Luna Rossa et Emirates Team New Zealand vendredi à Auckland

Le Protocole de la 37e Coupe de l’America passé au crible

Le defender Emirates Team New Zealand et le challenger of record Ineos Britannia ont dévoilé mercredi 17 novembre le Protocole de la 37e Coupe de l’America. Tip & Shaft s’est entouré d’experts – Bruno Dubois, team manager de Groupama Team France sur la 35e Coupe, Dimitri Despierres et Philippe Presti, qui faisaient respectivement partie des défis American Magic et Luna Rossa sur la dernière – pour décrypter ce document qui pose les grandes lignes de la 37e édition.

La Coupe de l’America restera une épreuve classique de match-racing avec des Challenger Series (Round Robin, auquel peut participer le defender, demi-finales et finale) et Match de la Coupe. Les dates ne sont pas encore précisées – « entre janvier et septembre 2024 », elles sont liées au choix du lieu qui devait être annoncé initialement avant le 17 septembre 2021 et le sera finalement, comme « les dates approximatives », avant le 31 mars 2022 (les « dates précises » avant le 30 novembre 2022). Cork, Valence et Djeddah (Arabie Saoudite) sont dans la course pour une 37e édition qui, selon nos trois experts, aura certainement lieu « entre mai et septembre 2024. » Elle sera précédée de trois « Preliminary Regattas », deux courues en AC40 (voir ci-dessous), une en AC75 sur le site de la Coupe.

Les AC40 serviront également de support aux Youth et Women’s America’s Cup Regattas, dont les détails seront connus avant le 30 juin 2023. Cette ouverture aux jeunes, mais surtout aux femmes, une première sur la Coupe, est vue d’un bon œil par Bruno Dubois : « Entre ces régates et ce qui est fait sur SailGP, on est en train de créer un large bassin de navigantes qui auront accès à de la compétition super professionnelle. » Dimitri Despierres estime que les organisateurs auraient pu aller plus loin : « C’est une très bonn e idée, mais on aurait très bien pu imposer un quota de femmes à bord des AC75. »

Un seul AC75

Apparu sur la 36e Coupe, l’AC75 est confirmé pour les 37e et 38e, mais alors que les défis pouvaient en construire deux pour l’édition 2021, une seule construction sera autorisée pour 2024, dans le pays d’origine du yacht club du défi. « Ça va dans le sens d’une diminution des coûts, c’est aussi parce que Team New Zealand n’a pas des moyens énormes », commente Bruno Dubois. Cet objectif de réduction des coûts, pour accueillir plus d’équipes, explique aussi que l’équipage des AC75 passera de 11 à 8 navigants.

Ce qui fait dire à Dimitri Despierres : « Cette réduction de l’équipage conduit à la suppression des winches, tout va être hydraulique. Ce qui veut dire, si on lit entre les lignes, que les vélos sont de nouveau autorisés. Ce n’est pas étonnant quand on sait que le challenger of record, Ineos, est propriétaire d’une équipe cycliste professionnelle. D’ailleurs, le poids moyen des navigants passe de 90 à 87,5 kilos, ça va dans le sens de mettre des cyclistes, moins lourds que les grinders. »

Cette mesure va aussi dans le sens d’un bateau plus léger (6,9 tonnes contre 7,7) – les bastaques seront supprimées, les foils pèseront 115 kilos en moins -, ce qui va permettre aux AC75 d’être plus performants dans le petit temps. « En-dessous de 9 nœuds, le bateau ne décollait pas bien, plus léger, il décollera plus tôt », confirme Philippe Presti. Les AC75 de la Coupe 2021 pourront quant à eux être utilisés par les défis inscrits sur la 37e édition, pas avant le 17 septembre 2022, avec une exception pour les nouveaux entrants qui pourront naviguer un maximum de 20 jours à partir du 17 juin 2022.

AC40 et « chase boats » à hydrogène

En attendant que ces premiers AC75 nouvelle génération voient le jour (pas avant 2023), les défis inscrits pourront naviguer en AC40, version réduite et monotype, qui sera fourni par America’s Cup Events, l’organisateur. Team New Zealand sera le premier servi (sans doute fin 2022), Ineos le second, la date d’acceptation des autres défis fera ensuite foi. Ces bateaux, annoncés à 1,85 million de dollars US (1,64 million d’euros) serviront à la fois de plateforme d’entraînement et de développement, mais devront être remis en configuration « one design » sur les régates préliminaires de la Coupe.

