Tanguy le Turquais aborde sa quatrième saison sur le circuit Figaro

Tanguy Le Turquais : “Cette année, j’ai tout pour réussir”

A 30 ans, Tanguy Le Turquais attaque sa quatrième saison sur le circuit Figaro par la Solo Maître CoQ (13-22 mars), avec l’objectif de franchir un cap au niveau des résultats. Le skipper de Quéguiner-Kayak revient pour Tip & Shaft sur son parcours, loin d’être linéaire, sa relation avec sa compagne Clarisse Crémer, et évoque ses ambitions.

Comment es-tu venu à la voile ?
J’ai vécu de 10 à 18 ans sur un bateau dans le port de Vannes avec mon père et mes sœurs. Mon papa, éducateur sportif, a appris la voile sur le tard, c’est une passion qu’il a développée petit à petit, jusqu’à accompagner deux fois en mer la Mini-Transat, en 2003 et 2007. Quand il revenait, il nous racontait ses aventures, il nous a transmis sa passion, et dès que nous avions des vacances, nous partions en Espagne, au Portugal, en Angleterre… Ensuite, j’ai commencé à faire un peu de Class8 au lycée, je me suis aussi mis à la planche et au dériveur en école de voile. Puis j’ai fait des études de mécanicien pour moteurs marins, j’ai aussi passé un diplôme dans la marine marchande et mon brevet d’Etat de moniteur de voile.

Comment as-tu basculé dans la compétition ?
A 21 ans, j’ai rencontré Clarisse et au bout de six mois de relation, je lui ai parlé de mon rêve de faire la Mini-Transat. Comme c’est vraiment une fille qui adore monter des projets, elle m’a dit : « OK, on met tous les deux nos économies en commun, on achète un bateau et on essaie de trouver des sponsors pour que tu puisses faire la Mini en 2013. » Si je ne l’avais pas rencontrée, je ne serais pas là aujourd’hui, c’est une certitude.

Comment se passe cette première expérience en Mini ?
C’était génial mais c’étaient aussi les plus grosses galères de ma vie, parce que je n’avais vraiment pas un sou. Je m’étais surendetté pour trouver un bateau, je vivais dans mon camion, j’avais fini par trouver un sponsor mais pour un tout petit budget de 15 000 euros sur deux ans. Je me souviens qu’à l’escale à Sada [d’où avait finalement été donné le départ de l’unique étape après l’annulation de la première pour cause de mauvaises conditions météo, NDLR], je mangeais du lyophilisé, parce que je ne pouvais pas m’acheter de nourriture, je n’avais même pas de vêtements de voile, mes sous-couches, c’étaient mon jean et mes pulls de ville ! Mais en même temps, je me suis régalé et quand je suis arrivé en Guadeloupe après 25 jours de mer (6e place)je me suis dit que j’avais envie de continuer. J’ai alors vendu mon bateau pour rembourser mes dettes et le lendemain de la vente, un chantier espagnol m’a appelé pour me dire qu’ils aimeraient bien me prêter un bateau pour la Mini-Transat 2015. Je n’ai pas hésité une seule seconde, c’était l’occasion de repartir sur un projet à fort potentiel. Et ça a été génial, j’ai pu avoir un peu de moyens grâce à un partenaire, l’envie de devenir professionnel est arrivée avec ce projet, c’est aussi à ce moment que Clarisse a eu envie de se lancer à son tour.

Et que gardes-tu de cette deuxième Mini ?
J’avais gagné beaucoup de régates pendant deux ans et au départ, l’objectif était clairement de gagner. Mais c’est à ce moment que de nouveau bateaux de série ont été homologués, les Pogo 3 et les Ofcet, j’ai un peu subi ce truc et je n’ai malheureusement pas pu gagner (il a terminé 3e), parce que ces bateaux étaient beaucoup plus performants. Ce n’était pas l’unique raison, le vainqueur Ian Lipinski est un super marin, mais ça m’a laissé un peu de regrets et c’est aussi pour ça que j’ai voulu aller en Figaro, je voulais que le bateau ne soit plus jamais une excuse.

C’est ce que tu as fait ?
Oui, comme je continuais à galérer un peu financièrement, je me suis dit que la meilleure façon de débuter sans avoir trop de budget, c’était de faire la Transat AG2R avec un co-skipper et de finir la saison en tant que préparateur sur la Solitaire. J’ai monté un projet AG2R avec Hervé Aubry, on a eu beaucoup de soucis sur la transat (12e place) mais ça m’a vraiment plu, puis j’ai été le préparateur d’Arthur Prat sur la Solitaire. L’hiver suivant, j’ai cherché des partenaires et grâce à Clarisse, on a trouvé Nibelis, j’ai enfin eu des super conditions pour naviguer. Cette première année en Figaro a été incroyable, j’ai tout adoré, j’ai terminé troisième bizuth de la Solitaire derrière Julien Villion et à deux secondes de Pierre Leboucher. J’ai vu la quantité de travail qu’il fallait fournir pour accéder au plus haut niveau et ça m’a donné envie de m’y mettre encore plus à fond.

