France SailGP team

Quentin Delapierre : décryptage d’une trajectoire fulgurante

En tenant la dragée haute aux meilleurs équipages anglo-saxons, Quentin Delapierre aura marqué cette saison 3 du circuit SailGP. A 31 ans seulement, le Vannetais a conquis ses galons au sein de l’élite de la voile internationale, qu’il retrouvera en 2024 comme barreur de l’AC75 français d’Orient Express Team pour la Coupe de l’America. Décryptage du phénomène, à la veille de l’étape finale de San Francisco ce week-end, avec Bruno Dubois, team manager de SailGP France, Guillaume Chiellino, directeur technique national de la FF Voile, les navigateurs Manon AudinetMatthieu Salomon et Thomas Coville, l’entraîneur Thierry Douillard ainsi que le journaliste Christophe Favreau.

Avant de pouvoir mettre la pression sur les Australiens et les Néo-Zélandais, assurés – ou presque – de leur place en Super Finale de SailGP qui réunit les trois premières équipes au classement général de la saison 3, c’est bien la France qui sera sur la sellette samedi. Troisième avant le dernier acte, avec un petit point d’avance sur son idole Ben Ainslie, Quentin Delapierre est condamné à faire mieux que les Britanniques s’il veut participer à la Super Finale de dimanche, au départ de laquelle les compteurs sont remis à zéro.

C’est un moment spécial dans une carrière. Tu ne joues pas ces monstres-là tous les jours !” reconnaissait mardi le barreur du F50 tricolore, conscient de l’enjeu sportif, auquel SailGP ajoute un prize money d’un million de dollars. “Le plus difficile sera de rester sur le podium samedi et de tenir la pression que tout le monde nous metconfesse Bruno Dubois. Pas seulement les Anglais, mais les bookmakers, SailGP, les médias, les sponsors, et nous-mêmes.”

Le manager de l’équipe française sait néanmoins que son pari de remplacer Billy Besson par Quentin Delapierre au beau milieu de la saison 2 pour mieux attaquer la troisième est déjà gagné. Accueilli à Cadix en octobre 2021, le Vannetais, qui n’avait pas encore fêté ses trente bougies, remporte sa première manche huit mois plus tard à Chicago. La première finale au Danemark arrive en août de la même année, puis il décroche le record absolu de vitesse à Saint-Tropez en septembre avec 53,96 nœuds – une performance qui vaut à l’équipe son surnom de “Barbares de brise”.

 

Contrat rempli
mais grosse pression

 

La première victoire sur un Grand Prix arrive à Cadix, pile un an après la nomination de Delapierre ; un exploit que l’équipe de France réédite à Sydney trois mois plus tard avec trois victoires sur les trois manches courues et, à la clef, une troisième place au général. Delapierre est très respecté par les cadors du circuit, par son aisance sur les départs et sa vitesse notamment dans la brise, constate Christophe Favreau, qui suit le circuit pour Voiles et VoiliersIl y a un an, c’était le petit Français qui débarquait. Aujourd’hui, il appartient à ce monde-là.”

Quentin Delapierre n’a pas attendu SailGP pour faire une entrée fracassante dans de nombreuses séries. En 2014, aux côtés de Kevin Peponnet déjà – aujourd’hui régleur d’aile sur le F50 français -, il s’inscrit à l’Européen de J80 qu’il remporte devant tous les tauliers du circuit. Pour le premier Tour de France à la voile en Diam 24, en 2015, il court le classement amateur et finit quatrième au scratch (sur 22), dans une épreuve où se sont donné rendez-vous les plus grands talents du multicoque français. “On avait les dents tellement longues qu’on n’avait pas de mentor. On voulait tous les bouffer ! se souvient Matthieu Salomon, l’alter ego de Quentin depuis leurs premiers bords à la Cataschool de Larmor Baden jusqu’en 2018.

Le brillant essai est transformé l’année suivante avec une première victoire sur le Tour Voile, suivie d’une seconde en 2018. “Quentin a aussi fait du match racing, du Laser, avec toujours pas mal de réussite dans ses projets“, constate Guillaume Chiellino, directeur de l’équipe de France de 2013 à 2021.

