On connaît peu ton parcours, comment es-tu arrivée à la course au large ?
J’ai beaucoup navigué en dériveur quand j’étais jeune, un peu partout dans le monde, parce que nous avons surtout habité à l’étranger avec mes parents, notamment au Japon. Ensuite, quand je suis arrivée à l’université pour suivre des études de langues à Cambridge, je me suis dit que j’allais m’inscrire au club de voile pour faire des connaissances – j’y ai d’ailleurs rencontré Ian Walker qui était de la même année que moi -, j’ai été capitaine de l’équipe féminine la dernière de mes trois années, nous avons gagné le championnat national. Ensuite, j’ai travaillé dans la pub pendant quatre ans, au Japon, en Australie et à Paris, puis j’ai décidé d’arrêter et je me suis mise à chercher du boulot dans la voile en traînant sur les pontons. J’ai alors eu la chance d’être embarquée sur de bons bateaux et ensuite, je me suis notamment retrouvée au bout de deux ans sur Royal & SunAlliance sur la tentative de Trophée Jules Verne menée par Tracy Edwards, nous avions démâté aux deux tiers du parcours alors que nous étions en avance sur le temps de référence d’Olivier de Kersauson. C’est à cette période que j’ai rencontré Sam Davies et Emma Richards, avec laquelle j’ai couru la Transat Jacques Vabre en 1999 sur Pindar. C’est vraiment à ce moment que j’ai découvert la course au large en France en équipage réduit, c’est un milieu que je suivais vaguement de loin, mais jamais de ma vie, je n’aurais pu penser y rentrer, mais dès que ça a été le cas, j’y ai pris goût.
Quelle a été la suite ?
J’ai refait la Transat Jacques Vabre en 2001 sur l’ancien Bagages Superior avec Frédérique Brulé, puis j’ai participé en 2002 à la Route du Rhum, ma première course en solitaire [8e en Imoca, NDLR], c’était vraiment magique d’arriver seule de l’autre côté de l’Atlantique. La même année j’ai couru plusieurs étapes de la Volvo Ocean Race, j’ai ensuite renavigué en Imoca avec Mike Golding, Samantha Davies, Dee Caffari, et en 2007, je me suis retrouvée en Class40 avec un propriétaire anglais, c’étaient les débuts de la classe, ça fait douze ans que ça dure, avec plusieurs très belles courses, dont la Route du Rhum 2014 qui reste un très bon souvenir, j’avais terminé 6e. Je me dis que j’ai énormément de chance de faire une carrière dans la voile comme ça.
Ces douze ans de Class40 s’arrêtent cette année, au moins provisoirement, puisque tu te mets à l’Imoca avec un projet de Vendée Globe, pourquoi changer de support ?
Ça fait longtemps que notre sponsor, Campagne de France, nous soutient avec Halvard, et comme nous avons signé pour deux ans supplémentaires, je me suis dit que j’avais envie de finir ce partenariat en beauté. Au début, j’ai dit à Halvard que j’allais tenter le record du tour du monde en solitaire en Class40, il m’a dit que c’était quand même mieux de le faire en course et on a alors parlé du Vendée Globe.
Quand tu as évoqué le sujet auprès de ton partenaire, Campagne de France, ont-ils été d’accord pour te suivre ?
Ils sont évidemment ravis, mais je préfère te passer Halvard pour parler de cette partie-là.
Halvard Mabire prend alors le relais : Ils sont forcément très contents, parce qu’après la Route du Rhum qui a eu un écho médiatique très important, c’est difficile de motiver les sponsors sur des courses ayant moins de retentissement. Un partenaire comme Campagne de France n’a pas forcément les moyens de valoriser sa participation à des courses, donc c’est quand même mieux si on a des événements qui ont une communication qui marche bien. Et ils sont d’autant plus contents que pour l’instant, on est toujours sur notre budget de Class40. En fait, ce projet est une récompense de leur fidélité depuis 2011, maintenant, il faut qu’on trouve des solutions pour augmenter ce budget afin de pouvoir fonctionner correctement, faire des voiles neuves, communiquer… On cherche des partenaires complémentaires ayant des synergies avec Campagne de France, car l’idée n’est pas de partager le nom du bateau. Pour l’instant, on n’est pas encore au vent de la bouée, mais je pense qu’on devrait arriver à entraîner des gens avec nous. Et on ne part pas de rien : on a déjà un budget pour lancer le projet et un bateau qui a été financé par un groupe d’investisseurs, notre participation au Vendée Globe est assurée.