« A mon avis, si un défi veut bien faire les choses, il faut qu’il en ait deux, pour s’entraîner en match-racing mais aussi faire du développement, tester des foils… Ça commence à devenir plus lourd au niveau des coûts », juge Bruno Dubois. Philippe Presti se montre assez circonspect sur l’aspect développement : « Je vois plus l’AC40 comme un moyen de s’entraîner au match-racing et de faire vivre la Coupe d’ici 2024, car sinon, on ne verra pas de bateau avant ! Pour ce qui est du développement, 80% du design aujourd’hui se fait sur de la simulation, un tel bateau ne servira que sur des détails. »

Chaque défi devra enfin disposer d’au moins deux « support vessels » à foils et à hydrogène, l’objectif étant de réduire l’empreinte environnementale. « C’est très bien, car ce n’est pas normal, quand un AC75 est propulsé par le vent à 40-45 nœuds, de voir à ses trousses des « chase boats » qui dépensent un fric fou en carburant et polluent », commente Dimitri Despierres. Qui voit aussi dans cette mesure un objectif moins avoué : « Pour Team New Zealand, ce projet et le fait de l’inscrire au Protocole était un moyen de garder en activité une partie de son design team et éviter ainsi que certains aillent voir ailleurs. » Bruno Dubois ajoute : « On comprend aussi que les Néo-Zélandais ne seraient pas contre que les équipes achètent ces bateaux chez eux, c’est aussi un moyen de financer leur campagne. » Prix du « support vessel » : 2 millions de dollars néo-zélandais (1,25 million d’euros).

Des règles de nationalité très contraignantes

Les yacht clubs souhaitant concourir sur la 37e édition doivent déposer leur défi entre le 1er décembre 2021 et le 31 juillet 2022, les retardataires étant acceptés, moyennant pénalités financières, jusqu’au 31 mai 2023. Les droits d’inscription se montent à 2 millions d’euros (payables en deux parties), auxquels il faut ajouter des frais supplémentaires, comme les participations aux « Preliminiary Regattas » (177 000 euros par régate).

Confronté à la menace de perdre ses meilleurs navigants, dont Peter Burling et Blair Tuke qui n’ont toujours pas renouvelé leur contrat, Team New Zealand a frappé fort avec une règle de nationalité stricte : un marin doit détenir le passeport du pays du yacht-club de son défi au 17 mars 2021 ou avoir résidé au moins 548 jours dans ce pays entre le 18 mars 2018 et le 17 mars 2021. « C’est clairement écrit pour barrer la route à Alinghi, analyse Dimitri Despierres. Par exemple, les Suisses ne pouvaient pas recruter Nathan Outteridge, qui est australien, alors que Team New Zealand a pu le faire car il remplissait les critères de résidence en Nouvelle-Zélande. »

« Ça fait partie de la réduction des coûts, sourit Philippe Presti, comme ça, les Kiwis ne vont pas avoir besoin de payer leurs navigants plus cher pour qu’ils restent ! Plus sérieusement, je trouve que ça ne va pas dans un sens d’ouverture, plein de gars qui n’ont pas le bon passeport se retrouvent d’ores et déjà coincés. » Bruno Dubois est plus nuancé : « C’est une manière pour Team New Zealand de se protéger, ça évite aussi qu’un défi arrive avec plein d’argent pour s’acheter untel ou untel. Après, je trouve dommage que la règle ne soit pas appliquée partout : on l’impose aux navigants, pour la construction des bateaux, pourquoi on ne l’étendrait pas aux architectes, aux ingénieurs ? »

Seule exception à cette règle de nationalité, les « nations émergentes » auront le droit à un quota de non-nationaux. Les critères pour recevoir le statut de « nation émergente » sont à la seule discrétion du defender, tandis que le nombre de non-nationaux dépend de l’expérience globale de l’équipe en matière de voile de compétition, mais aussi des marins qui la composent. « Leur volonté, c’est de statuer sur les personnes que tu peux embarquer », remarque Philippe Presti.

Photo : ACE / Studio Borlenghi

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