Les skippers de la Normandy Channel Race 2018, à Caen le 26 mai 2018

Photo Jean-Marie LIOT / NCR

Jean-Luc Nélias : “En Ultime, il faut prendre tout ce qu’il y a à prendre”

Après avoir remporté la Nice UltiMed au début du mois avec Thomas Coville sur SodeboJean-Luc Nélias change de braquet, puisqu’il dispute actuellement la Normandy Channel Race en Class40, co-skipper de Sébastien Marsset sur Campings Tohapi (8e sur 27 mardi matin). L’occasion d’échanger avec ce marin aux multiples facettes, qui, ces dernières années, a participé deux fois à la Volvo Ocean Race en tant que navigateur, avec Groupama puis Mapfre.

Comment te retrouves-tu au départ de la Normandy Channel Race ?
C’est Sébastien qui me l’a proposé, j’ai accepté par sympathie de venir naviguer avec lui, aussi parce que c’est mon métier, également parce que ça m’intéresse de voir à quoi ressemble la Class40 et comment marchent les bateaux. Donc je suis là par sympathie, par curiosité et pour le boulot !

Et alors, ton impression du Class40 et de la classe ?
J’ai fait un petit stage d’entraînement à Lorient et le convoyage : disons que ce n’est pas facile de passer de l’Ultime au Class40, la vitesse est plus laborieuse, mais le gros avantage de cette classe, c’est qu’il y a une trentaine de concurrents au départ de la course, c’est le signe que cette classe se porte bien. Il y a plusieurs architectes et ça me semble une bonne échelle d’un point de vue économique avec des bateaux qui sont quand même chiadés, les gens ont l’air d’y trouver leur compte. Donc le challenge sportif est intéressant, il va y avoir une belle régate. Je ne suis pas sûr qu’on ait l’arme absolue, mais on trouvera bien des concurrents pour se bagarrer.

Tu parles d’Ultime, que gardes-tu de ta participation à la Nice UltiMed avec Sodebo ?
Un beau duel avec Idec, on s’est bien bagarrés, c’était sympa. Au niveau de l’organisation, j’ai trouvé que le village était vachement bien, c’était une dimension au-dessus de ce qu’on a l’habitude de voir, assez proche de ce qui se fait sur la Volvo, avec en plus du public, tout ça pour deux bateaux à l’arrivée. On a senti un engagement réel des organisateurs pour faire un événement important. Ça manquait malheureusement un peu de concurrents, mais il faut construire l’histoire.

Justement, à l’issue de Nice UltiMed a été évoquée l’éventualité d’un tour du monde en équipage et en Ultime au départ de Nice en 2021, qu’en penses-tu ?
Ce qui est clair, c’est que ces bateaux sont fantastiques et hyper intéressants en équipage. Après, ce qui pourrait manquer avec un départ de Nice, c’est qu’on n’est pas sur le parcours Brest-Brest, du coup, je ne sais pas si on pourrait en profiter pour tenter de battre le Jules-Verne, mais pourquoi pas ? S’il y a les bons ingrédients, des organisateurs motivés, des partenaires, c’est bien pour la voile.

Comment vois-tu le développement de cette classe Ultime ?
Comment dire… C’est grand et pour la voile, c’est cher ! Donc, forcément, les budgets font qu’il n’y aura jamais des tonnes de bateaux et, pour le moment, on a encore du mal à faire un plateau. On peut très bien avoir une très belle course autour du monde l’année prochaine et pas de récidive derrière, la voile, c’est souvent cyclique, dans toutes les classes, il y a des « top » et des « down », avec plein de bateaux un jour, puis tout d’un coup, ça disparaît, on passe à une autre taille, une autre forme… Mon histoire professionnelle, ça a toujours été ça. Là, le cycle semble positif et c’est fantastique, parce que ce sont des bateaux merveilleux, il faut prendre tout ce qu’il y a à prendre !

Ton histoire professionnelle est très liée ces derniers temps à celle de Thomas Coville, prends-tu toujours autant de plaisir à travailler avec lui ?
Oui, parce que c’est quelqu’un qui est chaleureux et vivant, ce n’est pas un poisson froid : avec lui il y a des émotions, des échecs, des réussites, et ces réussites sont d’ailleurs d’autant plus belles qu’il y a des échecs avant. Il faut se battre, s’arracher, il y a de la concurrence, c’est toujours un challenge de faire tourner un bateau comme ça, une équipe, un sponsor, il faut trouver les recettes, les manettes, arriver à créer une espèce d’harmonie. Je dirais que plus ça coûte cher, plus il faut faire attention à tout, il y a un espèce de challenge à tous les niveaux dans lequel je me retrouve, parce que j’ai mon petit bâton de maréchal, j’arrive à exprimer mon caractère, mes compétences et mes incompétences ! Je trouve que c’est assez complet, sans les inconvénients d’être exposé en tant que skipper, je trouve un équilibre là-dedans.

Quel est ton rôle exact au sein de l’équipe ?
Je m’occupe de la cellule performance, également un peu des outils de gestion interne de l’équipe, j’anime tout ce qui est sorties sur l’eau, l’organisation. Le mec un peu psycho-rigide, c’est moi…

As-tu participé à la conception du futur bateau et que peux-tu nous dire dessus ?
Je ne fais pas partie du bureau d’études, mais en tant que responsable de la performance, je suis forcément consulté sur certains aspects, comme l’ergonomie. Quand on me le demande, je mets mon grain de  sel sur les sujets qui m’intéressent. C’est en tout cas une belle aventure parce qu’on passe à la génération foils, avec des choix techniques super importants. Pour le bureau d’études, c’est très stressant, parce que ce sont des choix qui t’engagent économiquement pour longtemps, tu ne peux pas te tromper car tout changement coûte très cher. Tu sais que si tu te trompes, tu le traînes quasiment toute la vie du bateau. La position de Thomas qui doit faire tous ces choix au final est intéressante, mais engageante et stressante.

