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Crise du logement pour la course au large en Bretagne Sud

Nouveaux Ultimes à venir (SodeboMacif, Banque Populaire), projets Vendée Globe qui se multiplient, succès de la Class40 et engouement du circuit Mini qui ne se dément pas, le secteur de la course au large vit une période d’euphorie. Un succès qui n’est pas sans poser des problèmes de logistique, particulièrement dans les ports prisés de la Bretagne Sud que sont Lorient, La Trinité-sur-Mer, Port-la-Forêt, voire Concarneau. Tip & Shaft a mené l’enquête.“Le terme de crise de logement est bien choisi”. Directeur de la Sellor, la société d’économie mixte sui gère les ports de plaisance de Lorient AgglomérationBrieuc Morin ne cache pas qu’il passe beaucoup de temps à gérer la pénurie de places sur le site de Lorient la Base, spécialisé dans les bateaux de course. Avec trois écuries Ultimes (Banque PopulaireGitana Team et désormais Sodebo, dont le hangar lorientais est en train de sortir de terre), une dizaine d’Imoca en préparation du prochain Vendée Globe (Jérémie Beyou, Sam Davies, Isabelle Joschke, Thomas Ruyant, Maxime Sorel, Giancarlo Pedote, Stéphane Le Diraison, Kojiro Shiraishi, Pip Hare…), une quarantaine de Figaro (2 et 3), 20 à 30 Class40 et une flopée de Mini qui préparent la Mini-Transat 2019, les pontons et quais lorientais affichent complet, rendant leur gestion particulièrement compliquée : C’est une gestion de réservation de salle de spectacle, avec chaque jour, une mise en scène un peu différente en fonction des plannings des uns et des autres”, confirme Brieuc Morin.

Nouveau venu dans la classe Imoca, Maxime Sorel avoue s’être inquiété à l’idée de trouver une place à Lorient pour son 60 pieds V&B, actuellement en chantier chez Kaïros, à Concarneau : “Avec tous les projets de Vendée voire de Volvo dont on entend parler, nous n’étions pas certains d’avoir une place à La Base, mais je pense que le fait d’être à Lorient depuis quelques années et de faire partie du groupe d’entraînement de Lorient Grand Large compte, ils ont fait en sorte qu’on puisse rester”. Des éléments qui ont effectivement leur importance quand il s’agit d’accorder une place, même si le principal argument est économique : Le critère prioritaire, c’est l’emploi, l’impact économique des projets, avance Brieuc Morin. On sait par exemple qu’un Ultime, c’est environ 20 personnes et des retombées pour les acteurs locaux. Mais c’est vrai qu’on fait aussi en sorte de favoriser ceux qui sont là depuis longtemps. Je ne me vois pas, par exemple, dire à quelqu’un comme Thomas Ruyant, présent depuis des années, de partir pour laisser la place à des nouveaux.”

Ce dernier devrait donc conserver une place au ponton, mais pour ce qui est du hangar et des bureaux, il a dû se résoudre à se tourner vers le privé et à louer à la société Océan Développement de Franck David“Il n’y avait pas plus de place ailleurs, on n’a pas eu d’autre choix pour pouvoir rester sur place“, confirme le team-manager du projet, Marcus Hutchinson.  Les places sont en effet aussi chères à terre qu’à flot, comme le reconnaît le directeur de la Sellor : La pression est partout. Aujourd’hui, ça devient très difficile de garantir à un projet Imoca une place à flot et une place à terre à côté. Le taux de remplissage à terre est de 100%, je crois qu’il reste juste deux aménagements à venir dans les hangars actuellement construits par Tara et Lyophilisé.fr qui en louent une partie.” Pour ce dernier, qui sera achevé en janvier 2020, la place est, d’après nos informations, sur le point d’être prise par une voilerie, qui pourrait être Incidence Sails, d’autant que cette dernière vient d’annoncer le lancement d’un pôle course au large et superyachts dans un nouvel espace de 400 m2 à Lorient à horizon fin 2019.

La présence de voileries – North Sails avait prévu d’installer son centre de recherches et de développement dans le bâtiment de Groupama Team France avant que celui-ci ne soit détruit dans un incendie en juin – et de très nombreux fournisseurs (électronique, accastillage, chantiers…, voir cette carte) est en tout cas un argument important pour attirer les écuries de course au large sur un site de Lorient La Base conçu pour ça. Présent depuis 2006, Jérémie Beyou explique : “Quand je me suis installé à l’époque de Delta Dore, on avait hésité entre Port-la-Forêt et Lorient, on avait choisi Lorient parce qu’on pressentait déjà ce qu’allait devenir la Base dans son ensemble et qu’on a eu la possibilité d’être propriétaire de nos murs. Le plan d’eau est en plus parfait : tu peux aller naviguer quasiment tout le temps, avec la possibilité de faire du côtier en étant protégé de Groix ou de partir au large trouver de la houle”.