Revenons à Miranda, le Vendée Globe a-t-il fait toujours partie de tes projets ?
J’ai failli y participer une première fois, j’avais une bonne partie du budget pour courir en 2004 sur l’ancien Hexagon, c’est tombé à l’eau pour diverses raisons. Après, je n’y ai plus trop pensé pendant un moment, parce que ça devenait hors de prix et que je m’éclatais vraiment en Class40, qui est une classe géniale. C’est finalement revenu dans les discussions quand on a cherché avec Halvard un projet pour récompenser la fidélité de Campagne de France. Donc ça fait quand même très longtemps que j’en rêve, c’est une course magique, je me souviens notamment de l’arrivée de Roland Jourdain quand il avait fini troisième en 2001. Avec Emma Richards, on avait été à l’arrivée, c’était une image extraordinaire de voir son bateau surgir de l’horizon après avoir bouclé le tour du monde tout seul. Le Vendée Globe n’est sans doute pas agréable à tous les moments, mais c’est une aventure extraordinaire et un défi personnel très fort. Certains prennent peut-être cette course comme un parcours de régate en baie, mais pour moi, c’est le plus grand défi de ma vie.
Peu de femmes ont couru le Vendée Globe, mais une bonne proportion d’Anglaises : Ellen MacArthur, Sam Davies, Dee Caffari, comment l’expliques-tu ?
(Rires). C’est génial, en plus, on a aussi Pip (Hare) qui nous rejoint pour le prochain. Je pense que vous avez beaucoup de chance en France, parce qu’il n’y a pas de barrière dans le milieu de la voile pour les femmes. Il y en a beaucoup plus dans les autres pays, et c’est sans doute pour ça que des femmes, notamment anglaises, viennent sur les courses françaises, c’est aussi lié au fait que les grandes courses au large, à part la Transat anglaise, se passent en France.
Pourquoi avez-vous fait le choix de l’ancien Great American IV de Rich Wilson (plan Owen-Clarke mis à l’eau en 2006 pour Dominique Wavre) et va-t-il évoluer ?
Déjà, il était disponible, ensuite, c’est un bateau sain, très bien construit et plutôt simple, notamment pour rentrer au port, il n’y a ni outriggers ni foils. En fait, je ne me sens pas vraiment dépaysée, il ressemble à un grand Class40, ce qui est quand même un gros avantage car la saison débute très vite par la Bermudes 1000 Race. Après, non, il ne va pas beaucoup évoluer, on fera quelques améliorations, mais pas de foils ! Le but, c’est d’abord de se qualifier.
Se qualifier est évidemment la première marche à franchir, es-tu inquiète sur ce sujet dans la mesure où il y a, à ce jour, plus de candidats que de places ?
C’est clair que ce n’est pas gagné, mais je ne me prends pas la tête avec ça, j’ai beaucoup de choses à faire et à apprendre, je préfère dépenser mon énergie ailleurs que de m’inquiéter à propos de la qualification. Maintenant, je vais faire les courses du programme Imoca cette année, Bermudes 1000 Race en solitaire, Fastnet et Jacques Vabre avec Halvard, si je les finis, ça sera en bonne voie.
Tu dis que tu as beaucoup de choses à apprendre, quelle est justement la grande différence quand on passe d’un Class40 à un Imoca ?
J’ai déjà fait pas mal d’Imoca, donc ça devrait bien se passer, mais les systèmes sont plus nombreux et plus complexes sur un 60 pieds, c’est la grande différence. Et tout est évidemment plus lourd que sur un Class40, physiquement, c’est un cran au-dessus.
Quel objectif te fixes-tu sur le Vendée Globe ?
Je vais attendre de faire une ou deux courses avant de me mettre des objectifs, je viens d’arriver en 60 pieds, il faut déjà que j’apprenne le bateau. Pour l’instant, on a surtout passé du temps à bricoler sur le bateau, chaque chose en son temps.