AC40 Orient Express Racing Team

Bruno Dubois : “Quand la France ne participe pas à la coupe, le pays prend du retard”

La rentrée est particulièrement chargée pour Bruno Dubois : trois Grands Prix de SailGP en quatre semaines pour l’équipe française, qu’il dirige – dont celui de Saint-Tropez (9-10 septembre) -, et la première régate préliminaire de la 37e Coupe de l’America du 14 au 17 septembre pour le défi Orient Express Racing Team dont il est codirecteur. Tip & Shaft a échangé avec lui.

Commençons par SailGP : l’équipe de France a attaqué la saison 4 par des performances moyennes à Chicago (6e) puis Los Angeles (8e), comment les expliques-tu ?
Quentin (Delapierre) a voulu essayer de nouvelles choses, que ce soit dans la manière de voler, la communication ou les manœuvres, pour essayer de se rapprocher en termes de vitesse d’équipes comme Team Australia, ça n’a pas vraiment fonctionné. Il en veut peut-être un peu trop et trop vite à mon goût, il met la barre très haut. A Chicago, on a quand même gagné une manche, mais il y a des manœuvres qui ne sont pas passées et nous ont coûté cher. Et à Los Angeles, c’est plutôt lui qui a eu un petit creux. Comme il y avait un break après, je lui ai dit d’aller se reposer et de revenir à Barcelone un peu plus tôt que prévu pour tout remettre en route. Il s’est remis en question, il a pris des vacances et revient à fond les ballons pour Saint-Tropez, on va voir ce que ça va donner.

Le Néo-Zélandais Jason Saunders a pris la place de François Morvan au réglage du vol, pourquoi ?
Quentin et François n’avaient plus la même vision sur ce poste de contrôleur de vol, donc Quentin a pris cette décision difficile. Mais François n’en est pas moins un excellent marin et nous sommes heureux qu’il puisse exprimer son talent chez les Suisses [il remplace… Jason Saunders, NDLR].

L’Espagne a signé sa première victoire à Los Angeles, le Canada a terminé 3e puis 4e des deux premiers Grands Prix : avec cette concurrence croissante, est-ce de plus en plus difficile de gagner sur ce circuit ?
Oui, clairement et c’est ça qui est bien, tout est fait pour que les équipes qui arrivent plus tard puissent rapidement arriver au niveau des autres, puisque SailGP leur donne la possibilité de s’entraîner plus. Et je pense que ça va continuer, il va y avoir régulièrement des changements de leaders. Depuis le début, Russell (Coutts, le patron de SailGP) ne veut pas qu’une ou deux équipes dominent, c’est un circuit en perpétuel mouvement.

“On a été plus rapides que les autres
sur les projets jeunes et femmes”

Passons maintenant à la Coupe, quand tu regardes aujourd’hui où en est le défi français, tu te dis quoi ?
Certains posent la question de savoir si on est très en retard, un peu en retard ou juste dans les temps ; de mon côté, je ne raisonne pas comme ça, j’essaie plutôt d’insuffler du positif dans l’équipe, ce n’est pas en se critiquant et en se flagellant en permanence qu’on va y arriver. Ce que je vois, c’est qu’on a signé un sponsor juste avant Noël et que le lendemain, on commandait l’AC40, dont on nous a promis une livraison mi-août, et c’est exactement ce qui s’est passé. Donc là-dessus, on n’a pas perdu de temps. On a réussi en parallèle à monter une base en temps records,en achetant deux « boatyards » – comprenant les tentes, une trentaine de containers et les outils – de la Volvo Ocean Race 2017-2018 ; on a pris un énorme raccourci, car en général, ça prend six à sept mois. Et le fait d’avoir commandé le design package des Néo-Zélandais nous permet aussi d’être dans les temps. Au niveau sponsoring, idem : je pense qu’on va être dans les objectifs de budget qu’on s’est fixés.
Donc, tout marche comme vous l’aviez prévu ?
La seule chose qu’on aurait pu faire, c’est acheter un AC75 d’entraînement, comme le Te Kahu de Team New Zealand, ce qui n’a pas été possible pour des raisons financières. J’aurais aussi bien voulu avoir un bateau d’entraînement plus tôt, mais la règle était claire : premier arrivé, premier servi. On savait depuis le début qu’on n’aurait notre AC40 à disposition que quelques semaines avant Vilanova, mais ce n’est pas très grave, on prend ce rendez-vous comme une régate de démonstration. On va s’entraîner quatre mois jusqu’à la fin de l’année avec l’AC40 en version classe (monotype, sans changement possible) et après, on passera en mode LEQ12 (“Less or equal to 12 m”, bateau de développement) à partir de janvier jusqu’au printemps, avant la livraison de notre AC75.
Où en êtes-vous pour ce dernier ? Le design package kiwi est-il la garantie d’avoir un bon bateau ?
Là encore, on est tout à fait dans les temps, puisqu’on a fini le moule chez Multiplast. Le design package, c’est la garantie d’avoir accès à ce qui s’est fait de mieux dans un passé récent. Après, peut-être qu’une équipe va débarquer avec un truc bien meilleur que les autres, mais, au moins, ça nous garantit de ne pas s’égarer seuls dans notre coin. Et si on continue sur la prochaine Coupe, comme c’est notre ambition, on a une base de travail extraordinaire. Donc, si on prend l’image globale par rapport à notre point de départ de décembre dernier, l’évolution est tout à fait correcte, rien n’aurait pu aller plus vite. Il y a même un truc sur lequel on a été plus rapides que les autres : nous avons été parmi les premiers à sélectionner nos jeunes et nos femmes, et on a trouvé dans notre budget avec Orient Express de quoi faire tourner les deux équipes qui sont ainsi entièrement sponsorisées. Ce qui leur permet de déjà régater en 69F, elles vont aussi faire des compétitions en ETF26, elles ont commencé à travailler sur le simulateur à Barcelone et vont bientôt naviguer en AC40, accompagnées de notre équipe « première »… Et même pour cette dernière, on n’est pas si en retard, notamment grâce à SailGP [la composition des deux équipes navigantes est identique pour le noyau dur, NDLR] qui nous permet de continuer à naviguer ensemble.

