Phoenix, the South African TP52 taking part to the 52 Super Series

Abby Elhler : « La diversité est un avantage, pas un obstacle »

A 43 ans, la Britannique Abby Ehler est l’une des navigatrices les plus expérimentées au large, puisqu’elle a couru trois fois la Volvo Ocean Race, la dernière avec Team Brunel, et pourrait faire partie sur la prochaine de l’équipage de 11th Hour Racing. Cette année, elle est l’une des deux seules femmes professionnelles (avec l’Italienne Flavia Tomiselli sur Alegre) engagées sur les 52 Super Series à bord de Phoenix 12, qui a pris la 9e place de la première épreuve de la saison début mars au Cap. Où Tip & Shaft s’est entretenu avec elle.

Comment t’es-tu retrouvée engagée sur les 52 Super Series avec l’équipe de Phoenix ?
C’est par l’intermédiaire d’Adrian Stead la saison dernière, en partie parce que j’avais mené un TP52 il y a dix ou quinze ans, qui s’appelait Stay Calm et appartenait à Stuart Robinson, cette campagne avait duré deux-trois ans. Je pense que le poste et le poids qu’ils recherchaient a aussi aidé et il faut reconnaître qu’Ado (Adrian Stead) est assez enthousiaste à l’idée de faire entrer plus de femmes sur des épreuves de ce niveau. Donc me voilà !

Et comment ça se passe ?
C’est fantastique, la navigation sur ces bateaux est phénoménale. Et la compétition est tellement impitoyable que la moindre erreur devient vite un gros problème.

Cela t’a-t-il obligée à élever ton niveau de jeu ?
C’est un style différent. La plupart de mes navigations se sont faites sur des bateaux un peu plus gros et au large. Quand tu es au large, le niveau de détail n’est peut-être pas aussi important, car tu as du temps pour rattraper tes éventuelles erreurs. Dans ce type de navigation, la course dure une heure. Même la plus petite erreur est lourdement punie. C’est très très précis, les bateaux sont très techniques et très légers. Chacun a son poste à bord et doit faire son travail.

Qu’est-ce que ça fait d’être une des seules femmes professionnelles à plein temps sur ce circuit ?
Je prendrais plutôt à la question en disant comment faire en sorte de ne pas être la seule. Je me demande quels sont les obstacles qui empêchent plus de femmes d’être engagées sur un tel circuit et ce qu’on peut faire pour qu’elles soient plus nombreuses. En fait, la réalité est qu’il faut juste être au niveau. La plupart des postes sont très physiques, en dehors peut-être de ceux de la cellule arrière du bateau, donc il faut être capable de naviguer et travailler à ce niveau. Et j’ai réalisé que même si je me considère comme relativement expérimentée, j’ai encore beaucoup à apprendre. Donc mettre un pied dans la porte est le plus gros obstacle à franchir, et ce n’est pas qu’une question de genre. La dure réalité, c’est que c’est difficile pour quiconque d’atteindre ce niveau et encore plus pour les femmes. Il n’y a pas beaucoup de femmes sur ce circuit, c’est donc compliqué se dire qu’on peut y arriver quand on ne voit qu’une ou deux filles, on se dit alors qu’il doit y avoir une raison à ça.

Est-ce plus difficile pour une femme d’occuper ton poste sur la plage avant ?
Non, je ne pense pas. Il faut juste faire son travail. Il y a peut-être un peu plus de pression, parce que tu ne veux pas être celle qui fait tout foirer, mais je pense que les temps changent et avec les accords liés au développement durable et à la diversité que signent les classes, il faut que les gens comprennent qu’il faut amener plus de femmes dans le sport et que la diversité est un avantage, pas un obstacle.

 

A la barre de votre bateau, Tima Plattner (la famille Plattner est propriétaire des deux TP52 Phoenix) semble très compétitive ?
Oui, elle est fantastique. Ce qui marche très bien, c’est qu’elle est vraiment à l’écoute de Cam (Cameron Dunn, le tacticien) et Gerry Mitchell, le régleur principal. Tina a un bon feeling avec le bateau et elle est capable de bien se concentrer sur son travail. Parfois, il faut un peu batailler avec les propriétaires/barreurs qui aiment participer au processus de décision, mais il faut que le barreur fasse confiance aux gens qui l’entourent, et Tina le fait exceptionnellement bien.

