Clarisse Crémer Imoca L'occitane

Clarisse Crémer : “Je suis un peu rouillée !”

Trois mois après l’annonce de son partenariat avec L’OccitaneClarisse Crémer prendra le 22 juillet le départ du Fastnet, sa toute première course sur l’ex Apivia, racheté à son ancien sponsor, Banque Populaire, qui vient d’être mis à l’eau à Gosport sous ses nouvelles couleurs. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec la navigatrice.

Peux-tu nous raconter ce qu’il s’est passé dans ton projet ces trois derniers mois ?
Nous avons récupéré le bateau pour l’emmener à Gosport [où est basée l’équipe Alex Thomson Racing, qui accompagne le projet, NDLR], où il est rentré en chantier début mai. Il était tout nu, avec tout le matériel dans des boîtes et pas grand monde ici qui avait le mode d’emploi ! Heureusement, on a dans notre équipe Peter Hobson qui connaît très bien les Imoca et n’a pas été très impressionné par l’ampleur de la tâche, mais tu perds forcément un peu de temps à remonter le puzzle et à essayer de comprendre la logique de l’équipe précédente, il a aussi fallu refaire la peinture aux couleurs de L’Occitane, ce qui prend du temps. C’était assez chaud de réussir à être prêt pour le Fastnet, on fait une première sortie technique jeudi matin [ce jeudi 13 juillet, NDLR], la première vraie première navigation aura sans doute lieu mardi prochain, ça nous permettra de valider le fait que le bateau est prêt pour le Fastnet.

Faut-il pour toi absolument être au départ du Fastnet ?
Oui, à un moment donné, il faut que je recommence à courir, j’ai essayé de faire des étapes de The Ocean Race, ça n’a pas été possible, c’est donc hyper important pour moi de m’aligner sur ce Fastnet, notamment pour commencer à comptabiliser des milles. Ça va être notre première grosse navigation, la première de nuit, avec quasiment aucun entraînement avant, on va donc naviguer sur un mode très conservateur, faire en sorte de ne rien casser pour ne pas se mettre dans une situation compliquée pour la suite.

Pourquoi n’as-tu pas réussi à faire une étape de The Ocean Race ?
Pour les raisons que tu imagines, ça n’a pas été possible de naviguer sur Biotherm [marque concurrente de L’Occitane, NDLR]. Sur les autres bateaux, les équipages étaient pour la plupart calés, il y a aussi eu quelques avaries ou abandons qui ont fait que ça n’a pas pu aboutir.

 

“Alan va être mon extension
sur plein de sujets”

 

Alan Roberts serra ton co-skipper pour toute la saison, pourquoi ce choix ?
Je connaissais un peu Alan, parce qu’il a fait pas mal de Figaro en même temps que Tanguy [Le Turquais, son compagnon, NDLR], je pense que c’est quelqu’un avec qui je vais bien m’entendre, un critère de choix qui était sur le dessus de la pile. Il a, en plus, de l’expérience sur pas mal de supports, il a un côté rigoureux, c’est quelqu’un d’ultra-motivé et, cerise sur le gâteau, il est bilingue. Il coche donc pas mal de cases du co-skipper idéal, il n’est d’ailleurs pas seulement un co-skipper dans mon projet, l’idée est qu’il m’accompagne jusqu’au Vendée Globe, qu’il soit ma voix au sein de l’équipe, qu’il m’aide à fixer des objectifs précis à chaque fois qu’on ira sur l’eau… Il va être mon extension sur plein de sujets.

Après tout ce qu’il s’est passé en début d’année (séparation avec Banque Populaire puis arrêt du projet), qu’est-ce que ça fait de redevenir navigatrice ?
J’ai encore du mal à y croire. Entre la grossesse, la maternité, toutes ces histoires, ça fait un an et demi que je n’ai pas fait une vraie grosse navigation en Imoca, ça commence à dater, je suis un peu rouillée ! Il y a un peu tout qui se mélange, de l’impatience, de la joie aussi de voir que c’est enfin vrai après tout le boulot et l’énergie mis ces derniers mois dans ce projet. Jusqu’ici, j’avais toujours eu beaucoup de chance dans mon parcours avec des projets précédents qui m’avaient plutôt été apportés, là, le fait d’avoir dû me battre rend ce retour sur l’eau encore plus savoureux. Il y a aussi un peu d’appréhension parce que ce n’est pas anodin d’aller naviguer sur un tel bateau, même si je me sens vraiment super bien entourée par l’équipe et par Alan en particulier. Et il y a pas mal d’échéances qui arrivent pour, j’espère, me permettre de gravir une marche dans les mois qui viennent.

