Charles Caudrelier vainqueur Route du Rhum

Ce qu’il faut retenir de la victoire de Charles Caudrelier

Charles Caudrelier a remporté mercredi en Ultim la 12e édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe devant François Gabart et Thomas Coville. Aidé par plusieurs experts – les marins Pascal Bidégorry et Franck Cammas, le directeur de course de la Finistère Atlantique (entre autres) Gildas Morvan, Christian Le Pape, ancien directeur du pôle Finistère course au large de Port-la-Forêt, et Pierre-Marie Bourguinat, journaliste qui suit les Ultims pour l’organisation -, Tip & Shaft, vous propose un décryptage de ce succès annoncé.

 

Un bon casting

 

Février 2019. Trois mois après l’abandon de Sébastien Josse sur la Route du Rhum 2018 (avarie de flotteur), ce dernier est remercié par le Gitana Team. “On était persuadés d’avoir la machine pour faire de belles choses, mais on n’arrivait pas à concrétiser comme on le voulait, rappelle aujourd’hui le directeur général Cyril Dardashti à Tip & ShaftC’était un projet hyper innovant, hyper audacieux, je pense qu’à un moment, Sébastien a commencé à douter, et quand tu doutes, tu n’es plus en mesure de faire les choses correctement. Le fait d’avoir insufflé une énergie nouvelle nous a fait repartir dans une dynamique qui a abouti à ce qu’on voit aujourd’hui.”

Le Gitana Team mise alors sur deux skippers au lieu d’un, avec l’attelage Franck Cammas/Charles Caudrelier qui, selon Pascal Bidégorry, est “arrivé à un moment où le bateau commençait à être mûr, il ne faut pas oublier tout le travail qu’a fait Sébastien avant.” “Même si le storytelling nous racontait que c’étaient des copains qui s’entendaient très bien, c’était prendre le risque de créer un conflit d’egos entre euxnote Pierre-Marie Bourguinat. Manifestement, ça ne s’est pas passé comme ça, et ils se sont vraiment tirés vers le haut. C’est la marque d’un team très fort, qui n’a jamais été lié exclusivement à un seul skipper, comme peuvent l’être d’autres teams.”

Ce que Franck Cammas confirme : “C’est une équipe très guidée, comme en Formule 1, par le manager et le sponsor, moins par les skippers qui sont plus des pilotes. D’ailleurs, le manager reste et les skippers s’en vont par moments… mais ça fonctionne quand on voit les résultats.” Charles Caudrelier ne disait pas autre chose à l’arrivée, se considérant lui-même comme le pilote d’une machine lancée en 2017 et mise au point par un team qui, en vitesse de croisière, est composée de 20 permanents.

 

Un timing maîtrisé

 

“Dans leur manière de préparer cette Route du Rhum, tout a été bien timé, observe Gildas Morvanc’est un sans-faute. Charles a bouffé du mille en équipage, en double avec Franck, puis en solitaire, ils lui ont laissé le temps de mettre le bateau à sa main, ils ont aussi tapé dans la gamelle pour le fiabiliser, tout en ne cessant jamais de travailler dessus pour l’améliorer, c’est vraiment propre.” Franck Cammas ajoute : “On a eu le temps de pousser les réflexions plus loin car ils ont eu une vision très tôt de partir dans cette voie du bateau volant, donc l’analyse est plus mature que pour les teams qui sont arrivés plus tard dans ce concept du vol au large.”

Ces réflexions ont même conduit à doter le Maxi Edmond de Rothschild de nouveaux foils l’été dernier, quelques mois seulement avant le départ de la Route du Rhum. “J’avoue que j’ai été un peu surpris du timing, mais c’est la preuve qu’ils avaient une telle connaissance du bateau qu’ils savaient que ce changement ne pouvait pas être un risque technique et qu’à l’inverse, il y avait un vrai bénéfice à en tirer”, analyse Pierre-Marie Bourguinat.

A l’arrivée, le plan Guillaume Verdier est resté sur cette traversée un cran au-dessus des derniers Ultims construits, SVR LazartigueBanque Populaire XI (même si la comparaison s’est vite arrêtée) et Sodebo Ultim 3“Je pense que le bateau de François a le potentiel pour aller un peu plus vite, mais dans la globalité, ça ne s’est pas vu, constate Pascal Bidégorry. Gitana a été assez insolent : il veut naviguer vite, il navigue vite, il veut naviguer haut, il navigue haut, il veut naviguer bas, il navigue bas, on a l’impression que tout est facile.”