Parlons de The Ocean Race, tu es en train de poser tes jalons pour repartir ?
Je pense que si tu m’avais posé la question il y a deux ans, j’aurais répondu, « non, je ne le referai plus », parce que j’ai toujours dit que c’était une course tellement difficile, à la fois physiquement et mentalement, tu en sors épuisée, vidée. Mais en même temps, c’est une course que tu as dans le sang et quand tu sens la fièvre te reprendre, c’est difficile de ne pas se reprendre au jeu. Charlie Enright m’a appelée en fin d’année pour me proposer de ramener le bateau (11th Hour, l’ancien Hugo Boss d’Alex Thomson) de Salvador de Bahia à Lorient sur l’Open 60, j’avais un peu d’appréhension, parce que je n’avais jamais navigué sur un Open 60, je ne savais pas comment naviguer sur un bateau à foils, je pensais que c’était un niveau trop haut pour moi. Maintenant que je l’ai fait, je peux dire qu’en fait, ça ne change pas grand-chose, c’est de la voile, il faut régler les voiles et faire avancer le bateau. Il y a quand même une légère différence du fait des foils, mais les fondamentaux restent les mêmes. Donc c’était une traversée intéressante à l’issue de laquelle je me suis dit que je voulais vraiment faire partie du truc.

Ce qui veut dire qu’on va te revoir à bord de 11th Hour Racing ? Et comment as-tu vécu le mode équipage en Imoca sur une telle traversée ?
Nous continuons à discuter. Le bateau est actuellement en chantier, c’est une période calme en ce moment, mais le projet est de naviguer davantage avec eux cette saison. Pour ce qui est de la traversée, nous étions six, en configuration Ocean Race, cinq navigants et un media man. En termes d’ergonomie, c’était quasiment impossible, parce que le bateau est configuré pour une personne, c’était absolument horrible. Mais je pense le but de l’opération était justement d’identifier les points sur lesquels travailler pour rendre un tel bateau navigable en équipage. Après, les mouvements du bateau sont très similaires à ce que l’on ressent sur un semi-rigide, avec des chocs permanents qui rendent le sommeil difficile. Je pense que ça va être un élément-clé d’arriver à mettre en place un système de couchage pour les marins qui ne sont pas de quart, pareil pour ce qui est de la cuisine et des toilettes, tout doit être pensé, l’espace est un facteur-clé. Et sur le pont, pour les manœuvres, on n’a pas besoin de tout concentrer à un même endroit comme c’est le cas sur le bateau d’Alex. Il faut trouver une configuration pour deux personnes à la colonne, un sur les winchs, un à la barre et un à l’avant. Donc nous avons bien regardé ce qui serait la meilleure configuration pour éviter que tous soient les uns sur les autres, comme c’était le cas sur ce bateau.

Comment vous êtes-vous organisés pour les quarts ?
Nous étions deux sur le pont, avec un navigateur, et toutes les deux heures, une personne changeait.

C’était forcément très différent de ce que tu as connu sur les VO65…
Oui, ça fait moitié moins de monde sur le pont, c’est un jeu différent, d’autant que comme tu es la plupart du temps à l’intérieur, tu peux plus facilement échanger et on ne passe pas son temps à se faire balayer par des vagues. Dans les mers du Sud, on peut imaginer que c’est un gain en termes d’endurance par rapport au fait de se prendre continuellement de l’eau glacée pendant deux semaines, c’est aussi très différent de ne pas sentir le vent apparent, de ne pas voir devant. C’est un environnement assez confiné, tu regardes ce qui se passe dehors via les hublots et des caméras, c’est une façon très différente de naviguer. Quand tu as passé ta vie à être exposée aux éléments, ça demande un temps d’adaptation.

Photo : Martinez Studio

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