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Antoine Mermod : “À l’Imoca de faire en sorte que l’on progresse sur la mixité”

Entre « l’affaire Clarisse Crémer » et The Ocean Race, l’actualité de l’Imoca est dense en ce moment, l’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec le président de la classe, Antoine Mermod.

► Quand as-tu appris la décision de Banque Populaire de se séparer de Clarisse Crémer et quelle a été ta réaction ?
Clarisse me l’a appris le lundi de la semaine dernière (30 janvier), j’avoue que j’ai été assez surpris sur le moment. L’information est ensuite sortie le jeudi, j’ai vu le communiqué de presse de Banque Populaire et là, je suis un peu tombé de ma chaise parce que je ne m’attendais pas à ce que ce sujet, qui était entre une skipper et son sponsor, soit autant tourné autour du Vendée Globe. Je n’ai pas vraiment à juger la communication des uns et des autres, la seule chose que j’ai trouvée un peu injuste, c’est que le débat se focalise sur le Vendée Globe et la mixité, alors qu’historiquement, c’est une course qui a toujours plutôt été en avance sur la mise en valeur des skippers femmes.

► As-tu été surpris par l’emballement qu’a suscité cette affaire ?
Il a effectivement été très rapide et quasiment inédit dans l’histoire de la course au large… Ce qui est délicat dans un tel cas, c’est de garder la tête froide pour essayer d’avoir une analyse un peu plus cartésienne, tout en comprenant l’émotion suscitée auprès de tous les gens qui commentent. Le hasard du calendrier faisait qu’on avait le lendemain matin de l’annonce un « TMS » (team managers et skippers meeting), on a commencé par traiter ce sujet pendant une heure, ce n’était pas facile, parce que justement, après moins de 24 heures d’un emballement médiatique qui partait dans tous les sens, c’était difficile d’arriver à poser le débat en prenant de la hauteur. Beaucoup de skippers se sont exprimés, ça a été hyper intéressant et ça nous a tous aidés à se saisir un peu plus professionnellement de ce qui était en train de se passer.

► La classe participe-t-elle à une recherche de solution entre les parties ?
Non. On est une classe de skippers, donc on soutient notre skipper, Clarisse ; Banque Populaire est un sponsor très important, dans la classe Imoca depuis des années, on souhaite que la meilleure issue soit rapidement trouvée pour que tout le monde en sorte par le haut, mais on n’a pas à interférer. A nous, en revanche, de faire en sorte qu’on progresse sur cette question de la mixité. L’avantage de cet emballement médiatique, c’est que ça va justement nous pousser à réfléchir et à proposer des règles qui seront peut-être plus courageuses la prochaine fois. On va là-dessus entamer un travail avec The Magenta Project, association dont la classe est partenaire sur les questions de mixité. Sam Davies est en train de prendre ce sujet en main pour, avec Magenta, le Vendée Globe et les grandes courses, mieux réfléchir sur la mixité et le côté réglementaire qui doit en ressortir.

 

“On aurait sûrement dû mettre plus
en avant la question de la maternité”

 

► Dans une interview pour Le Télégramme, Sam Davies estime que “c’est un peu de notre faute, à nous tous les skippers et la classe Imoca”, car l’envie de maternité de Clarisse Crémer, connue de tous, n’a pas entraîné de règlement adapté, qu’en penses-tu ?
Quand on a fait ce règlement, on a posé ce concept qui était de faire le maximum de milles. A côté de ça, on a essayé de balayer tous les cas particuliers, il y avait effectivement celui de Clarisse qui avait fait part de son souhait d’avoir un enfant, on a aussi eu des skippers étrangers qui avaient des obligations loin de la France et pour lesquels ce n’était pas forcément simple de ne venir faire des courses qu’en France, on avait celui d’un skipper qui avait des problèmes de santé et devait donc éventuellement s’absenter pendant quelques mois pour se soigner… Tous ces cas ont été étudiés et ont débouché sur le fait d’augmenter le nombre de places pour le Vendée Globe, de 33 à 40, et d’ajouter une wild card. On pensait que ça allait suffire pour englober tous ces problèmes particuliers, on n’a pas mis plus en avant la question de la maternité qu’une autre, on aurait sûrement dû le faire.

