre Alinghi ?
J’avais 14 ans quand ils ont gagné la première Coupe de l’America en 2003. Avant cela, la Coupe paraissait très très loin, vu de Suisse, cette victoire a ouvert le champ des possibles pour les marins helvètes, on a montré qu’un petit pays qui n’avait pas de mer était capable de faire de grandes choses. Donc oui, à ce moment-là, pour moi, c’est devenu un objectif et un rêve de rejoindre Alinghi qui est vraiment mon équipe de cœur. Et dans un coin de ma tête, il y a toujours eu cette idée de disputer la Coupe de l’America. Aujourd’hui ces deux objectifs se sont rejoints, le rêve est devenu réalité.
► Pourquoi Alinghi revient sur cette 37e édition et pas avant ?
Si Alinghi n’est pas revenu plus tôt, c’est parce que les planètes n’étaient pas encore alignées. Il fallait attendre le bon moment, il est arrivé après la dernière Coupe et la publication du protocole mi-novembre l’a confirmé. Tous les voyants sont passés au vert et monsieur Bertarelli a décidé de se lancer dans cette belle aventure.
“Je mentirais si je disais que je n’aimerais
pas être à la barre de ce bateau”
► Que t’inspirent les AC75 ?
J’ai trouvé ces bateaux fabuleux en termes de technologie. Au début, peu de monde croyait dans leur équilibre précaire sur deux points d’appui un peu asymétriques. Team New Zealand a prouvé que leur concept de base était juste et fonctionnait très bien, les gens ont été surpris de voir à quel point ces AC75 sont performants. C’est ça qui est génial sur la Coupe, elle réunit désormais les bateaux les plus performants et les plus rapides, et il y a tellement de choses encore à faire en termes de développement, de manœuvres, de stratégies, qu’on arrive à ne pas en dormir de la nuit !
► Tu as surtout régaté en flotte, comment vas-tu te transformer en spécialiste du match-racing ?
Je n’ai pas fait beaucoup de match-race, mais l’année où on en avait fait, en 2005, on était devenus champions de Suisse contre Eric Monnin [un des meilleurs spécialistes du monde, NDLR]. Et ces cinq-six dernières années, sur le GC32 Racing Tour, on a navigué contre des skippers comme Adam Minoprio et Phil Robertson, des pointures du match-race, on n’a rien eu à leur envier. Le match-race est une pratique un peu différente, on a effectivement un peu de retard sur certains, mais ce qui est génial, c’est qu’on peut s’entraîner sur n’importe quel type de bateau, on va mettre en place un programme pour se mettre rapidement au goût du jour.
► Ton ambition personnelle, c’est de barrer l’AC75 suisse en 2024 sur la Coupe ?
Je mentirais si je disais que je n’aimerais pas être à la barre de ce bateau, mais le plus important pour moi, c’est que le bateau soit le plus performant possible, que je sois à la barre, au réglage des voiles ou des foils. Aujourd’hui, les rôles ne sont pas encore définis, on attend de monter l’équipe complète de navigants.
“On doit doubler,
voire tripler l’équipe“
► Bryan Mettraux était à tes côtés mardi lors de la conférence de presse, l’équipe de navigants sera-t-elle composée de ceux qui étaient cette année chez Alinghi sur les circuits GC32 et TF35, dont les Français Nicolas Charbonnier et Timothé Lapauw ?
Nous n’avons pas tous pu monter sur le podium à la conférence de presse ! Bryan et moi avons eu l’honneur d’avoir été mis en avant, mais oui, les autres navigants suisses de l’équipe actuelle font partie du projet, à savoir Yves Detrey et Nils Frei. Pour les Français, Nicolas est éligible au regard des règles de nationalité, donc il fait aussi partie de l’équipe, ce qui n’est malheureusement pas le cas de Timothé.
► Allez-vous continuer à naviguer sur les circuits GC32 et TF35 ?
Oui, l’idée est de s’aligner en 2022 sur ces deux circuits pour continuer à former l’équipe, car on doit la doubler voire la tripler en nombre de navigants. Et c’est important de continuer à naviguer pour rester à la pointe de la régate.
► Sur ces circuits, d’autres équipes suisses professionnelles naviguent, comme Realstone, Team Tilt, allez-vous aussi puiser dans ce vivier pour composer celle qui participera à la Coupe ?
La Suisse est un petit pays, on a effectivement beaucoup d’équipes très performantes sur différents supports, que ce soit en GC32, en TF35 ou avec l’équipe Team Tilt qui se lance en SailGP. On va analyser toutes les options et on est ouverts à toutes les propositions de marins suisses qui seraient intéressés par notre projet.
► L’équipe va-t-elle acheter ou louer un AC75 ? Serez-vous en mesure de naviguer en AC75 dès le 17 juin 2022, comme l’autorise le Protocole pour les nouvelles équipes ? Et quand pourrez-vous naviguer en AC40 ?
Aujourd’hui, beaucoup de choses sont en train de se mettre en place, c’est un peu tôt pour vous répondre, mais l’idéal serait de naviguer dès que possible sur le bateau. Pour les AC40, on en saura plus pendant l’année, la balle est dans le camp de l’organisation de la Coupe, qui les construit. On a en revanche la chance d’être numéro 3 sur la liste, après le defender et le challenger of record, parce que nous avons été le premier challenger accepté lors de l’ouverture des inscriptions le 1er décembre.
► Où sera construit votre AC75 ?
Chez Decision S.A., proche de Lausanne, en Suisse, là où les précédents bateaux Alinghi de la Coupe de l’America ont été construits.
“Pas grand-chose
à envier aux autres équipes”
► Quelle sera l’ambition de l’équipe Alinghi Red Bull Racing sur la 37e édition ?
L’objectif est clair, c’est de monter une équipe gagnante et d’aller remporter cette 37e Coupe de l’America. On sait qu’on a un peu de retard sur les défis qui ont participé à la précédente, mais on va tout faire pour le combler le plus rapidement possible pour être à leur niveau. On veut frapper fort d’entrée, et si tout se déroule bien, il y aura d’autres éditions derrière.
► Que t’inspire la concurrence, avec pour l’instant Team New Zealand, Ineos Britannia, Luna Rossa, sans doute American Magic ?
Je me réjouis d’aller me confronter à ces équipes sur la Coupe. On a eu la chance de rencontrer une grande partie d’entre elles ou certains de leurs navigants sur les circuits internationaux auxquels on a participé ces dernières années, on n’a pas eu grand-chose à leur envier. Toutes sont très fortes, on les observe beaucoup, on a vraiment beaucoup de choses à apprendre d’elles, mais on a aussi la chance de ne pas découvrir l’AC75 comme elles ont dû le faire sur la dernière campagne, nous avons beaucoup de contenus vidéos et d’analyses pour gagner du temps.
Photo : Sailing Energy/GC32 Racing Tour