Tu t’occupes aussi de router Thomas, ce qui sera le cas sur la Route du Rhum, comment travailles-tu et t’occupes-tu d’autres bateaux ?
Non, généralement, je ne travaille que pour un bateau, je n’ai pas les capacités intellectuelles pour m’occuper de deux bateaux et je n’ai pas envie de me dédoubler. Sinon, quand je fais du routage à long terme, j’ai toujours des gens qui travaillent avec moi : sur le dernier tour du monde de Thomas, il y avait Samantha Davies et Thierry Douillard, qui sont venus me donner un coup de main, mais c’est moi qui prends les décisions importantes.

Cet aspect navigation, tu l’as aussi développé sur la Volvo Ocean Race puisque tu as été navigateur sur Groupama en 2011-2012 puis sur Mapfre trois ans plus tard, comment vois-tu l’issue de cette édition ?
Je regarde tous les jours les classements, le tracker, le blog, mais sans vraiment faire de routages, parce que la météo, soit tu suis à 100%, soit pas du tout. J’ai presque plus d’affinités avec Mapfrequ’avec Dongfeng, parce que j’ai effectivement fait une Volvo avec les Espagnols, mais je serai content quel que soit le gagnant, je suis pour les deux, je trouve que les deux méritent de gagner.

Que gardes-tu de ton expérience sur Mapfre il y a trois ans ?
C’était vachement bien, même si je suis un peu arrivé comme un cheveu sur la soupe en cours de route [il avait remplacé Nicolas Lunven, débarqué NDLR], il y avait une rotation de skipper, des changements dans l’équipage après Le Cap, le projet avait démarré super tard… La Volvo, ce n’est pas que de la navigation, si la logistique démarre tard, tout devient plus compliqué, tu te retrouves par exemple dans les hôtels les plus loin du port parce que les plus près ont été réservés par les autres, ce sont plein de détails comme ça qui, au final, comptent. Avec Mapfre, l’histoire avait été compliquée, mais j’étais tombé sur des gens charmants, j’en garde un bon souvenir.

Repartirais-tu sur une Volvo ?
S’il y avait eu un accident de navigateur sur Mapfre et qu’on m’avait appelé, j’aurais été vachement content d’y retourner ! Un tour du monde complet, je n’étais pas mûr, mais quelques étapes, ça m’aurait bien plu. La Volvo, c’est une course dure, tu ne rigoles pas quand il faut aller matosser plusieurs fois par jour, mais c’est un virus que tu attrapes. Avec cette course, c’est un peu « Je t’aime moi non plus » ! Je la suis avec intérêt, parce que c’est une belle course, tu navigues dans des endroits incroyables, avec des batailles sur l’eau homériques.

Pour toi, une éventuelle Volvo en Imoca, c’est une bonne ou une mauvaise idée ?
Je vois des gens qui émettent souvent plein d’opinions, moi je me dis que je n’en ai pas, je ne dois pas me poser les questions… Cela dit, mon sentiment, c’est que je ne comprends pas : la Volvo, c’est une course où tu ne te poses pas de question et tu bourrines, tu tires fort sur les bateaux qui font 15 tonnes et sont cloisonnés de partout, il faut sans cesse border, être sur la tranche, parce que si tu ne bourrines pas, tu n’avances pas. Alors que l’Imoca, c’est plus de la glisse, plus soft, les bateaux sont construit plus « light », pour un solitaire, il faut s’adapter à sa machine, c’est un compromis où tu cherches à la fois à être le plus léger possible et à finir ton tour du monde, c’est très différent. Je me demande un peu comment on va passer de l’un à l’autre.

As-tu d’autres projets de navigation ?
Oui, en juillet, je vais faire la transat retour les Bermudes-Hambourg sur Teasing Machine, un bateau sur lequel j’ai fait la RORC Transatlantic Race après la Jacques-Vabre [victoire à la clé, NDLR]. Après, Sodebo m’occupe 80% de mon temps, il va y avoir le Trophée des Multicoques, la préparation du Rhum, le nouveau bateau à l’eau, à chaque année suffit sa peine…

Tu as été à la tête de tes propres projets, à l’époque notamment du trimaran Orma Belgacom, aimerais-tu de nouveau naviguer pour toi ?
Non, je pense que c’est un peu trop tard. Après Belgacom, j’avais cherché, parce que je m’étais éclaté dans ce boulot et que l’histoire s’était finie trop tôt, mais je n’avais pas trouvé. Alors je me suis mis à la disposition des autres, j’ai réorienté mon métier et je le vis très bien comme ça. Aujourd’hui, qu’est-ce que tu veux faire ? Un Vendée Globe, un tour du monde en Ultime… je ne me vois pas me lancer dans un projet comme ça, je ne suis pas sûr d’avoir la moelle ni la légitimité. Pour lancer de tels projets et y arriver, il faut plus qu’y croire…


Normandy Channel Race. Ils sont finalement 27 tandems à participer à la neuvième édition de la Normandy Channel Race, suite au retrait de trois bateaux qui n’ont pu se présenter à temps à Caen, dont le tout nouveau Corum, qui devait être mené par le tandem Nicolas Troussel/Ian Lipinski. Le départ sera donné dimanche à 14h30.

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