Gréement de fortune sur la Golden Globe Race

Comment les courses autour du monde se multiplient

Les trois caps mythiques n’ont jamais autant attiré organisateurs et coureurs : entre juin 2022 et septembre 2023, pas moins de cinq tours du monde pourraient s’élancer, en solo, double et équipage, majoritairement destinés aux amateurs. Pour quel budget, quelles retombées et quels risques ? Tip & Shaft a enquêté.
Class40 : deux projets, deux philosophies
Chez les Class40, la première épreuve à proposer une giration planétaire s’appelle Globe40, un tour du monde en huit étapes avec des destinations inédites (île Maurice, Papeete, Ushuaia…) au départ de Tanger le 26 juin 2022. “Nous sommes en phase opérationnelle, assure Manfred Ramspacher l’organisateur qui annonce 12 pré-inscritsNotre budget de 2 millions d’euros repose pour plus des deux tiers sur les villes étapes. La venue ou non d’un partenaire titre ne nous empêchera pas de donner le départ”. 

La seconde course autour du monde proposée aux Class40, The Race Around, organisée par le tandem Hugh Piggin/Sam Holliday, doit s’élancer en septembre 2023. Son format en quatre étapes (départ d’une ville française, escales au Cap, à Auckland, au Brésil et arrivée dans la même ville française ou en Grande-Bretagne) ressemble furieusement au Boc Challenge (devenu par la suite Around Alone et Velux 5 Oceans). Le budget annoncé par l’organisateur est de 8,6 millions d’euros, à financer à 95% par des partenaires privés. “On est dans les temps par rapport à notre calendrier de recherche de sponsors”, assure Emmanuel Versace, le représentant en France du projet.

La classe a finalement décidé de retirer la Globe40 de son programme, suite à son report d’un an qui la plaçait en concurrence avec la Route du Rhum. “Manfred nous a mis devant le fait accompli en reportant sa course, c’est dommage, mais on lui souhaite de réussir et le but est qu’il reprenne son créneau dans notre programme en 2025”, commente Halvard Mabire, président de la Class40 (voir notre interview ci-dessous). Manfred Ramspacher assure de son côté “ne pas être amer de la décision de la classe”et ajoute : “la Globe40 s’inscrit dans l’ADN de la classe qui est de promouvoir la course pro-am.”

Côté plateau, la Globe40 se court exclusivement en double et réunit 75% d’étrangers, essentiellement des amateurs éclairés et quelques pros, comme Kito de Pavant, qui ne s’est cependant pas encore décidé définitivement. “La notion de voyage de la Globe40 me plaît, mais ce n’est pas une course économique, car les escales sont chères et tu es obligé de remettre le bateau au top à chaque fois. Je table sur 900 000 euros de budget en comptant l’amortissement. Ce n’est pas simple d’attirer des partenaires sur une première. En même temps, on sait bien que la part du gâteau médiatique réservée aux Class40 sur la Route du Rhum est marginale. Nous ne prendrons notre décision définitive qu’après la Transat Jacques Vabre”, explique le skipper de Made in Midi.

Réservée initialement aux équipages en double, The Race Around, qui table sur un potentiel de 40 bateauxvient de s’ouvrir aux solitaires “sous la pression de la classe et de skippers pros qui en attendent clairement des retombées”, commente Emmanuel VersaceQui ajoute : “Certains skippers, comme Aurélien Ducroz ou Axel Tréhin, ont mis dans le cahier des charges de leur nouveau bateau qu’il soit capable de faire le tour du monde. On sait par ailleurs que de nombreux marins visent le Vendée Globe 2024, mais clairement, ils nous disent qu’ils viendront sur The Race Around s’ils n’arrivent pas à réunir le budget.”

Sur le nouveau plan Lombard qu’il construit, Lalou Roucayrol, a, lui, décidé de partir en double, avec des jeunes à bord, formés dans son écurie Lalou Multi : “C’est un beau projet de fin de carrière, basé sur la transmission. Hors amortissement du bateau, je pense qu’il faut compter un minimum de 400 000 euros.

GGR et OGR : le retour aux sources fait recette
Forte du succès de la première édition, la Golden Globe Race repartira des Sables d’Olonne le 4 septembre 2022“deux mois plus tard que la précédente pour un meilleur timing d’entrée dans les quarantièmes”, explique Don McIntyre, créateur du concept. Si elle reste fidèle à l’esprit d’origine au niveau de l’architecture et de l’équipement des bateaux, la course s’ouvrira davantage à la modernité côté communication.

“Les skippers seront équipés d’une liaison satellite réservée à l’envoi de photos et aux interviews, à raison de deux fois vingt minutes par semaine”, ajoute l’organisateur qui vient d’installer ses bureaux aux Sables d’Olonne. La ville et la communauté d’agglomération sont partenaires de l’événement à hauteur de 100 000 euros, pour la première, et de 350 000 euros pour la seconde. A la recherche d’un partenaire titre, Don McIntyre a fixé le ticket pour le naming de la course à… 3,5 millions d’euros – dont 1,5 million destiné à la production et la distribution TV.

