SVR Lazartigue en navigation

François Gabart : “SVR Lazartigue a un énorme potentiel de développement”

Un peu plus d’un mois après la mise à l’eau de son nouvel Ultim SVR Lazartigue à Concarneau, François Gabart fait le point sur les premières navigations à bord d’un trimaran sur lequel l’accent a été notamment mis sur l’aérodynamisme.

Depuis la mise à l’eau de SVR Lazartigue, combien de temps avez-vous pu naviguer et dans quelles conditions ?
On a fait six navigations, soit un total de quasiment 2 000 milles, dont deux avec deux nuits en mer. La seconde, on a dû avoir 25-30 nœuds pendant une heure avec de la houle d’environ 3 mètres, sinon, la grosse majorité du temps, c’était entre 10 et 25 nœuds. La difficulté quand on découvre un tel bateau, c’est qu’il faut monter en charge progressivement, mais quand même le tester. D’autant que d’un point de vue purement contractuel, la vente [de Macif au groupe Kresk, NDLR], effective depuis aujourd’hui [l’entretien a eu lieu mercredi, NDLR], ne pouvait être validée qu’après cette période de tests. Pour des histoires d’assurance, on a d’ailleurs navigué dans un périmètre restreint et on ne pouvait pas aller dans 50 nœuds de vent. Mais c’était assez adapté pour découvrir le bateau et s’il y a des pièces qui devaient casser parce qu’elles étaient mal dessinées, conçues ou construites, il fallait que ce soit là. On a eu des petites casses de rien du tout, mais aucun problème majeur, ce qui est toujours rassurant, parce que quand on met un nouveau bateau à l’eau, on n’est jamais sûr à 200%. Après, ça ne veut pas dire qu’on n’aura jamais de problèmes, il reste beaucoup de travail pour fiabiliser à long terme le bateau.

Avec qui as-tu navigué ?
Tom (Laperche) a fait quasiment toutes les navigations, il y a bien sûr eu l’équipe technique, les architectes et le voilier, mais aussi des personnes extérieures, comme Pascal Bidégorry, historiquement très proche du projet, et une partie de l’équipe de 11th Hour Racing, dont Charlie Enright et Mark Towill.

Quelles ont été tes premières impressions ?
Ce bateau a un potentiel extraordinaire, mais il y a énormément de travail pour en tirer parti, pour trouver les réglages et tout fiabiliser. Je discutais cette semaine avec Nicolas Goyard, le champion du monde d’iQFoil : quand on voit les écarts de performances, de l’ordre de 10 à 15%, qu’ils arrivent à générer par rapport à leurs concurrents sur une classe monotype relativement simple, avec des capacités à trouver des réglages aux différences assez faibles, c’est énorme. Alors imagine ce que ça peut donner sur nos bateaux qui sont des prototypes extrêmement complexes – je ne pourrais pas te dire le nombre de combinaisons de réglages qui existent entre les différentes configurations de voiles et tous les systèmes embarqués… Tout ça pour dire qu’il y a un énorme potentiel de développement, j’avoue que le challenge est très excitant, je retrouve des sensations proches de celles que j’ai connues à mes débuts en course au large ou lors de mes premières navigations sur M100 (l’ancien Macif) en 2015.

“On a dû faire 44,9 nœuds
dans moins de 15 nœuds de vent”

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué lors de ce premier mois de navigation ?
Deux choses : déjà la surface des appendices qui fait que le bateau a non seulement une capacité à voler assez vite, mais qui lui permet aussi, quand il y a de la mer, d’être comme sur des amortisseurs. Cette capacité des foils, des safrans et de la dérive à amortir le bateau dans de la mer difficile, même au près, est assez bluffante et encourageante, car l’état de la mer reste aujourd’hui un gros dossier bloquant pour la performance de ces bateaux. Le deuxième point, c’est l’aéro, sur lequel on a beaucoup travaillé : on sent bien que quand le bateau est bien calé en assiette, que ce soit longitudinalement ou latéralement, il accélère très fort, d’autant plus au près, dès qu’on a des angles de vent apparent très faibles et des forces de vent apparent très fortes. Par contre, dès qu’il se met de travers, qu’on arrive à des angles de gîte ou de « trim » (longitudinalement) assez forts, on sent tout de suite le frein et la perte en RM (le moment de redressement, qui traduit la puissance). Ça, c’est une différence notable par rapport à M100. Du coup, ça implique pas mal d’exigence en termes de réglages, le bateau est probablement moins facile, il faut bien régler l’assiette pour aller très vite.

Tu parles de vitesse, peux-tu nous donner quelques chiffres ?
On atteint très rapidement plus de 30 nœuds et assez facilement entre 35 et 40, y compris dans de la mer, alors qu’il y a des choses qui ne sont pas encore opérationnelles à bord. Si on parle de vitesse de pointe, on a dû faire 44,9 nœuds dans moins de 15 nœuds de vent sur mer plate, ce sont des machines à créer de la vitesse fabuleuses. Mais ce qui est surtout intéressant, c’est la capacité du bateau à garder une bonne vitesse dans de la mer, ce qui reste l’objectif de ces bateaux.

