Alex Thomson avec le projet Canada Ocean Racing

Alex Thomson : « J’aimerais vraiment faire une autre campagne de Vendée Globe compétitive »

L’homme d’affaires canadien Scott Shawyer a annoncé mercredi le lancement de Canada Ocean Racing, structure destinée à le mener jusqu’au Vendée Globe 2028, un projet qui sera accompagné par Alex Thomson Racing. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec le marin britannique qui n’en a visiblement pas terminé avec le Vendée Globe.

► Comment ce projet est-il né ?
Il faut déjà savoir que Scott est un marin, qui navigue en classe A et a un catamaran de croisière. Il connaissait déjà le Vendée Globe, Gerry Roufs [Canadien disparu en mer lors de l’édition 1996/1997, NDLR], mais, comme tout le monde, il ne l’avait jamais autant suivi que la dernière fois, lorsqu’il a été confiné. Il a été complètement inspiré par la course, par les histoires de résilience, il m’a raconté l’histoire du sauvetage de Kevin Escoffier, il ne comprenait pas pourquoi plus de Canadiens n’étaient pas au courant de tout ça. Au point où il en était dans sa vie – c’est un homme d’affaires prospère -, il a commencé à s’intéresser au sujet. Il a vu l’ampleur de l’événement en France, mais aussi sur d’autres marchés, pour Kojiro (Shiraishi) au Japon, en Allemagne avec Boris (Herrmann), et ici en Angleterre avec nous – beaucoup de skippers britanniques ont fait le Vendée Globe. Il s’est alors dit : « Pourquoi je ne pourrais pas faire ça ? » Aujourd’hui, il veut être le premier Canadien à terminer le Vendée Globe [outre Gerry Roufs, Derek Hatfield a pris le départ en 2008, mais a abandonné, NDLR], et pour cela, il veut renforcer les compétences au Canada.

► C’est donc lui qui est venu vers vous ?
Oui, notre premier contact remonte à un an. Beaucoup de gens sont venus nous voir avec le rêve de faire le Vendée Globe, mais ils ne réalisent pas vraiment ce que cela implique. La plupart sont rebutés par ce qu’ils doivent accomplir avant d’arriver sur la ligne de départ. Quand Scott m’a contacté, je lui ai donné une idée réaliste du volume de navigations qu’il devrait faire s’il voulait que je travaille avec lui, et cela ne l’a pas dérangé. Ce qui me séduit dans ce projet, c’est la possibilité de pénétrer un nouveau marché, dans un pays où 30% des habitants parlent français, ce qui est un avantage, et où il y a déjà une course océanique, Québec-Saint-Malo. J’ai été au Canada deux fois avec le dernier Hugo Boss, j’ai pu constater ce que ressentent les gens vis-à-vis de la course au large, certains avaient traversé la moitié du pays pour voir le bateau et rencontrer l’équipe. Donc c’est une grande motivation pour nous de pouvoir créer une nouvelle audience et d’aider à construire un modèle économique durable au Canada autour de ce projet.

► Avec quel bateau ?
Nous l’avons depuis février – c’est l’ex Acciona d’Offshore Team Germany [qui s’est associé avec l’équipe de Benjamin Dutreux pour participer à The Ocean Race sur l’ex Hugo Boss, version 2016, NDLR]. Vu que le marché de l’occasion est compliqué, c’est formidable d’avoir un bateau de cette génération [2012], d’autant qu’il a été complètement remis au goût du jour. Il fera une tournée canadienne – Toronto, Montréal, Québec – en septembre et en octobre, dans l’objectif de présenter le projet au plus grand nombre et de commencer le processus commercial afin de trouver des partenaires.

 

“Une campagne gagnante en 2032”

 

► Comment le projet est-il financé et quel est le budget ?
Scott a la capacité de le financer sur ses fonds propres, mais ce n’est pas l’objectif. Il ne s’agit pas de faire un coup d’éclat, mais de s’engager dans un projet sur la durée. Et l’approche de Scott est de devenir un marin professionnel. Il a déjà de bonnes connaissances, il est par exemple presque aussi bon que moi sur Adrena [logiciel de routage, NDLR] ! Pour ce qui est du montant, il serait difficile aujourd’hui de vendre un projet au plus haut niveau, même si c’est ce que nous ambitionnons de faire à terme. Donc nous allons commencer modestement et, au cours des deux prochaines années, construire un modèle économique pour que le projet soit capable de voler de ses propres ailes. Nous envisageons par exemple de moderniser le bateau actuel avec des foils. Mais pour l’instant, nous devons voir quelles retombées commerciales nous pouvons obtenir, ce qui nous donnera une idée de l’envergure de la campagne pour 2028. Nous pourrons ensuite la faire évoluer vers une campagne gagnante, l’objectif plus tard sera de construire un bateau pour 2032 pour être au niveau des meilleurs.