Comment se passe la suite ?
En 2018, Clarisse sort de sa super Mini-Transat, elle ne sait pas trop quoi faire ensuite avec Everial, je lui propose alors de faire l’AG2R ensemble et derrière, son partenaire me propose de faire la Solitaire pour lui laisser le temps de se décider. Cette AG2R a été une super aventure commune, mais on s’est dit après qu’on ne ferait plus de course ensemble car on avait du mal à être performants.

Pourquoi ?
Je pense que c’est parce que nous avons une relation de couple très fusionnelle, nous avons vraiment besoin de prendre soin l’un de l’autre et sur un bateau en course, ça ne marche pas, il faut être deux guerriers. On a eu du mal à se mettre dans cette peau.

Tu continues ensuite sur le circuit avec Everial puis en 2019 sur le Figaro 3 avec un nouveau partenaire, Quéguiner, comment juges-tu ta progression ?
J’ai fait de bons résultats, 5e de la Solo Normandie en 2018, 2e de la Solo Maître CoQ en 2019, mais j’en ai aussi eu de très mauvais, je ne suis pas parvenu à trouver de la régularité parce que j’avais des pics de fatigue qui me contraignaient un peu. Disons que ces deux années ont été impactées par une maladie qui explique en partie ces résultats en yoyo qui n’étaient pas à la hauteur de mes espérances.

Peux-tu nous parler de cette maladie ?
Au retour de l’AG2R 2018, j’ai commencé à avoir des vertiges, une nuit, je me suis évanoui. J’ai passé une IRM en juin qui a décelé une malformation de Chiari, c’est un problème au niveau du cervelet qui a finalement nécessité une opération au CHU de Rennes un mois après la Solitaire. En fait, j’ai fait cette Solitaire malade et celle de 2019 en convalescence. Il m’a fallu environ un an pour me remettre de l’opération. Après notre démâtage sur la dernière Jacques Vabre en Class40 avec Luke Berry, j’ai eu un mois de vacances forcées qui m’a enfin permis de me reposer, mon cerveau a fini par cicatriser et aujourd’hui, je peux dire que je suis guéri.

Sur cette Solitaire 2019, il y a ce fameux épisode d’Aurigny, peux-tu nous dire pourquoi tu décides de te filmer à ce moment ? N’as-tu pas eu peur a posteriori qu’on résume Tanguy Le Turquais à celui qui s’est échoué à Aurigny ?
Je le fais complètement spontanément, je ne suis pas du tout pour la com’ plate et maîtrisée. Quand je prends ma caméra sur le caillou, je ne me dis pas que je vais faire le buzz, je me dis juste qu’il se passe un truc de ouf sur cette course de malade et qu’il faut que je le raconte, sans artifices. Après, c’est sûr que je préférerais qu’on parle de moi pour mes résultats, mais c’est un fait de course qui met en valeur la Solitaire dans le fait que c’est une course extrêmement dure, avec ses sorties de route. Parfois tu pousses le bouchon un peu trop loin parce qu’on cherche tous nos limites.

Parlons de 2020 : maintenant que te voilà donc rétabli, te fixes-tu des objectifs à la hausse ?
C’est clair que cette année, j’ai tout pour réussir. Par rapport aux années précédentes, je me fixe surtout comme objectif de gagner en régularité. J’ai été capable de faire des Top 10, voire des Top 5, mais aussi des Top 30, j’aimerais lisser tout ça, rentrer dans les dix premiers sur la Solitaire et au classement du championnat de France. Il n’y a pas de raison que je ne puisse pas y arriver, parce que ça fait quatre ans que je suis sur le circuit et que j’ai beaucoup travaillé.

Sur l’AG2R que tu vas courir avec Julien Villion, tu te dis que vous pouvez viser quoi, au vu du plateau ?
Je pense qu’on est capables de viser un Top 5. Après, il faut que tout se passe bien, car aujourd’hui, on se demande tous si on va être capables d’amener les bateaux jusqu’à Saint-Barth. Ils n’ont jamais navigué aussi longtemps et on sait qu’ils ont des problèmes techniques, notamment dans du vent fort. Honnêtement, mon inquiétude première est de ne pas abandonner le long du Portugal. Est-ce que le mât va tenir ? Est-ce que le bateau va rester au-dessus de l’eau ? On prend encore de l’eau par les trappes de foils, il y a des poulies de bastaque qui cassent dans la brise… Des solutions existent, je ne veux pas être alarmiste, mais aujourd’hui, c’est le gros doute.

Finissons par ton avenir : de quoi as-tu envie à plus long terme ?
Là, je suis vraiment en mode Figaro dans ma tête, j’ai d’ailleurs ce défaut un peu figariste de ne pas trop me préoccuper de la suite, mais c’est clair que dans un coin de ma tête, j’ai envie de faire le Vendée Globe, encore plus aujourd’hui avec Clarisse qui le prépare. Aujourd’hui, je fais du Figaro pour accéder un jour à ça.

Photo : Alexis Courcoux

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