Clarisse Crémer

Clarisse Crémer débarquée, Banque Populaire dans la tourmente

Banque Populaire a annoncé jeudi midi être “contraint de changer de skipper” en vue du prochain Vendée Globe, confirmant l’information dévoilée quelques minutes plus tôt par Clarisse Crémer. Cette décision, motivée par le retard de cette dernière dans la course aux milles lié à sa maternité et « l’inflexibilité » de l’organisation du Vendée Globe face aux demandes du sponsor, a provoqué énormément de réactions. Tip & Shaft vous en dit plus.

“Banque Populaire décide de me laisser à quai.” C’est à la mi-journée, jeudi, que Clarisse Crémer annonce sur ses réseaux sociaux que le Team Banque Populaire a choisi de la remplacer pour le Vendée Globe 2024. La raison ? Son retard dans la course aux milles pour la sélection du prochain Vendée Globe : comme Jean Le Cam, elle n’en compte aucun à ce jour, au point de ne pas figurer dans le tableau tenu à jour par la classe Imoca. Ce retard s’explique en bonne partie par l’absence de la navigatrice sur le circuit en 2022 pour cause de maternité“Aujourd’hui, Banque Populaire décide que cela représente pour eux un « risque » qu’ils ne souhaitent finalement pas courir (…) Je suis dans l’incompréhension totale face à l’histoire que ce sponsor fait le choix de raconter aujourd’hui : « Le Vendée Globe, à tout prix. »”, écrit Clarisse Crémer, “sous le choc”. La 12e du Vendée Globe, contactée à plusieurs reprises, n’a par ailleurs pas répondu à nos sollicitations, ne souhaitant pas “mettre de l’huile sur le feu.”

A ce stade, il convient de rappeler que la sélection via la course aux milles, indépendante de la qualification elle-même, ne servira que si plus de 40 skippers sont inscrits au 2 octobre 2023, date limite pour être officiellement candidat au Vendée Globe 2024. Si c’est le cas, le nombre de milles parcourus sur les courses des Imoca Globe Series 2021-2024 départagera les candidats. L’organisation se réserve en outre la possibilité d’octroyer une wild card si le nombre de 40 inscrits est dépassé.

L’annonce de Clarisse Crémer provoque aussitôt une levée de boucliers à l’encontre du sponsor, pas prévenu de son initiative, comme le reconnaît Thierry Bouvard, directeur du sponsoring et du mécénat de BPCE : On discute depuis longtemps avec elle, on aurait aimé que l’histoire soit racontée différemment de part et d’autre.” Banque Populaire réagit aussitôt via un communiqué, avant de convoquer une conférence de presse téléphonique en présence de Thierry Bouvard, Laurent Buffard, directeur de la communication de la marque Banque Populaire, et Ronan Lucas, directeur du Team Banque Populaire.

 

La SAEM Vendée sollicitée

 

Pendant une demi-heure, le trio tente d’expliquer sa décision, évoquant d’abord la suppression dans l’avis de course du Vendée Globe 2024, publié en octobre 2021, de la prime aux « finishers » de l’édition précédente. “On avait du coup affrété un bateau [celui de Tanguy Le Turquais, NDLR] dans l’espoir de marquer des milles en début d’année 2022, Clarisse a alors vécu un heureux événement [elle a été remplacée par Nicolas Lunven sur la Guyader Bermudes 1000 Race et la Vendée Arctique, NDLR], a expliqué Ronan Lucas. Aujourd’hui, on est à zéro mille, ceux qui sont juste devant nous ont a minima 2 600 milles et ils ont l’intention de faire les mêmes courses que nous, donc on ne les rattrapera jamais. Le problème, c’est qu’il y en a 42 ou 43 devant nous, ce sont des projets tous lancés, avec un skipper et un bateau, qu’on voit mal tomber à l’eau.”

Un calcul que d’aucuns jugent un peu hâtif, cette grosse quarantaine de projets n’étant à ce jour pas tous complètement financés (voir notre article), tandis que Clarisse Crémer avait encore devant elle six courses pour accumuler des milles, en 2023 et 2024, auxquelles, disposant d’un partenaire et d’un bateau, elle était assurée de participer. Reste que face à cette situation, le team et le sponsor se sont tournés vers la SAEM Vendée, organisatrice du Vendée Globe, pour “trouver des solutions réglementaires”, selon Thierry Bouvard, qui ajoute : “On a aussi essayé d’obtenir une forme de wild card exceptionnelle, on n’a pas été entendu.”

