La Solitaire du Figaro Laperche et Quiroga

Solitaire du Figaro : Le débrief avec Dominic Vittet et Christian Dumard

La 52e Solitaire du Figaro s’est conclue dimanche avec la remise des prix qui a consacré le vainqueur, Pierre Quiroga, 9e d’une dernière étape remportée par Pierre Leboucher. Xavier Macaire et Tom Laperche complètent le podium final ; Gaston Morvan, 7e au général, termine premier bizuth. Spécialistes du routage météo, Dominic Vittet, qui travaillait notamment avec Pierre Quiroga, et Christian Dumard, qui collaborait entre autres avec Xavier Macaire, refont le match de l’ultime étape et dressent le bilan cette édition 2021.

 

► Evoquons d’abord le scénario de cette dernière étape, avec un premier choix d’option au niveau du DST de Land’s End, 31 sont partis à l’est, 3 à l’ouest, dont Tom Dolan, premier au Fastnet, c’est ce qu’il fallait faire ?

Christian Dumard : Le choix n’a pas été évident, il y a clairement eu plus de vent dans le sud, ce qui a favorisé les 3 qui sont passés au sud du DST. Mais ce n’était pas forcément facile à anticiper car la différence ne paraissait pas très importante, la direction de vent a fait qu’on était plutôt sur un timing assez rapide avec du vent encore plutôt assez à gauche, donc dans le choix de pré-départ, ça favorisait plutôt le passage au nord du DST.

Dominic Vittet : Je ne rejoins pas du tout Christian, j’avais mis beaucoup de poids sur le fait qu’il fallait passer à l’extérieur du DST pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’il y avait plus de vent dans l’Ouest, ensuite parce que le passage de Land’s End est à risque, il s’y passe toujours quelque chose d’assez inattendu, un petit coup de mou voire de la pétole. Là, ils n’ont pas eu de coup de mou, ils ont toujours eu un peu de vent, mais beaucoup moins que les trois autres dans l’ouest. L’autre inconvénient de Land’s End, c’est que c’est un long couloir de 4 milles de large entre le phare et le DST qui les a contraints à une navigation pas du tout VMG. Finalement, 3 y ont été, Tom (Dolan) et mes deux bizuths, Maël Garnier et Philippe Hartz qui m’écoutent forcément plus facilement que les autres ! Je me demande vraiment pourquoi certains coureurs, qui étaient loin au général et n’avaient rien à perdre, ont été s’engouffrer dans Land’s End.

Christian Dumard : Pour les bizuths avec lesquels je travaillais, l’instruction était aussi de passer à l’ouest du DST pour des histoires de timing ; par contre, pour les premiers, c’était moins évident. Xavier perd sur Tom sur cette option, mais au final, au Fastnet, il est juste derrière. Par contre, en Manche, j’avais donné des instructions d’aller sous le vent, dans l’ouest, ce qu’a fait Xavier, parce que les autres arrivaient sur Land’s End face au courant, ils ont perdu pas mal en étant décalés au nord.

 

“Pierre et Xavier ont été les meneurs”

 

► Sur le tronçon les menant jusqu’au Fastnet, Xavier Macaire et Pierre Quiroga ont en effet traversé la flotte pour passer deuxième et troisième, la confirmation qu’ils étaient vraiment plus rapides sur cette Solitaire ?

C.D. : Oui, ils allaient vite, mais surtout, ils ont mené la course, ce sont eux qui décidaient et prenaient les options, alors que derrière, les autres suivaient et ne faisaient que du positionnement. A l’arrivée, le podium est logique, parce que le troisième (Tom Laperche) va super vite, mais n’a pas pris beaucoup de risques.

D.V. : Je suis d’accord, ce sont clairement eux qui ont dominé la course de la tête et des épaules. Derrière, c’était un peu une deuxième division, avec des bateaux toujours bien placés, mais qui n’arrivaient jamais à prendre la main. Je pense qu’il y a un problème de philosophie : je m’en suis entretenu avec Pierre (Quiroga) et Alexis (Loison) qui sont au centre de Port-la-Forêt, où on leur a dit un mois avant que le Figaro se gagnait en étant en flotte. Je pense que c’est une bêtise pour plusieurs raisons : d’abord, l’histoire montre que plein de coureurs ont gagné parce qu’ils ont été capables de se démarquer par moments – c’est le cas de Yoann Richomme récemment [« Et Armel Le Cléac’h l’année dernière », coupe Christian Dumard] – et je pense que cette navigation qui consiste à se suivre n’est ni intéressante ni productive. C’est l’exemple de Tom (Laperche) : il joue placé, est toujours au bon endroit, il a la bonne vitesse, mais il ne prend jamais la main. Ce qu’a fait Xavier l’a fait sur la première étape, Pierre sur la deuxième, puis en fin de troisième. Pour gagner la Solitaire, il faut à un moment savoir placer une banderille.