Tu disais cette semaine dans un post sur les réseaux sociaux que tu avais beaucoup appris de tout ce qui t’est arrivé en début d’année, qu’as-tu appris en particulier ?
Je suis quelqu’un qui n’aime pas du tout le conflit, donc quand c’était le cas, j’avais tendance à m’effacer en pensant que les choses se passeraient mieux, je me suis rendu compte que ça créait des situations finalement assez délétères. J’essaie maintenant d’apprendre à exprimer plus souvent ce que je pense au quotidien, à tout de suite dire non si quelque chose ne me convient pas, sans devenir une princesse non plus. C’est un équilibre à trouver et un boulot de tous les instants quand ce n’est pas dans ton caractère. J’ai aussi appris que j’étais moi aussi capable de créer un projet Imoca de toutes pièces et de prendre plus de responsabilités au sein d’une équipe.

 

“Je ne suis pas complètement
imperméable 
au regard des autres”

 

Tu dis aussi que c’était nouveau pour toi de te rendre compte que tu ne pouvais pas plaire à tout le monde, as-tu perdu une part d’innocence ou d’insouciance avec cette histoire ?
Sûrement, oui, mais c’est aussi à travers des événements de la vie comme ceux-là qu’on grandit et qu’on gagne en maturité. C’est vrai que le fait d’avoir été un peu matraquée par certains jugements m’a parfois conduite à avoir envie de vivre ma vie dans mon coin, qu’on me laisse tranquille, et de ne pas partager certaines choses, comme j’avais l’habitude de le faire. C’est une forme d’insouciance qui disparaît, c’est certain. J’adore la compétition et le fait de découvrir un nouveau bateau, mais j’aime aussi partager les moments de légèreté qu’on vit en mer, de poésie, de contemplation, ça fait partie de l’énergie que je trouve sur l’eau ; si je lâche ça, je n’ai pas les ressources qu’il me faut.

Vu l’impact médiatique qu’a eu ce qui a été appelé “l’affaire Clarisse Crémer”, as-tu peur d’être un peu attendue au tournant sur l’eau ?
La nature humaine fait que tu as forcément envie de prouver à tes détracteurs que tu es capable de bien faire, donc je ne suis pas complètement imperméable au regard des autres, mais j’essaie justement de ne pas trop y penser pour ne pas me laisser envahir par des énergies négatives et ne pas laisser ce stress prendre une place énorme. Je considère aussi que c’est déjà une victoire pour moi de pouvoir m’aligner à partir de maintenant au départ des courses. D’une certaine façon, le fait d’avoir réussi à montrer que c’était possible de revenir m’enlève un peu de pression.

As-tu l’impression que les choses bougent dans le bon sens sur ce sujet de la maternité des navigatrices ?
Une commission diversité a été créée par le Vendée Globe, dont je fais partie avec une vingtaine de personnes, l’objectif est d’évoquer ce genre de sujet par rapport aux futures règles. On n’atteindra jamais une égalité parfaite sur le sujet de la maternité entre femmes et hommes, parce que ça se passe dans notre corps, mais c’est déjà un premier pas d’arriver à dire que ça n’a pas les mêmes conséquences professionnelles pour nous. Ensuite, il faut arriver à faire en sorte que les règles ne créent pas une situation qui devienne inextricable. L’important pour moi, c’est qu’il y ait le moins de décalage possible entre le discours qui consiste à dire que c’est chouette d’avoir plus de femmes dans notre milieu et la réalité que l’on vit dès lors qu’on est confrontées à cette spécificité féminine qu’est la maternité.

Les histoires ne sont évidemment pas comparables, mais « l’affaire Kevin Escoffier » doit-elle également conduire selon toi à des changements de règles ?
Oui, je pense que ça va faire progresser les règles et les mentalités. Je n’ai pas un discours différent des autres, il faut que la justice fasse son travail, en revanche, ce que je trouve important, c’est que la personne à qui ça arrive puisse être écoutée. J’ai entendu certains discours sur le fait que ça abîme une fois de plus l’image de la course au large, que ça crée des histoires… Je trouve que le traitement d’un tel sujet est de notre responsabilité collective, il faut pouvoir adresser les problèmes sans avoir peur pour notre image, et ne pas mettre de pression supplémentaire sur les personnes à qui ça arrive pour des histoires de sponsoring, d’argent ou d’image. Pour moi, ce qui a été mis en lumière dans cette affaire, c’est la quantité de mauvaises pratiques sur un tel sujet. Donc, ce qu’on peut faire collectivement, c’est réfléchir à de meilleures pratiques et à la bonne gestion d’une potentielle victime.

 

Photo : Georgia Schofield

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