► Et le planning ?
Il faudra beaucoup de temps à Scott pour acquérir l’expérience que nous souhaitons. Je voudrais qu’il fasse au moins 30 à 40 000 miles par an. Sur six ans, cela fera beaucoup de kilomètres ! Le processus de qualification est strict et on sait qu’à l’avenir, il risque d’y avoir de plus en plus de candidats par rapport au nombre de places, donc c’est d’ores et déjà important pour nous de participer aux courses de qualification pour le Vendée Globe 2024 afin d’accumuler des milles. Le programme commence maintenant, la première transat est prévue sur la Rorc Transatlantic Race [départ le 8 janvier 2023], la première course des Imoca Globe Series sera la Transat Jacques Vabre à la fin de l’année prochaine.

► Avec toi ?
Il faut que je demande à ma femme ! Pour moi, ce n’est pas une question d’envie, mais j’ai des responsabilités à la maison qui sont plus importantes pour moi que de gagner une course.

 

“Si je décide de faire une tentative en 2028,
je ne repartirai pas de zéro”

 

► Cet environnement autour du Vendée Globe te manque ?
Oui, certainement. Je fais encore quelques courses ici et là, mais rien de comparable au Vendée Globe où, avant le départ, vous en devenez malade… Maintenant, c’est génial d’être à la maison, de s’occuper des enfants, de leurs amis… Et je me rends mieux compte de la difficulté de la vie à la maison, c’est plus compliqué que je ne le pensais !

► Le Vendée Globe fait-il encore partie de tes objectifs personnels ?
Qui sait ? En 2028… Ce qui est bien, c’est qu’en repartant de zéro avec quelqu’un de nouveau, nous pouvons travailler sur une stratégie, une planification, et utiliser tout notre savoir-faire. Personnellement, cela me permet de rester dans le jeu et d’être au courant de ce qui se passe. Si je décide de faire une tentative en 2028, je ne repartirai pas de zéro.

► Ton ambition de le gagner est-elle toujours aussi forte ?
Oui, sans aucun doute. J’aimerais vraiment faire une autre campagne de Vendée compétitive et élever le niveau, c’est sûr. Je ne sais pas si ce sera avec moi ou pas. Mais il y a toujours le désir de continuer, peut-être de faire quelque chose en dehors de France pour élargir le public et mettre en place une campagne compétitive.

► Quelle part de ton activité va te prendre ce projet canadien ?
Probablement 50 %. C’est super de rester dans le jeu, et comme à côté, nous avons vendu le bateau [l’ex Hugo Boss à Alan Roura, NDLR] et que nous n’avons plus de contrats de sponsoring ni de responsabilités, c’est très différent à vivre. Vous ne vous rendez pas compte du niveau de stress et de responsabilité vis-à-vis des gens qui vous entourent que vous subissez lors d’une campagne de Vendée Globe. Je ne dis pas cela d’un point de vue négatif, j’ai adoré ça, mais c’est bien d’avoir une autre perspective. Et de voir, depuis les coulisses, les nouveaux bateaux arriver, les nouvelles équipes, c’est génial que Jérémie (Beyou) travaille avec Franck (Cammas), de voir Boris mettre son bateau à l’eau si tôt…

► Si tu devais choisir un bateau aujourd’hui, lequel prendrais-tu ?
Apivia, c’est le plus optimisé. Mais pour moi, compte tenu de tout ce que nous avons développé avec VPLP, le travail que nous avons fait ensemble et la relation que nous avons nouée, je leur ferais confiance. Les designers ont tous des outils similaires, ce qui est important, c’est la façon dont vous travaillez avec eux, les processus que vous mettez en place en fonction de vos besoins. Nous avons beaucoup travaillé avec VPLP, y compris pendant le convoyage retour du Cap. Je pense que ce serait stupide de notre part de nous éloigner de cette relation.

 

Photo : Mark Lloyd

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