D’où la décision, annoncée à Clarisse Crémer, de la remplacer par un skipper qui devrait être prochainement annoncé. “Si on continue comme ça, on ne pourra très certainement pas faire le Vendée Globe en 2024, on se retrouvera une équipe et un bateau à quai, ça représente des emplois, des investissements”, justifie le directeur du sponsoring et du mécénat de BPCE.

 

“Une décision un peu précipitée”

 

Mise en cause pour son “inflexibilité”, la SAEM Vendée, après avoir réagi dans un communiqué de presse tard jeudi soir, a accepté de nous répondre, ce vendredi, par la voix de son président, Alain Leboeuf. Pour indiquer en préambule que Banque Poulaire “n’a pas dénoncé quoi que ce soit, bien au contraire”, quand la règle supprimant la prime aux finishers a été discutée au sein de la classe Imoca. “Le nombre de milles parcourus n’entrera en vigueur que s’il y a plus de 40 inscrits et qualifiés, rappelle-t-il, ce qui, selon lui, est encore loin d’être fait. Si c’est le cas et que Clarisse Crémer n’est pas dedans, on a aussi prévu la wild card. Ils (Banque Populaire) auraient aimé l’avoir maintenant, mais comment voulez-vous la déclencher à partir du moment où il n’y a à ce jour aucun compétiteur sélectionné ?”

Très surpris de la décision un peu précipitée” de Banque Populaire, Alain Leboeuf se montre cependant ouvert sur cette question de la wild card : “Clarisse Crémer est une femme hautement méritante qui a fait le dernier Vendée Globe, est arrivée première des femmes, 12e au classement général, a battu le record d’Ellen MacArthur, elle coche toutes les cases, mais on ne peut pas prendre une décision aujourd’hui.”

L’affaire, qui a aussitôt provoqué un vif émoi dépassant largement le cadre du sport, avec notamment des réactions de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castera ou de Christelle Morançais, présidente de la région Pays de la Loire, partenaire du Vendée Globe, a été évoquée vendredi matin lors d’une réunion de la classe Imoca, à laquelle participaient de nombreux skippers et équipes. “Ce qui arrive à Clarisse me fait beaucoup de peine, nous a confié de son côté par message Isabelle Joschke, très impliquée sur le sujet de la mixité. Ça se passe aujourd’hui dans la course au large, mais c’est un reflet de notre société dans laquelle les femmes n’ont clairement pas les mêmes droits que les hommes. S’il y a encore des gens qui se demandent pourquoi il y aussi peu de femmes dans des sports comme le nôtre, ils ont sous leurs yeux une des réponses à leur question.”

 

 

Vers un rapprochement ?

 

Anne Combier, qui a accompagné de nombreux projets féminins, juge quant à elle “logique la position du Vendée Globe car on ne peut pas favoriser un skipper plus qu’un autre tant que les inscriptions ne sont pas clôturées. En revanche, il faut rappeler que Clarisse a prévenu tout le monde qu’elle voulait un enfant au printemps 2021, et là, c’est vrai que personne n’a mesuré la situation pour l’adapter au règlement.” Président de la classe, Antoine Mermod prône l’apaisement : “Il faut arriver à sortir de cette situation, donc que les protagonistes arrivent à faire chacun un pas en avant, car aujourd’hui, personne n’est gagnant.”

Les parties tentent de se rapprocher à en croire le président de la Fédération française de voile, Jean-Luc Denéchau, joint vendredi après-midi : “Dès que la polémique a débuté, j’ai immédiatement pris contact avec l’ensemble des parties. Chacun a la volonté de trouver une solution : l’organisateur, qui a conçu le règlement en accord avec la classe et l’a rapidement mis à disposition des skippers, comme Banque Populaire conscient de l’émotion suscitée. Le parcours de Clarisse est fantastique et il ne peut pas se terminer comme ça.” 

Interrogé dans la foulée sur une éventuelle volte-face, Banque Populaire, en cellule de crise, ne nous a pas répondu. Mais pour le groupe bancaire, qui a sans doute sous-estimé l’impact d’une telle décision, les dégâts en termes d’image mettront du temps à être réparés.

Photo : Jérémie Lecaudey / BPCE

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