La demande plus importante que l’offre a conduit l’Agglomération de Lorient à lancer un projet d’extension du sitePrésenté le 24 janvier, il consiste à agrandir d’une part le plan d’eau, sous la forme de 160 mètres de linéaires supplémentaires de pontons et d’une ligne de brise-clapot (2,28 millions d’euros financés par l’Agglo, avec apport de 500 000 de la Région Bretagne, travaux achevés en fin d’année), d’autre part à mettre à disposition d’ici quelques semaines une nouvelle zone à terre pour accueillir des Class 40 et des IRC  (1 million d’euros financés par la Sellor). “Une réflexion se poursuit également pour la libération de terrains entre le site actuel et le port de pêche pour permettre l’implantation d’autres écuries de course”, ajoute Brieuc Morin. Quid de l’emplacement du Bâtiment des Défis, l’ex hangar de Groupama Team France ? “Le bâtiment est démoli à partir de la semaine prochaine, l’agglomération réfléchit à sa reconstruction, avec sans doute une vocation plus partagée qu’il ne l’était, en raison justement de la crise du logement, c’est en tout cas ce que nous avons préconisé”, répond le directeur de la Sellor.

Des projets d’extension qui montrent que Lorient a bien l’intention de continuer à s’affirmer comme le pôle de référence en matière de course au large en Bretagne. Reste qu’il n’est pas le seul : La Trinité-sur-Mer, dont le port est géré par la Compagnie des Ports du Morbihan, accueille trois Ultimes – Spindrift 2Idec Sport et Actual, (le nouveau Sodebo sera basé à Lorient) – qui, quand ils sont là ensemble, occupent une grande partie de la panne Loïc Caradec, rendant les places rares, notamment pour les Imoca qui ne peuvent pas être plus que deux ou trois, tirant d’eau oblige.

“A partir de 2020, on va mettre en place une commission d’attribution des emplacements, parce qu’on ne peut pas recevoir autant de bateaux qu’on a de demandes et que le port n’est pas extensible, confirme son directeur Marc de Ghellinck. Nous allons créer une grille des notations avec des critères tels que le projet global, le programme de l’année, l’implication locale…” Présent à La Trinité depuis plus de vingt ans, Marc Guillemot, qui a désormais deux Figaro 3 sur place, constate : “Avant, il suffisait d’arriver au port pour avoir de la place, aujourd’hui, il y a un peu d’embouteillage, avec notamment tous ceux qui font des courses comme la Transquadra et la Mini. Dans ce contexte, il faut être un peu souple, accepter d’avoir des places mobiles et de sortir le bateau dès qu’il n’est pas utilisé plus d’un certain temps, mais c’est vrai que la situation est un peu préoccupante pour les années à venir parce que la voile de compétition professionnelle est un secteur qui évolue bien.”

Plus au nord, Port-la-Forêt, qui, selon Marcus Hutchinson, présente l’inconvénient pour les Imoca “de manquer d’eau”n’est également pas loin de faire le plein, avec, selon les périodes de l’année, une quinzaine de Figaro 3, une ou deux places en Ultime et de six à huit pour des Imoca, aujourd’hui quasiment tous réservés pour Jean Le Cam, Romain Attanasio, Sébastien Simon, Kevin Escoffier et Charlie Dalin. Ce dernier avec son 60 pieds Apivia, tout comme le trimaran Macif, traversera cependant la baie dans un an, puisque MerConcept, la société de François Gabarts’installera au printemps 2020 dans une base unique à Concarneau. La raison ? On voulait regrouper tout le monde et tous nos bateaux dans un même lieu, il nous fallait aussi un hangar près du quai pour pouvoir rentrer le trimaran et le remettre à l’eau facilement, ce qui n’était pas possible à Port-la-Forêt, répond Thomas Normand, directeur général de MerConceptOn a choisi Concarneau parce qu’il y a de la place pour la manutention, des quais adaptés et il y avait une concession assez large disponible pour nous accueillir. François tenait en outre à rester proche de Port-la-Forêt et du pôle Finistère Course Au Large.

Du côté de Concarneau, si on se réjouit d’accueillir toute l’équipe de MerConcept, on écarte toute idée de concurrence avec le voisin finistérien : “On s’est assurés que ça se fasse en bonne intelligence avec Port-la-Forêt, c’est vraiment une logique de territoire, pas une logique de port, l’important est que les coureurs restent dans le bassin de navigation du Finistère Sud”, explique Xavier Rasseneur, directeur adjoint du syndicat mixte pêche plaisance de Cornouaille, qui gère les pontons de l’arrière-port, où sera installée la base de François Gabart.

Concarneau, berceau également de la société Kaïros de Roland Jourdain qui dit du site : “J’ai souvent tendance à dire qu’on est en Suisse ici : entre Port-la-Forêt et Lorient, on peut faire les choses dans une certaine discrétion et dans une certaine diversité. Il y a la pêche, la construction navale, des fournisseurs, nous, bientôt Macif, ce n’est pas monoculture, et je trouve qu’il ne faut pas faire la photocopie des autres.” L’arrivée de MerConcept va-t-elle susciter des vocations ? Maxime Sorel le pense : “Il y a les infrastructures, une fosse profonde pour quiller, un énorme travel lift, ils ont tout pour devenir une bonne base.” Reste que, là encore, même si un projet de réaménagement de l’arrière-port est à l’étude, “les places sont contraintes selon Xavier Rasseneur qui conclut : “Plusieurs coureurs sont venus me voir, on étudie toutes les possibilités, mais on ne fait pas de publicité particulière, parce qu’on ne veut pas donner de faux espoirs aux écuries de course au large”..

Crédit photo : Clément Le Calvé/PLM 6.50

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