 

► La fin d’étape a donné lieu à des options, avec le groupe de Xavier Macaire plus près des côtes que celui de Pierre Quiroga et Tom Laperche, Pierre s’est-il fait peur ?

D.V. : En blaguant avant le départ, on avait résumé en disant : « Tu passes en tête au Fastnet et après, tu marques Xavier. » Il est finalement passé 3e pas très loin derrière Xavier, mais à partir du Fastnet, il l’a perdu et ne l’a jamais revu, ni à l’AIS ni de visu ! Sur la fin d’étape, on s’était dit qu’il valait mieux rester à l’écart car avec le thermique, il y avait un risque de molle en se rapprochant de la terre. Finalement, cette molle, qu’on voyait encore jeudi sur certains fichiers, n’est jamais arrivée où est passé le groupe de Xavier, ils ne se sont jamais arrêtés, cela a été une grosse surprise. Jeudi après-midi, quand Pierre a appris qu’il était 8-10 milles derrière le premier, il s’est effectivement fait un peu peur, mais il n’a pas paniqué et a fait un truc assez marrant : il a coupé la VHF, en se disant qu’il ne voulait plus entendre parler de pointage, d’horaire d’arrivée ou d’écart, pour se concentrer totalement sur sa vitesse, avec pour objectif de larguer, s’il le pouvait, Tom Laperche. C’était d’ailleurs bien pour lui d’avoir un tel sparring-partner pour faire avancer la machine.

 

► A l’inverse, Xavier a-t-il cru à un moment à la victoire finale ? Et quelle était la consigne au départ de l’étape ?

C.D. : La consigne était vraiment de faire sa course comme il savait le faire, sans prendre des risques inconsidérés, il savait que deux heures d’écart, c’était beaucoup. Sur la fin, on avait clairement pris le choix de ne pas être très loin de la côte, j’aurais d’ailleurs préféré qu’il passe encore plus près de Belle-Ile. Quand il a franchi la ligne, il savait que ça ne le ferait pas.

 

“Ce parcours récompense les meilleurs”

 

► La révélation de cette Solitaire est Gaston Morvan, 7e au général et premier bizuth, est-ce une surprise pour vous ?

D.V. : Je ne m’attendais pas à le voir là, mais j’ai trouvé qu’il a montré une pugnacité incroyable, il est toujours resté dans le match près des premiers. Sur la dernière manche, il est un peu décroché, il arrive encore à revenir, j’espère pour lui qu’il va réaliser ce son père (Gildas) n’a jamais réussi à faire, ce serait une belle histoire.

C.D. : Il a fait une super course, en revenant toujours et en ne lâchant jamais jusqu’à la fin. Je pense qu’il a beaucoup travaillé pour cette Solitaire. Sur la dernière étape, j’ai bien aimé Francesca Clapcich, avec qui je travaille, elle finit 16e en accrochant le groupe, elle a vraiment bien progressé, ce n’est pas facile quand tu viens comme elle des Etats-Unis. Elle est travailleuse et teigneuse, si elle revient en Figaro, elle peut faire de belles choses.

 

► Quels sont vos autres coups de cœur de cette Solitaire ?

C.D. : Je trouve qu’Erwan Le Draoulec, qui est très jeune, a bien progressé tout au long de la Solitaire, il fait 8e sur la dernière étape (et 10e au général), lui aussi a vraiment un bon potentiel.

D.V. : J’ai bien aimé Elodie Bonafous. Ce Figaro a été long, on a senti le poids des étapes dans le temps, certains se sont émoussés, notamment Achille (Nebout) qui a fait deux super premières étapes et s’écroule un peu sur les deux dernières, Elodie m’a beaucoup plu par sa capacité à s’accrocher aux meilleurs. 12e au général, c’est un super score.

 

► Que vous a inspiré le parcours de cette longue Solitaire ?

D.V. : Les coureurs en ont bavé, c’était dur, et ça montre qu’il faut vraiment arriver très reposé. Ce qui a d’ailleurs été une des forces de Pierre qui est parti pendant un mois loin des bateaux avant la Solitaire, ce qui lui a permis d’arriver avec le plein d’énergie. En même temps, ils ont adoré la liberté que leur a donnée Francis (Le Goff, le directeur de course) avec très peu de marques de parcours. On a retrouvé l’esprit de la Solitaire telle qu’elle a été dans les 30 premières années.

C.D. : Je suis d’accord avec Dominique, le fait d’avoir des parcours ouverts est ce qui permet aux meilleurs de s’exprimer, d’autant que le bateau se prête bien à ce type de parcours. Les timings sont beaucoup plus compliqués à prévoir que sur le Figaro 2, ça rajoute du piment, ça fait parler l’expérience des coureurs et les oblige à avoir bien travaillé en amont pour s’adapter à ces changements de scénario. Au final, ça récompense les meilleurs.

 

Photo : Alexis Courcoux

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