Flotte Imoca The Ocean Race

The Ocean Race : les enseignements d’une troisième étape XXL

Marquée par la victoire de Team Malizia devant Team Holcim-PRB, la troisième étape de The Ocean Race a donné lieu à une régate à rebondissements de plus de 35 jours. Le météorologue Christian Dumard, les skippers Charlie Dalin et Thomas Ruyant, les architecte et ingénieur Quentin Lucet (VPLP Design) et Hervé Penfornis (collaborateur de Guillaume Verdier), Antoine Mermod, président de l’Imoca, ainsi que le copropriétaire de la course, Johan Salén, dressent pour Tip & Shaft un premier bilan.

Avec un océan Indien et un Pacifique traversé d’une traite, le Sud n’avait jamais été aussi grand que lors de cette Ocean Race, première édition depuis 1973 à proposer aux équipages un demi-tour du monde en une seule étape (12 750 milles quand le Vendée Globe en compte 24 365). Une étape XXL donc, capitale sur le plan sportif puisqu’elle distribuait deux fois cinq points, au passage de la scoring gate de Tasmanie puis à l’arrivée. Et qui sonnait aussi comme l’heure de vérité pour les nouveaux Imoca : “Tout le monde l’appréhendait, reconnaît Hervé Penfornis. On imaginait des escales en Australie ou en Nouvelle-ZélandeMais mis à part Guyot, les bateaux se sont montrés globalement solides et au final, ça finit dans un mouchoir entre les deux premiers. C’est super !”

Une satisfaction que partage Johan Salén : “Au départ de Cape Town, nous avions de l’incertitude plus que de l’inquiétude, mais c’est vrai que nous avions positionné la porte de Nouvelle-Zélande assez ouest pour qu’un bateau puisse prendre ses points et faire éventuellement escale ensuite.” Cette précaution n’a pas été nécessaire, même si aucun participant n’a été épargné par les avaries : déchirure du mât sur Malizia-Seaexplorer, avarie sur les deux safrans et grand-voile déchirée à bord de 11th Hour Racing Team, problème de pilote chez Holcim-PRB, choc avec un Ofni pour Biotherm

Tous ont pu réparer, ce qui fait dire à Charlie Dalin : “Ils tirent plus, ils cassent plus, mais ils réparent beaucoup plus vite ! Changer une latte en solitaire, c’est quasiment une journée avec la fatigue qui s’ensuit. En équipage, ce sont quelques heures, à peine visibles sur la carto.”

 

Le jeu de l’élastique

 

Le seul abandon de cette étape est pour Guyot Environnement-Team Europe, victime d’importants dommages sur le fond de coque au quatrième jour. Une avarie pas très surprenante aux dires des architectes pour ce plan VPLP-Verdier mis à l’eau en 2015, antérieurement à l’adoption de la règle Imoca qui bannit aujourd’hui le nid d’abeille dans cette zone. “Toutes les préconisations de renforcements n’ont pas été suivies à l’époque de 11th Hour [précédent propriétaire du bateau, ex Hugo Boss, NDLR], et à la vente, la consigne a dû se perdre en route”, estime Quentin LucetEt Hervé Penfornis d’ajouter : Tous les Imoca de génération 2016 qui optent pour de grands foils sont en sursis s’ils ne remplacent pas le nomex par de la mousse. C’est l’histoire d’une centaine de kilos, ce qui n’est pas très pénalisant pour un bateau volant.”

Partie le 26 février de Cape Town après un parcours côtier mémorable dans des claques à 40 nœuds, cette étape a connu “des moments musclés mais jamais de conditions conduisant à des impasses”, selon Christian Dumard, météorologue pour l’organisation. L’entame a permis à Holcim-PRB de se détacher rapidement, au point de compter jusqu’à 600 mille d’avance pour finalement être rattrapé par ses concurrents.

“Ils ont buté dans un système, mais ils ont probablement aussi géré leur course et pris les points à mi-parcours, conscients que la compétition ne s’arrêtait pas à Itajaí”, estime Charlie Dalin. “S’ils avaient poussé plus, ils seraient rentrés dans des conditions très dures, donc ils ont temporisé intelligemment, renchérit Dumard. Quitte à vivre une sorte de nouveau départ à quatre bateaux au sud de la Nouvelle-Zélande. Ce jeu de l’élastique fait dire à Thomas Ruyant : “Sur une transat, quand tu as 40 milles d’avance, tu es content. Dans le Sud, tu joues avec de la macro météo. Parfois, des centaines de milles ne suffisent pas.” 

