Pascal Bidégorry : “Sur une Volvo, tu te sens vivant”

Dans la chaleur de l’arrière-saison d’Alicante, le navigateur de Dongfeng Race Team se prépare pour sa seconde Volvo Ocean Race aux côtés de Charles Caudrelier. Détendu, souriant, voire rigolard, l’ex skipper de Banque Populaire fait le point pour Tip & Shaft sur le tour du monde en équipage et ses envies d’après-Volvo.

Pourquoi est-ce que l’on retourne faire la Volvo Ocean Race ?
Je ne sais pas… [il rigole] Ecoute parce qu’on me l’a demandé, déjà ! J’avais plein d’autres trucs à faire, donc j’ai hésité. Mais il faut reconnaître que c’est une course exceptionnelle, à part : il n’y a pas beaucoup d’épreuves où tu t’entraînes pendant un an, où tu es en compétition pendant neuf mois, où tu essayes d’être perfectionniste dans tous les détails. Donc il faut reconnaître que tu es privilégié de participer à ce genre d’histoire. Et humainement, force est de constater que, lorsque j’ai fini la précédente Volvo, je me suis dit : “Finalement, c’était bien !J’ai eu l’impression d’être moins con qu’avant. Pas parce que j’avais fait du bateau, mais parce que j’avais découvert des gens, une autre famille, une autre culture, d’autres endroits, d’autres goûts, d’autres odeurs… C’est toujours pareil dans le sport : tu fais un truc et tu veux retourner pour faire mieux, jusqu’au jour où, éventuellement, tu gagnes et tu veux faire autre chose. C’est aussi l’occasion d’avoir une continuité dans un projet sportif. Après ce n’est pas que simple, six ans de ta vie dans un projet si dense…

Et pourtant vous y retournez tous ! On a vraiment l’impression que, pour beaucoup d’entre vous, la Volvo est une drogue…
C’est une forme de drogue, parce que, quand ça s’arrête, tu te dis : « Qu’est-ce qui se passe maintenant ? » Heureusement que, la dernière fois, j’avais le projet avec Macif et François, parce que sinon, au bout de 10 jours, je me serais emmerdé. Alors que ça faisait 9 mois que je disais que je voulais rentrer à la maison ! Dans la Volvo, tu es dans une ambiance de compétition tous les jours, c’est grisant. Tu sens que ta vie est intense, tu te sens vivant.

Connaissant ton caractère de compétiteur acharné sur l’eau, on t’imaginait mal sur un projet comme celui Dongfeng, qui comprend une partie de formation des marins chinois.
Mais parce qu’à une certaine période, on m’a mal imaginé, ça c’est certain (rires) ! J’ai quand même lu et entendu des trucs sur moi… Je me suis dit : “Mais c’est qui ce mec, c’est pas moi ?Voilà, c’est comme ça, je n’ai pas passé ma vie à démentir. Ce qui est clair, c’est que tu ne peux pas faire de bateau sans détermination, c’est une nécessité. Après, il faut arriver à l’inculquer de la bonne manière et en avoir une qui correspond au milieu dans lequel tu navigues. Sur une Volvo, tu as tellement de monde sur et en dehors du bateau, que c’est une belle école de vie. Le matin, quand tu démarres ta journée, tu dois savoir que tu vas vivre avec 40 personnes et que tu es un pion parmi les autres qui va apporter sa valeur ajoutée. Il faut faire avec. Donc tous les jours, il y a des trucs qui te cassent les pieds et tu la fermes. Parce C’EST la règle du jeu, celle d’un sport très collectif. Dans le secteur de la performance, dont j’ai la charge, quand il y a des trucs qui ne me plaisent pas, je le dis. Mais j’ai plutôt tendance à tourner sept fois ma langue dans ma bouche plutôt que de l‘ouvrir à mauvais escient.

Lorsqu’on a été skipper et chef de projet, comme tu l’as été chez Banque Populaire, est-ce que l’on s’adapte facilement à n’être plus qu’un « pion parmi les autres » ?
Honnêtement, j’ai le sentiment de faire toujours un peu le même métier. La seule différence c’est que je le fais plus pour un ami que pour moi. Je me mets même parfois plus de contraintes, parce que j’ai envie qu’on réussisse. Ce qui m’a fait plaisir c’est qu’à la fin de la dernière Volvo, j’ai pu me regarder dans une glace avec le sentiment que j’avais bien fait mon boulot et que tout le monde était content. Après, je sais très bien que, quand on se plante, en général, c’est de ma faute… et, quand on réussit, c’est parce qu’on est bons ! [Il éclate de rire] Lors de la dernière Volvo, les Chinois m’appelaient « Lighthouse » ! [« Phare » en anglais, NDLR] Je ne te raconte pas la pression !

Le fait d’être le navigateur d’un skipper qui est ton ami change-t-il les paramètres de ton poste ?
Je pense qu’avec Charles, on a des relations beaucoup moins amicales, mais c’est une nécessité. On n’est pas là pour se taper dans le dos, on est là pour un objectif. Donc, à un moment donné, il n’y a pas à tortiller du cul ! Une transat sur sept ou huit jours, tu fais ça avec des amis. Pas la Volvo.

Tu serais allé sur un autre bateau ?
Ca dépend qui… La question s’est posée. Mais je me suis surtout dit : “J’y vais ou j’y vais pas sur cette Volvo ?” Pour le bateau, dans ma tête, il n’ y avait pas photo. Je sais que je vais m’y retrouver.

Comment évalues-tu les forces en présence ?
Ce qui est sûr, cette année, c’est que le niveau moyen est incroyable ! T’as vu la gueule des équipages ? Laisse tomber : les mecs ont tous fait cinq Volvo, quatre coupes de l’America et les Jeux olympiques ! Tu regardes la liste des équipages, il n’y a que des champions du monde ! Et ça se voit sur l’eau ! Mapfre est super dominateur. Ils forment une famille, ils sont très cool, peu nombreux et vont vite partout. Après Mapfre, je pense que Brunel et nous, on est dans le lot. Vestas a un très gros équipage, AkzoNobel allait très vite sous masthead dans le leg zéro. Et, ensuite, peut-être, Turn the Tide et Scallywag, je dis bien peut-être. La dernière fois, tu posais la question au départ, on nous mettait derniers… moi le premier ! Et on finit sur le podium. La clé, c’est de durer ; il faut savoir se mettre une pression positive, l’entretenir au quotidien, arriver à rebondir quand ça ne va pas… Parce que, tôt ou tard, ça ne va pas aller : pendant neuf mois, tu ne vas pas taper que dans les bons coins, c’est la vie ! Au final, tu te rends compte que c’est plus sur des petites erreurs que sur des grosses qualités que tu fais la différence.

C’est quoi le programme de Pascal Bidégorry après la Volvo ?
Déjà, je suis occupé jusqu’au 2 juillet 2018 – et je suis censé faire toutes les étapes. Mais ensuite, je n’ai rien. Je n’ai pas d’argent parce que je n’en cherche pas ; c’est un métier et j’ai plutôt fait le choix de continuer à régater, parce que ça s’est présenté comme ça. C’est malheureux à dire, mais je pense que, pour bien chercher de l’argent, il ne faut plus naviguer. Maintenant, je ne me sens pas du tout fini. Le Vendée Globe, les Ultimes, pourquoi pas ? Les Imoca deviennent très sympas. Et quand je vois les Ultimes aujourd’hui, c’est quand même ma came ! A un moment donné, dans ta vie, ce qui est bien, c’est de te lever le matin, de regarder la montagne et te dire : ça, je ne l’ai pas encore fait.

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