“La Coupe est un passage primordial

Qu’attends-tu de la première régate à Vilanova ?
Pas grand-chose : il ne faut pas se leurrer, ça demande quand même du temps de dompter la machine. On aura eu deux semaines maximum d’entraînement avant de partir à Saint-Tropez et d’enchaîner sur Vilanova. Mais ça sera l’occasion de prendre la mesure par rapport aux autres, de regarder de plus près ce qu’ils font. On espère qu’on pourra un peu plus jouer en novembre à Djeddah, car nous aurons eu environ un mois d’entraînement de plus, donc normalement, on maîtrisera un peu plus le bateau. Je rappelle que notre objectif est de performer en SailGP et sur la Coupe, pas de gagner les deux régates préliminaires en AC40, il faut être raisonnable !
Les derniers défis français, montés tard et avec peu de moyens, n’ont guère été concluants sportivement, penses-tu que vous allez parvenir à changer le regard, un peu sceptique, des Français sur la Coupe ?
A part dans la course au large, où on a une assise tellement forte qu’on n’est pas du tout dans cet état d’esprit, je trouve qu’en France, on se dit trop souvent qu’on ne va pas y arriver ; il y a du négativisme, ça revient tous les jours, avec toujours les mêmes remarques. Je travaille avec l’équipe pour sortir de ça, on a bien vu sur SailGP que quand on est dans le bon état d’esprit, on peut battre sans problème les James Spithill, Ben Ainslie, Peter Burling ou Tom Slingsby… Il faut voir la Coupe de l’America comme un passage primordial pour la France : ce qu’on y apprend profite à tout l’écosystème, et même à l’industrie française, c’est hyper important d’être présent. Notre ambition, en plus de gagner un jour, est de monter un super projet pour qu’il serve à tous les jeunes avec lesquels on travaille pour, plus tard, leur donner l’opportunité de faire autre chose, SailGP, le Vendée Globe, de l’Ultim… Regarde le nombre d’ingénieurs français dans tous les teams de la Coupe, pour beaucoup, ils sont auparavant passés par des défis français. Tous te diront qu’ils ont énormément appris sur la Coupe, que ça les a sortis de leur zone de confort franco-française. Quand la France n’est pas sur la Coupe, le pays prend du retard.
La France peut-elle la gagner ?
Je ne sais pas si la France peut gagner, mais ce que je peux te dire, c’est qu’on a mis en place un système pragmatique qui nous permettra de très bien performer et de ne pas se reposer sur trop d’inconnues. Maintenant, je me trompe peut-être entièrement, le sport de haut niveau n’est pas une science exacte. Et dans l’esprit, on se projette plus loin : la 38e Coupe se courra sur les mêmes bateaux, donc on sait que si on fait les choses correctement et qu’on raconte une belle histoire, on donnera envie à nos partenaires de continuer à nous suivre. Et forcément, on aura alors encore plus de chances d’être performants.

Photo : Martin Keruzoré / Orient Express Racing Team

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