 

Un skipper à maturité

 

Une bonne équipe, un bon bateau, reste le troisième ingrédient, un bon pilote, ce qu’a été, selon nos experts, Charles Caudrelier. “Il n’a quasiment fait aucune erreur, il a pris la course à son compte dès le début, il y est allé à fond, comme sur une étape de Figaro. C’est l’accomplissement d’un grand talent et d’un marin hyper mature”, commente Pierre-Marie Bourguinat. Et un marin qui, sans faire de bruit, possède un des plus beaux palmarès de la voile française, avec notamment une Solitaire du Figaro, trois Transat Jacques Vabre, deux Volvo Ocean Race et une Route du Rhum !

“Il n’est pas loin de Franck (Cammas), admire Christian Le Pape qui, lorsqu’il a accueilli le jeune Charles il y a plus de vingt ans du côté de Port-la-Forêt, n’aurait pas forcément imaginé une telle trajectoire. “Il y a ceux que j’appellerais les étoiles filantes qui ont une maturité exceptionnelle à 20 ans, Franck, François Gabart, Armel (Le Cléac’h), Tom Laperche, et ceux qui n’ont pas quelque chose d’exceptionnel au départ, mais progressent à force de travail. Charles fait partie de cette famille, c’est un besogneux et un méritant au sens noble, je l’aurais bien vu en croisé moyenâgeux, il a eu un chemin un peu sacré qui l’a mené jusqu’à la victoire.”

Ce côté laborieux est également mis en avant par Pascal Bidégorry : “Charles a besoin de savoir qu’il a travaillé pour avoir la légitimité de gagner. Il avait cette Route du Rhum dans un coin de la tête depuis longtemps et il a bossé comme un fou pour se donner les moyens de s’imposer. Avant le départ, j’ai trouvé un mec apaisé, bien dans sa tronche et dans ses pompes, cet état d’esprit, ça n’a pas toujours été évident chez Charles.”

Ce qui ne l’a pas empêché, aux dires de Franck Cammas, de se poser une multitude de questions. Charles n’aime pas avoir de doutes, c’est une obsession chez lui, ça va même plus loin que chez moi ! Quelques semaines avant le départ, il était encore à se questionner sur une dernière modification sur un foil, il a fallu lui dire qu’on ne toucherait plus à rien ! Et en mer, c’est pire qu’à terre ! J’exagère à peine, mais quand il avait 100 milles d’avance sur François et qu’il en perdait 3, ça pouvait être un drame. Au point qu’à certains moments, on s’est dit qu’il faudrait qu’il n’y ait plus d’AIS dans le monde, car il fallait le sortir de ce contrôle, je pense qu’il connaît mieux les vitesses qu’a eues François que François lui-même !”

L’Aixois s’est cependant montré assez impressionné par la capacité de Charles Caudrelier à être “pied au plancher du début à la fin, il n’a jamais rechigné à changer la toile, à empanner et virer.” Pierre-Marie Bourguinat ajoute : “Yann Riou, le mediaman de l’équipe qui l’avait suivi sur les 24h Ultim en octobre, me disait qu’il avait été stupéfait par sa qualité de manœuvres. Quand tu sais qu’il y a eu plus de 30 virements et empannages sur la course, si à chaque fois, tu mets 5 minutes de moins que le petit copain, à 25 nœuds de moyenne sur la route, ça fait des milles…”

 

Et maintenant ?

 

La saison est encore loin d’être finie pour Charles Caudrelier, puisque le Maxi Edmond de Rothschild s’attaquera cet hiver au Trophée Jules Verne, propriété depuis 2017 d’Idec Sport (40 jours 23 heures), avec, selon Cyril Dardashti, le même équipage que lors de la tentative avortée début 2021 (Charles Caudrelier, Franck Cammas, Erwan Israel, Morgan Lagravière, David Boileau, Yann Riou) et un stand-by prévu “juste avant Noël.” Le sommet de la saison 2023 sera l’Arkea Ultim Challenge Brest, première course autour du monde en solitaire en Ultim, tandis que Cyril Dardashti confirme qu’un nouveau bateau est dans les tuyaux, toujours avec Guillaume Verdier.

“On a été précurseurs dans le vol au large, mais il y a des domaines dans lesquels on n’a pas encore étéSans que ce soit critique, ce qu’on voit chez nos concurrents est très inspiré de notre bateau, je ne suis pas impressionné. Nous, on continuera à casser les codes, c’est dans l’ADN même du projet.” Dans quels domaines ? “Je préfère rester discret à ce stade”, sourit le directeur général. Qui ajoute, à propos du timing : “Dans l’idéal, on aimerait être à l’eau pour la Jacques Vabre 2025, mais c’est beaucoup trop tôt pour s’avancer.” Cette annonce fait dire à Gildas Morvan : “Ils n’ont pas fini une étape qu’ils ont déjà le pied sur autre chose, ça joue propre et bien.”

Photo : Alexis Courcoux

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