A l’époque, la série des Nacra 17 est archi-dominée par Billy Besson et Marie Riou, quadruples champions du monde, qui se destinent logiquement à courir leur seconde olympiade après l’échec de Rio en 2016 (6e place, Billy Besson était blessé au dos). Qu’importe : Delapierre rêve d’olympisme, il est contacté par Manon Audinet moins de deux ans avant l’événement et plonge. “Je n’ai appelé personne d’autre, assure ManonJe savais que c’était un acharné de travail et il fallait quelqu’un capable de courir un sprint. Il avait le profil du mec prêt à tout et ça m’allait bien !” Vainqueurs du test event d’Enoshima sur le plan d’eau des Jeux en 2019, tenant en respect Besson-Riou au Mondial suivant, puis deuxièmes à l’Européen en 2020, Delapierre et Audinet obtiennent crânement leur ticket pour le Japon.

 

Une certaine vision
du haut niveau

 

La huitième place obtenue au Japon n’est pas à la hauteur des espoirs. Pour autant, ces Jeux sont un véritable tournant dans la vie de Quentin Delapierre car ils résultent d’un choix cornélien. Après sa deuxième victoire dans le Tour Voile en 2018, son partenaire Lorina lui avait en effet proposé de devenir skipper d’un Multi50. Il avait tout sur la table : le sponsor, le chantier, l’architecte, se souvient Bruno Dubois, avec qui il échange déjà.

L’occasion rêvée de basculer vers la course au large, “de mener avec ses copains de toujours, les Salomon, Peponnet, Ponroy, un projet d’équipe, une notion à laquelle Quentin est viscéralement attaché”, ajoute Thomas Coville avec qui il a sympathisé lors des stages de Diam 24 de l’ENV et qui l’accueille volontiers sur Sodebo aux côtés d’autres futurs membres de SailGP (Matthieu Vandame et François Morvan, notamment).

Mais Quentin Delapierre est attiré par les grandes épreuves internationales. Son but de toujours, c’est de gagner la Coupe, pas d’être champion chez lui, assure Matthieu Salomon. Il sait par où il doit passer pour atteindre son objectif.” Et quel meilleur chemin que la voile olympique pour la Coupe de l’America ?

La course au large peut attendre. Delapierre décline l’offre de Lorina, préférant partir sur les traces de son père, longtemps planchiste de haut niveau, et se lance donc dans une hypothétique préparation olympique. Une décision engagée et assez remarquable pour quelqu’un qui vit en Bretagne”, commente Bruno Dubois, qui assure “n’avoir pas fait de short list” au moment de remplacer Besson en septembre 2021 à la barre du F50 français : Quentin s’est imposé naturellement.”

 

Leader-né
et bourreau de travail

 

Propulsé à la barre d’un catamaran extrême dont il ne connaît rien, Delapierre est attendu au tournant mais sait trouver les mots pour embarquer son monde : “L’équipe était comme épuisée par son manque de performances. Mon rôle est d’insuffler de l’énergie, dit-il dans une de ses premières interviews. Déjà reconnu pour son leadership, Delapierre développe une méthode qui lui a toujours réussi : engagement et cohésion du groupe.

“Il a une énorme exigence envers lui-même et il faut être capable de suivre son niveau d’implication, rappelle Matthieu Salomon. Ce que confirme Manon Audinet : “C’est un type très fort dans ce qu’il fait et qui reste abordable, donc il te fait nécessairement rêver.” Et d’ajouter : “N’empêche, il faut avoir la tête bien accrochée parce que tu peux en prendre plein la tronche ! Mais ce n’est jamais personnel, c’est toujours tourné vers la perf.” S’il ne bouleverse pas l’équipage du F50 et capitalise plutôt sur les acquis, il profite du départ du régleur d’aile Leigh McMillan pour imposer Kevin Peponnet à ce poste clé. La complicité du tandem fait merveille et après quelques ajustements, les résultats arrivent pendant la saison 3.

Moins réputé que Besson pour son talent inné de barreur, Delapierre “sent très bien le F50” selon Thierry Douillard, l’entraîneur de l’équipe. “Il est capable de bien intégrer le côté technologique, de mettre de manière très précise un chiffre sur ses sensations, c’est ça qui fait la grosse différence.” Souvent comparé à Franck Cammas de ce point de vue, il fait, selon Thomas Coville, la synthèse des qualités techniques et athlétiques qu’exigent les bateaux volants aujourd’hui. Je n‘ai pas souvenir chez les régatiers français d’un profil aussi complet.”

“Finalement, sa seule faiblesse est de n’avoir encore jamais remporté d’événement majeur, conclut Guillaume Chiellino. Mais c’est aussi une force. Il n’a pas encore la pression du grand public, il est en chemin.” Bilan d’étape ce week-end, à San Francisco.

Photo : Ricardo Pinto for SailGP

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