29 skippers sont déjà pré-inscrits, la moitié ayant acheté un bateau spécialement pour la course. La victoire de Jean Luc Van den Heede n’a pas fait d’émules, puisque seuls trois Français sont pressentis. Parmi eux, Damien Guillou, qui part sous les couleurs de PRB, partenaire de Philippe Péché en 2018, raconte : “Dans le milieu, je vois bien l’étonnement que provoque ma décision. Moi je prends ça comme une chance de vivre une expérience exceptionnelle une fois dans ma vie. La solitude pendant 200 jours est un enjeu, mais la lenteur ne me gêne pas. J’ai toujours fait de la croisière sur de vieux bateaux que je bricolais, j’aime ça !”.

Côté budget, si McIntyre assure que la course est faisable pour 60 000 euros (pour qui possède un bateau) et que “l’argent ne fera gagner personne”. Un Rustler 36 comme celui acheté par PRB, coûte 80 000 euros d’occasion, auquel il faut ajouter un solide budget de préparation. Sans vouloir donner de chiffres précis, Damien Guillou ne serait pas étonné si, au final, le budget total de l’opération revenait dans son cas à “deux saisons de Figaro.

Après la GGR, l’Australien a ajouté un nouvel acronyme à son portefeuille d’épreuves, avec l’OGR pour Ocean Globe Race, revival de la Whitbread qui partira le 10 septembre 2023 pour le cinquantenaire anniversaire de la première course autour du monde en équipage. L’organisateur promet “un événement d’ampleur” et annonce à ce jour 25 inscrits dans les quatre classes, dont le bateau français vainqueur de la Whitbread 1985, L’Esprit d’Equipe (qui sera skippé par Lionel Régnier) et Mor Bihan (qui a participé à l’édition 1981). Cartes papiers et sextants seront là encore de rigueur. Parmi les skippers intéressés, McIntyre cite Tracy Edwards, mais aussi Dominique Dubois, le patron de Multiplast, qui détient un Swan 651, et Arnaud Lizop qui était équipier sur Pen Duick VI en 1973.

Global Solo Challenge : rallye nouvelle formule
C’est l’Italien Marco Nannini, navigateur et financier, qui a eu l’idée de ce Global Solo Challenge qui n’est pas une course, mais plutôt un défi ou un rallye. Ce tour du monde en solitaire et sans escale par les trois caps s’élancera de La Corogne à l’été 2023. Ouvert aux monocoques de 32 à 55 pieds, il présente l’originalité de départs décalés dans le temps avec des groupes classés selon leurs performances estimées.

Basé sur les calculs et l’expérience de l’organisateur qui a réalisé un tour du monde en Class40 et couru l’Ostar sur un Sigma 36, ce rallye se veut donc indépendant de toute jauge : “Un Class40 première génération peut faire le tour en 140 jours. Un croiseur de 36 pieds classique mettra plutôt 195 à 200. Nous décalerons donc leur départ de deux mois en espérant qu’ils arrivent ensemble… C’est l’histoire du lièvre et de la tortue !”.

Nannini annonce aujourd’hui 16 pré-inscriptions pour ce qu’il pense être le tour du monde le moins cher de l’histoire (7 500 euros d’inscription). Le règlement imposera quand même quatre cloisons étanches avec une répartition des volumes vérifiée par un architecte, une modification qui n’a rien d’économique, ni de simple sur un croiseur de série (lorsqu’elle est possible).

La sécurité en question
Si Lalou Roucayrol considère que ce type d’épreuve “dévalorise le travail des gens qui essaient de faire de ce sport leur métier”, Corinne Migraine, vice-présidente de la Fédération Française de Voile, constate de son côté : “L’engouement français pour la course au large repose sur l’aventure humaine et les amateurs sont sans doute frustrés de la professionnalisation des épreuves. C’est aussi aux pros de mieux régler leur curseur car la technologie au détriment de la fiabilité, ce n’est pas une bonne histoire à raconter.”

Reste que sur l’aspect sécuritaire, celle qui est aussi vice-présidente de l’Oceanic and Offshore Committee de World Sailing est plus sévère : “Des tas de gens font des tours du monde dans leur coin et c’est très bien. Mais les organisateurs qui se jettent sur ce bout du gâteau médiatique me paraissent dangereux. S’il y a trop d’accidents, les règles se durciront et ce sont les vraies courses qui en pâtiront. Je veux juste rappeler que toute épreuve en solitaire est dérogatoire du RIPAM (*), dérogation qui n’est pas forcément éternelle.” 

Cette profusion de tours du monde – le navigateur australien Andrew Cape, que nous n’avons pas réussi à joindre, avait également annoncé le lancement de la Great Cape Race en équipage en fin d’année – pose en tout cas la question de leur lisibilité médiatique. “Cinq courses autour du monde en deux ans, dont quatre sont des premières, ça fait beaucoup et il y aura forcément du déchet, résume Kito de Pavant. Je ne suis d’ailleurs pas certain que tous les organisateurs mesurent la lourdeur d’épreuves aussi longues et risquées.”

(*) RIPAM : Règlement international pour prévenir les abordages en mer.

Photo : Golden Globe Race

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