► La décision de Banque Populaire a-t-elle selon toi été un peu précipitée, vu le nombre de courses qu’il restait à Clarisse pour se qualifier et accumuler des milles ?
Encore une fois, cette histoire les regarde, après, c’est vrai qu’il reste encore quasiment les deux tiers du processus de qualification, deux saisons complètes et plein de péripéties possibles. Donc on peut imaginer que Clarisse avait une bonne chance de ne pas se retrouver au-delà de cette limite des 40, qu’on n’est même pas sûr d’atteindre. Maintenant, je pense qu’ils ont trop mis en avant cette raison, par rapport, certainement, à d’autres raisons qui les regardent.

“Les enjeux maintenant ne sont pas
forcément de continuer à grandir”

 

► Passons à The Ocean Race, la deuxième étape est sur le point de se terminer, quel est ton regard sur le début de course ?
La meilleure façon de juger de la réussite d’une course, ce n’est ni dans les discours, ni dans les stratégies, mais dans les sourires et les réactions des marins. A la fin de la première étape, ils étaient tous hyper contents, ils se sont régalés en équipage et la mixité fonctionne très bien. Et la course est dingue, il y a une vraie bagarre. Au moment où je te parle (vendredi matin), il y a 2,2 milles d’écart entre les trois premiers au bout de 16 jours de course ! Et techniquement parlant, on se rend compte qu’on commence à bien connaître ce concept de bateaux qu’on découvrait un peu sur le Vendée Globe 2020. Ça fait trois-quatre ans qu’on navigue sur ces bateaux, on savait qu’ils allaient vite au près et au reaching, on voit depuis le début de la course que ça commence à vraiment bien fonctionner au VMG descente. C’est vraiment là qu’il y a une nouveauté par rapport à l’année dernière, on se dit que les 600 milles en 24 heures pourraient arriver dans des conditions optimum. Et pour l’instant, on n’a pas découvert de problèmes particuliers alors qu’on est dans une gamme d’efforts plus importante ; maintenant, tout ce qui va se passer à Cape Town va être important, avec un check technique de tous les bateaux, des tests sur les mâts et les pièces monotypes…

► Il n’y a que cinq Imoca sur cette édition, es-tu confiant pour en attirer plus à l’avenir ?
Le timing d’organisation de la course, qui s’est montée au moment du Covid, a été particulièrement dur, ça a été très compliqué de faire venir des partenaires et ce n’est jamais facile de gérer une première. Aujourd’hui, on voit que les marins sont super contents, ce sont clairement nos meilleurs ambassadeurs pour la suite. Tout le travail qu’on doit maintenant faire avec les organisateurs, c’est de trouver les meilleures solutions pour que la course soit accessible à un public plus large dans la classe. A chaque étape, on rencontre un certain nombre d’équipes, notamment étrangères, qui se posent la question de venir en Imoca et sont en train de regarder à quoi ça ressemble, combien ça coûte, ça bouge déjà beaucoup… Les bases sont posées, il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas plus de candidats la prochaine fois.

► La classe Imoca s’est considérablement développée ces dernières années, comment gérer cette croissance ?
Quand je suis arrivé en 2017, il y avait 13 bateaux à la Transat Jacques Vabre, la première phase consistait à faire grandir la classe. Aujourd’hui, on a une quarantaine de projets, dont beaucoup sont très solides. Les enjeux maintenant ne sont pas forcément de continuer à grandir, car 40 bateaux, ne serait-ce que d’un point de vue logistique dans les ports, c’est extrêmement compliqué à gérer. L’objectif est donc de stabiliser ce groupe, tout en continuant à valoriser la diversité des profils, qui est une grosse raison de notre succès et permet à des petits projets de grossir. Le meilleur exemple étant celui de Benjamin Dutreux, qui avait un des plus petits budgets du dernier Vendée Globe et se retrouve aujourd’hui à la tête d’une équipe sur The Ocean Race. Dans le même temps, il faut que la classe soit à la hauteur du nombre actuel de bateaux, des investissements des uns et des autres, afin que skippers et partenaires y trouvent ce qu’ils sont venus chercher. On n’en parle pas très souvent, mais l’Imoca, c’est aujourd’hui 10 permanents, ce qui veut dire qu’en même temps qu’on a grandi, on a réussi à trouver le financement pour avoir une équipe capable de traiter des tas de sujets de manière professionnelle.

► Quel est ce budget annuel ?
Entre 1 et 1,5 million d’euros selon les années, assuré à la fois par les adhérents, des partenaires divers et variés et les conventions que nous signons avec les courses.

 

Photo : Jean-Louis Carli

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