Tanguy Le Turquais

Tanguy Le Turquais : “Je me retrouve à 100% dans le projet Lazare”

La SAEM Vendée, organisatrice du Vendée Globe, a présenté mardi au siège de l’Unesco les dix engagements environnementaux pour l’édition 2024. Les 44 candidats au tour du monde étaient présents, dont Tanguy Le Turquais, avec lequel Tip & Shaft a échangé.

▶︎ Que t’inspirent les dix engagements environnementaux présentés par la SAEM Vendée ?
Je trouve que le discours tenu est le bon, on sent qu’il y a une prise de conscience bien réelle, qui accélère. Coquille vide ou pas ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, j’ai entendu pendant deux heures des discours écologiques, donc cette communication ne desservira jamais la cause. Maintenant, comme tout le monde, j’ai hâte de voir ce qui va suivre derrière, ces dix engagements ne sont qu’un début, j’espère qu’ils seront tenus et qu’on pourra ensuite faire des choses qui auront un impact bien plus important.

▶︎ Comme quoi ?
Je suis toujours un petit peu choqué qu’on tienne ce discours en ayant donné une wild card à 13 bateaux neufs [ils sont dispensés de la course aux milles, NDLR], j’ai du mal à comprendre la logique du montage. Je ne critique pas du tout le fait qu’il y ait des bateaux neufs, on est une classe où le développement est important, mais je ne suis pas en accord avec le fait de minimiser autant l’impact écologique de ces bateaux neufs. Je suis d’ailleurs surpris des chiffres avancés, ils disent que l’impact des Imoca est assez faible par rapport au reste [moins de 7% de l’impact global de l’événement, NDLR]. S’ils le disent, c’est que c’est vrai, néanmoins, un bateau d’occasion est par définition un bateau qui pollue forcément moins. Là, je trouve qu’on a été un peu loin, en tout cas pour ce Vendée Globe, en donnant autant de wild cards aux bateaux neufs. J’aurais aimé entendre un discours tirant les conclusions de ce qui a été fait pour se projeter vers des évolutions sur ce sujet en 2028. Personnellement, j’imaginerais bien un système différent dans lequel on valoriserait les projets écoresponsables : par exemple, tu as une voile en lin, on t’offre 10 minutes de temps à la fin de ton Vendée Globe, un bateau bio-sourcé ou sans énergie fossile, 2 heures… Pour moi, ce genre de truc peut tirer tout le monde vers le haut, dans le sens où on introduit l’écologie comme de la performance.

▶︎ Estimes-tu que la course au large va suffisamment vite sur ces sujets environnementaux ?
Ça ne va jamais assez vite. Ce qui m’a le plus marqué en revanche – et j’applaudis des deux mains – ce sont les zones d’exclusion pour les cétacés. C’est génial, mais pourquoi ne pas aller plus loin en imposant des pingers (répulsifs acoustiques) dans tous les bateaux ? Personnellement, je suis déjà rentré dans des baleines en bateau, ça m’a traumatisé. Je n’ai jamais caché que c’étaient des baleines, je pense que c’est important de le dire, et je trouve qu’il y a un éclaircissement du discours sur ce sujet, notamment sur l’Arkea Ultim Challenge ; c’est bien parce que ça permet une prise de conscience.

 

“On n’est pas du tout
dans le 
social washing

 

▶︎ Ton projet porte un engagement sociétal fort, auprès de l’association Lazare, tu as fait ce choix parce que c’est quelque part « obligé » de soutenir une cause ou est-ce par conviction personnelle ?
Pour être tout à fait honnête, à la fin de ma dernière solitaire du Figaro avec le groupe Quéguiner (2021)je voulais arrêter la course au large parce que je ne me retrouvais pas dans ce que je faisais. Ça s’est très bien passé avec eux et nous avons gardé de très bonnes relations, mais j’avais de plus en plus de mal à être ce qu’on appelle un “homme-sandwich”. J’ai bien conscience que le prix à payer pour vivre de sa passion de marin, c’est de devenir l’ambassadeur d’une marque, mais je ne voulais plus continuer en étant celui de quelque chose qui n’était pas primordial dans la vie. Mon but était de mettre un coup de projecteur sur des valeurs qui me tenaient à cœur, Lazare a coulé de source. Clarisse (Crémer, sa femme) en était la marraine en 2020, je suis complètement tombé amoureux de leur mission et je me suis dit qu’il fallait absolument les emmener sur le Vendée Globe. D’ailleurs, on a acheté le bateau, on a ensuite proposé à Lazare d’en porter les couleurs et seulement après, on a trouvé des financements. C’est dire à quel point ils sont au cœur du projet. On n’est pas du tout dans le social washing. Aujourd’hui, on a fait naviguer une grande majorité des 350 colocs, on les inclut vraiment dans le projet, ce n’est pas juste un logo qu’on va balader autour du monde.