Y compris au près ?
Au près – et quand on parle de près sur un Ultim, on n’est évidemment pas à 35 degrés du vent réel, mais plutôt à 55-60 –, on arrive facilement à tenir des moyennes à plus de 30 nœuds dans 14-15 nœuds de vent, et à monter à 35-38 nœuds dès qu’on tire un peu la barre. On a déjà réussi à aller à plus de 40 nœuds à 75-90 degrés du vent, et ça, sur M100, il fallait s’accrocher pour le faire. C’est un truc assez nouveau et c’est très intéressant, parce que ça ouvre le champ des possibles d’un point de vue tactique et stratégique.

“Tom a une expérience et
des compétences fabuleuses pour son âge”

Quel est le programme des prochaines navigations ?
On va repartir sur un bloc d’environ un mois jusqu’à début octobre, avec des entraînements avec Actual en début de semaine prochaine, un stage au pôle Finistère course au large qui va nous permettre de naviguer avec les autres bateaux de notre classe, on va aussi essayer d’aller chercher des conditions difficiles pour accumuler des milles et répondre aux problématiques de fiabilité, afin de cocher le maximum de cases avant la Transat Jacques Vabre. On va continuer à faire venir du monde de l’extérieur pour progresser – je pense notamment à Jimmy Spithill, qui était déjà venu sur M100 et avec qui j’échange pas mal depuis le début de l’année.

Un mot sur Tom Laperche : a-t-il vite pris la mesure du bateau, sachant que l’Ultim est un support nouveau pour lui ?
Je ne vais pas lui envoyer trop d’éloges pour ne pas le faire rougir, mais je trouve qu’il a déjà, pour son âge, une expérience et des compétences assez fabuleuses, mais aussi une capacité dingue à apprendre et à s’adapter. Il a tout de suite les bons gestes, les bons repères ; pour avoir vu pas mal de gens naviguer, ce n’est pas si simple que ça, parce que ce sont quand même des bateaux assez particuliers. Un bon feeling et de la confiance se sont d’entrée installés entre nous, c’est vraiment quelqu’un qui, malgré sa relative inexpérience, va beaucoup nous apporter.

Le choix de Tom, était-ce une façon de préparer une relève ?
Pas directement, mais j’ai eu la chance de mon côté d’apprendre énormément de marins plus expérimentés que moi, je pense bien évidemment à Mich’ (Desjoyeaux), mais aussi à Kito (de Pavant), Pascal (Bidégorry), Antoine Koch et d’autres, il y a donc une forme de sens dans ça : j’ai l’impression qu’à mon tour, je peux redonner. Je suis content et assez fier de pouvoir transmettre et faire progresser des marins plus jeunes, comme Tom. Ce n’est pas complètement altruiste non plus, je sens que je peux aussi apprendre de lui !

Gitana est le favori de la Jacques Vabre”

Il y a six ans, tu avais gagné la Transat Jacques Vabre moins de trois mois après la mise à l’eau de Macif, l’objectif sera le même pour l’édition 2021 ?
On n’est pas favoris, parce qu’on n’aura pas encore toutes les manettes et qu’il y aura des bateaux très fiabilisés et entraînés face à nous. Malgré tout, quand je vois le potentiel du bateau, je me dis que si on arrive à faire l’ensemble de la course sans problèmes techniques majeurs, il n’y a pas de raison qu’on ne joue pas les premières places. Mais un des objectifs principaux sera de progresser, si on a la chance d’arriver en Martinique, on sera sans doute le bateau qui aura le plus progressé pendant la course.

Si vous n’êtes pas favoris, qui l’est ?
D’un point de vue très objectif, Gitana (le Maxi Edmond de Rothschild) est clairement le bateau le plus fiabilisé : il est bien utilisé, Franck (Cammas) et Charles (Caudrelier) connaissent bien les réglages, ils ont très largement dominé le Fastnet, ils sont un peu devant.

Peux-tu, pour finir, nous parler des projets en cours chez MerConcept ?
On a mis à l’eau le nouvel Imoca 11th Hour Racing il y a quelques jours, sur lequel on a participé à la conception en collaboration avec Guillaume Verdier, on sent qu’il a un très fort potentiel. Toujours en Imoca, Apivia, comme Gitana en Ultim, a écrasé la concurrence sur le Fastnet : Charlie (Dalin) et Paul (Meilhat) vont clairement faire partie des favoris de la Jacques Vabre, c’est un super équipage sur un bateau qui reste extrêmement performant. Pierre (Quiroga) et le Figaro sont des projets plus éloignés de notre cœur de métier technique, sachant que ce ne sont pas des bateaux de développement, je reste donc modeste quant à notre contribution, mais je suis néanmoins ravi de le voir marcher aussi bien sur la Solitaire, Erwan (Le Draoulec) aussi. On est aussi très contents du projet de catamaran électrique volant (lien) qui est arrivé à Concarneau fin juillet, on est dans la phase finale d’assemblage et d’intégration des systèmes, il devrait être mis à l’eau début décembre. Enfin, on a commencé la construction de l’Imoca de Maxime Sorel, un sistership d’Apivia. Donc c’est assez dense, on se réjouit d’avoir à faire face à tous ces challenges. Pour les lecteurs de Tip & Shaft et les passionnés de voile, c’est une bonne nouvelle de voir la course au large se porter aussi bien, maintenant, il faut arriver à gérer cette augmentation non négligeable d’activité, on recrute beaucoup dans tous les corps de métier de notre univers, ce n’est pas si évident.

Photo : Guillaume Gatefait/MerConcept

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