 

Malizia impressionne

 

Du match il y en eut donc, ce qui a permis un vrai comparatif entre les bateaux. Au portant dans la brise, tous nos experts s‘accordent à dire que Malizia-Seaexplorer, conçu clairement dans cette optique, détient un avantage : Tous les choix qui ont été faits en vue du Sud fonctionnent, se réjouit Quentin Lucet. La répartition des volumes sur la carène donne une capacité à cabrer avec un bel équilibre dans les fortes houles.” 

Ce comportement dynamique “très sain”, aux dires de l’architecteest attesté par les images de drone du bateau surfant la houle, en appui sur ses deux foils, ce qui semble être une nouvelle pratique en Imoca. “Et ils ont quand même fait 12 000 milles loin de tout avec un pansement sur le mât improvisé en mer, c’était culotté !”, salue Hervé Penfornis.

En tête au cap Horn avant de l’emporter à la faveur d’un dernier épisode de vent violent au large de l’Argentine, Malizia-Seaexplorer a été moins souverain aux allures plus calmes et lofées. Ce qui fait dire à Charlie Dalin qu’Holcim-PRB “reste le bateau le plus polyvalent de la flotte. Le plan Verdier de Kevin Escoffier revient en Atlantique avec le nouveau record des 24 heures en poche : 595 milles, soit 56 de mieux que le précédent ! Une performance qui a marqué les esprits, au point que la barrière symbolique des 600 milles semble désormais accessible. “Et pourquoi pas les 618 milles de Comanche [record absolu en monocoque, NDLR], réalisé sur une transat retour avec l’aide du Gulf Stream ?” s’interroge Christian Dumard.

Si 11th Hour Racing Team et Biotherm, troisième et quatrième de l’étape, sont finalement arrivés trois jours après les deux premiers, ils sont restés au contact quasiment jusqu’au cap Horn, ce qui fait dire à Johan Salén : “Le vainqueur du dernier Vendée Globe a navigué à 65 % du potentiel du bateau. Là, ils sont toujours entre 90 et 100% des polaires, donc les écarts sont faibles. La jeunesse de Biotherm, dernier concurrent mis à l’eau (septembre 2022), et son avarie de foil le conduisent “logiquement” à fermer la marche, la performance de 11th Hour Racing Team“qui a tout misé sur The Ocean Race depuis deux ans“, souligne Christian Dumard, interroge.

Seul absent de la Route du Rhum, le plan Verdier manquait-il de confrontation au départ de The Ocean Race ? Pour Hervé Penfornis, “le potentiel est vraiment très proche de celui d’Holcim-PRBça se joue sur l’équipage et la capacité à conserver le bateau intègre Charlie Dalin, qui a beaucoup côtoyé l’équipe américaine au sein de MerConcept, reconnaît également qu’il les attendait “un peu au-dessus, même s’ils sont encore capables de belles choses.”

 

Encore quatre étapes
et déjà des vocations…

 

A Itajai, une nouvelle course vient de commencer à Itajai, celle des job-lists. L’équipe Biotherm a déjà annoncé que “les 200 lignes” de la sienne ne pourraient pas être toutes rayées d’ici le 23 avril, date du départ vers Newport. Le mât de Malizia-Seaexplorer va être réparé en interne, sur prescription du fabricant, Lorima, et tous les espars sont passés aux ultrasons car on considère qu’il s’agit du point le plus sensible, explique sur place Antoine Mermod. C’est une préconisation de la classe. Les équipes choisissent ensuite de faire inspecter ou non les carènes et appendices.”

Au classement général, Holcim-PRB, crédité de 19 points, en compte désormais 5 d’avance sur Malizia-Seaexplorer, qui a ravi la deuxième place à 11th Hour Racing d’un point. A noter qu’il reste 25 points à distribuer sur quatre étapes, la cinquième entre Newport et Aarhus comptant double.

Derrière ces aspects comptables, tous s’accordent pour dire que The Ocean Race a gagné son premier pari de ramener une flotte au complet en Atlantique pour cette première en Imoca. Conforme à sa légende, la course a mis en valeur la résilience des équipages. “Certaines avaries n’auraient pas pu être résolues en solitaire, mais surtout, les équipages ont visiblement pris du plaisir. Ce côté humain est la plus belle surprise“, se réjouit Johan Salén. Une étape qui a fait des envieux, si l’on en croit les mots de Thomas Ruyant : “Lorsque je regardais les vidéos, j’avais envie d’être avec eux ! Je reste profondément attaché au solitaire, mais je n’exclus pas la prochaine. Ils ont montré que le format fonctionne, et même si c’est un peu tôt, on va étudier ça.”

Photo : Sailing Energy

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