▶︎ Tu as dit que tu ne voulais pas être un homme-sandwich, est-ce un sujet que vous évoquez avec Clarisse qui, elle, est l’ambassadrice d’une marque ?
Oui, c’est un sujet qu’on aborde énormément et comme je te l’ai dit, historiquement, c’est elle qui, la première, a eu l’idée du projet Lazare. Banque Populaire lui a ensuite tendu la main pour faire son premier Vendée Globe, c’était difficile de ne pas accepter, c’était trop beau pour être vrai. Personnellement, je n’aurais évidemment pas refusé. Ensuite, à la fin de son Vendée Globe, il était hors de question qu’elle aille avec quelqu’un d’autre, il s’est malheureusement passé ce qui s’est passé et elle a réussi à remonter un projet très rapidement avec L’Occitane qui est une société extrêmement engagée, en tout cas en interne, notamment sur les droits des salariés et des femmes dans l’entreprise. Clarisse communique moins sur ses engagements aujourd’hui, mais elle se sent, quelque part, très investie aussi à travers ça.

▶︎ Qui est financièrement derrière ton projet ?
Quand on a décidé de partir avec Lazare, on s’est fermé 90% des portes des entreprises qui pouvaient financer le projet, parce qu’elles ne voulaient pas partir dans le social. Par contre, les 10% des portes restées ouvertes étaient celles d’entreprises – ellle sons 25 aujourd’hui – liées par des valeurs communes de résilience, de dépassement de soi, et par l’envie d’essayer de sortir les gens de la galère. Ce projet est hyper vertueux parce qu’on est au service de Lazare. On ne me met jamais la pression pour la performance, on me demande juste de faire rayonner l’association. Je suis très heureux d’évoluer dans ce projet-là et de l’avoir monté parce qu’aujourd’hui, je m’y retrouve à 100%.

 

“A un moment donné,
il faut savoir savourer sa chance”

 

▶︎ As-tu les moyens que tu voulais ? Quel est ton budget ?
En 2022, on n’avait pas de moyens, on a quand même fait la Route du Rhum en racontant une belle histoire. On essaie, depuis, de monter en puissance et même si on n’est clairement pas le projet le plus riche, on a les moyens de faire les choses bien. Aujourd’hui, on dépense environ un million d’euros par saison, comme l’année du Vendée Globe est forcément un peu plus coûteuse, il nous manque en gros 300 000 euros. Après, dans ce style de projet, il manque toujours du budget pour faire les choses mieux, à commencer par me payer, ce qui n’est pas le cas depuis que je me suis lancé, mais j’ai envie de faire passer la vie du projet avant tout.

▶︎ Un projet tourné vers la performance, avec bateau neuf à foils et gros moyens, te plairait-il ?
Oui, mais pas à n’importe quel prix. C’est-à-dire que je ne vendrais pas mon âme pour ça. J’adore être en mer, j’adore la compétition et la performance, mais j’aurais besoin que le projet soit aligné avec mes valeurs. Il y a dix ans, je t’aurais dit évidemment oui, même pour une marque de suppositoire, aujourd’hui, c’est différent, j’ai dix ans de plus, une petite fille, il y a des choses que je ne ferais plus. En tout cas, je me sens extrêmement chanceux d’avoir vécu ce qui m’est arrivé toutes ces dernières années et d’être là aujourd’hui, parmi l’élite de ce sport. Je n’étais pas prédisposé à faire le Vendée Globe, je viens d’une classe très populaire, je suis mécanicien à la base, peut-être qu’à un moment donné, il faut savoir savourer sa chance et ne pas vouloir toujours plus. C’est peut-être ça aussi, la sagesse. Maintenant, ça n’empêche que les projets sportifs de performance me font rêver, c’est un petit peu schizophrène !

▶︎ Quelle performance iras-tu chercher sur le Vendée Globe ?
L’objectif absolu, c’est de le finir. Si je suis confronté à un cas similaire, j’aimerais avoir la force et le courage de faire « une Yves Parlier » [sur le Vendée Globe 2000, ce dernier, après avoir démâté, avait réussi à boucler le tour du monde sous gréement de fortune qu’il avait fabriqué en Nouvelle-Zélande, NDLR]. Après, il y a une petite bataille dans la bataille avec les autres bateaux à dérives, j’aimerais finir sur le podium, voire sur la plus haute marche, mais il y a de la concurrence entre les deux nouveaux bateaux qui viennent jouer les trouble-fêtes (Eric Bellion et Jean Le Cam), Benjamin (Ferré), qui avait un peu moins d’expérience que moi en bateau mais a largement comblé son retard, Louis Duc, Conrad (Colman), Guirec (Soudée), Violette (Dorange), le niveau est devenu plus homogène.

▶︎ L’idée d’être seul en mer pendant 80-90 jours te fait-elle peur ?
Non, j’ai hâte ! J’adore les gens et raconter mes histoires, mais je suis aussi un solitaire, j’affectionne particulièrement les moments où je suis seul en mer. On vit rarement ça dans une vie, sans réseau ni personne pour t’em…, seul sur ton bateau à gérer ton quotidien. Je considère que c’est un grand privilège.

Photo : Martin Keruzoré

Tip & Shaft est le média
expert de la voile de compétition

Course au large

Tip & Shaft décrypte la voile de compétition chaque vendredi, par email :

  • Des articles de fond et des enquêtes exclusives
  • Des interviews en profondeur
  • La rubrique Mercato : l’actu business de la semaine
  • Les résultats complets des courses
  • Des liens vers les meilleurs articles de la presse française et étrangère
* champs obligatoires


🇬🇧 Want to join the international version? Click here 🇬🇧